Anne Émond : Nelly Arcan toutes les femmes

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Anne Émond, la jeune trentaine, a déjà deux longs-métrages, d’une forte maturité, à son actif : Nuit # 1 (2012) et Les êtres chers (2015). Pour son prochain film, elle a choisi de faire de sa muse l’auteure Nelly Arcan, qui s’est enlevé la vie en septembre 2009 à l’âge de 36 ans. Encore une fois, c’est avec humilité et respect que la cinéaste approche son sujet.

Lorsque nous avons eu Anne Émond au téléphone, elle venait tout juste de sortir de la salle de montage où elle visionnait pour la toute première fois les scènes du film Nelly. Émond a toujours éprouvé une fascination pour Nelly Arcan, composée d’admiration, mais aussi de réticence. La double image qu’elle reflétait, celle de la littéraire talentueuse et celle de l’insatiable séductrice, suscitait la perplexité. Quand Émond apprend la mort de l’écrivaine, sa réaction est très vive. « Je l’ai pris personnel. Ça m’a attristée, ça m’a découragée. J’étais fâchée parce que j’avais l’impression que cette artiste-là avait encore beaucoup de choses à dire. » Très rapidement, Émond crée dans son ordinateur un nouveau dossier qu’elle nomme « Nelly » en se promettant de faire un de ces jours un film sur celle qui était constamment confrontée à ses démons.

Lorsque la productrice Nicole Robert approche Émond pour lui parler de Nelly Arcan, le doute n’est plus permis. Elle doit faire ce film. Anne Émond a l’intuition que c’est plutôt à travers les œuvres de l’auteure qu’elle trouvera une certaine vérité. Une vérité qui se tient toujours sur les frontières et qui endosse de nombreux profils.

La cinéaste décide de structurer son scénario en créant cinq personnages qui représentent tous Nelly. Il y a celui d’Isabelle [le véritable prénom de Nelly] à 13 ans et quatre autres personnages, tous joués par la même actrice [Mylène Mackay] qui sera physiquement métamorphosée pour chaque rôle. « Elle représente cinq grandes icônes. Il y a Nelly l’écrivaine, Marylin la star, la figure publique, Amy l’amoureuse un peu toxique dont Nelly parle dans Folle et Cynthia, la prostituée, et qui était le nom de prostituée de Nelly pendant un bon bout de temps. J’essaie d’exploiter par ça les multiples facettes du mystère Nelly Arcan. »

Pour étayer son scénario, Anne Émond a rencontré plusieurs personnes qui ont connu Nelly. « Une des choses qui m’a frappée, c’est à quel point tout ce que j’apprenais d’une rencontre à une autre était difficile à réconcilier en une seule personne. » C’est d’ailleurs la proposition d’Anne Émond : écartelée entre toutes ces identités, c’est ce qui conduit Nelly à sa perte. « Je n’ai pas eu le choix à un moment donné comme réalisatrice de dire ‘’voici ce que je pense’’, mais je ne l’ai pas connue. En même temps, je pense que la vérité, on ne l’aura jamais. Le film ne donnera pas de réponses. »

En mettant en lumière tous les paradoxes qui habitaient Nelly, Anne Émond souhaitait également ouvrir le dialogue. « Oui, ça parle de Nelly Arcan, mais au-delà de cela, le thème principal est : qu’est-ce que ça signifie être une femme en ce moment dans la société dans laquelle on vit? Si on décide de répondre à tout ce qu’on attend de nous, on peut se perdre. » Les exigences de l’apparence, les nombreux rôles à porter, le devoir de correspondre aux attentes irréalistes : en ce sens, la tyrannie du regard aurait aussi sa part de responsabilité dans le mal de vivre de Nelly Arcan.

Une vie à lire
Mais s’absorber dans cet univers trouble n’a pas toujours été facile. De l’étape de l’écriture du scénario aux premiers jours de tournage, il s’est passé près de quatre années pendant lesquelles Émond lit et relit les œuvres de Nelly. « Sincèrement, toute la partie de la recherche et celle de l’écriture ont été assez difficiles à un certain moment, mentalement et émotionnellement. Mon chum pourrait vous en parler. » Elle explique combien tous les écrits de Nelly sont désespérés et n’offrent pas d’issues : ils renvoient tous d’une certaine manière à la mort.

« Je suis moi-même une personne un peu torturée, alors évidemment, les gens qui ont des destins torturés me fascinent. Mais je ne me définis pas juste par ça; je ne veux pas inquiéter ma mère si elle lit cette entrevue! », dit-elle dans un éclat de rire. Et ce qu’elle a avant tout voulu mettre de l’avant chez Nelly Arcan, c’est la puissance de ses mots. « Ce que je sais, c’est que le film veut faire la part belle à l’œuvre, on entend beaucoup des textes de Nelly qui sont lus. Je pense qu’il y a quand même un hommage qui est important et qui va justement faire que ça ne tombe pas dans l’oubli. »

La date de sortie de Nelly n’est pas fixée, on pense à l’été 2016. Même s’il reste encore beaucoup de travail à faire, on peut déjà présumer de la teneur du film, façonné de sensibilité, de profondeur et d’intelligence, à l’image de sa réalisatrice.

Crédit de la photo : © Julie Artacho

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