Directrice littéraire aux Éditions XYZ, Guylaine Girard présente un essai qui l’a particulièrement marquée récemment : L’habitude des ruines — Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, de Marie-Hélène Voyer, publié chez Lux.

Éditrice de romans et d’essais depuis plusieurs décennies, j’ai toujours pensé que l’essai devait pouvoir se lire comme un roman : il doit présenter une sorte de suspense autour d’une thématique, il doit jouer avec brio de ses effets et des tournures de langage, il doit toucher et émouvoir, choquer et questionner, raconter une histoire, transformer le lecteur ou la lectrice. Dans L’habitude des ruines, Marie-Hélène Voyer réussit ce pari avec grande éloquence.

Dans cet essai, Marie-Hélène Voyer met de l’avant une écriture maîtrisée, aux tournures littéraires, et même parfois poétiques, et une argumentation originale et convaincante qui charme et interpelle le lecteur ou la lectrice dès la première page. Cet essai cherche à toucher le simple citoyen ou la simple citoyenne pour lui faire prendre conscience du patrimoine bâti qui disparaît, souvent dans l’indifférence la plus totale. Après la lecture d’un tel essai, il est fort probable que le lecteur ou la lectrice deviendra un veilleur, un citoyen qui quittera sa passivité d’observateur/spectateur pour prendre part et agir, un citoyen qui aura le goût de prendre la route à la rencontre du patrimoine bâti de son coin de pays.

Ce qui est remarquable dans cet essai, c’est l’authenticité de l’indignation qui y est exprimée devant le sort que notre indifférence réserve à ces trésors de notre patrimoine qui sont au fondement de notre identité et de notre histoire. Le grand pouvoir de persuasion et de sensibilisation qui habite cet essai met habilement à contribution quelques-uns de nos plus grands penseurs et écrivains, Fernand Dumont, Pierre Vadeboncœur, Pierre Perrault, Jacques Ferron, Pierre Nepveu, et des défenseurs de la première heure du patrimoine bâti québécois, Jean-François Nadeau et Dinu Bumbaru.

Marie-Hélène Voyer arrive également à introduire un « je » qui séduit dans cet essai, puisqu’elle parle de ses souvenirs d’enfance sur une ferme, à Rimouski, dans le 3e-Rang-du-Bic, une ferme aujourd’hui disparue. Elle évoque avec sensibilité ce territoire qui l’a vue naître et qui la pousse à se porter à la défense du patrimoine. Cette incarnation du sujet de son essai participe à introduire de belle façon le lecteur ou la lectrice à cet important héritage et au danger de faire table rase du passé en se construisant un présent en toc sans préoccupation de transmission pour les générations à venir. « Au-delà des logiques marchandes et des impératifs de rentabilisation de l’espace, il faudrait que l’on réalise enfin, collectivement, que les lieux que l’on rase et que les gens dont on les évince taisent leurs histoires pour toujours. » Il est évident que Marie-Hélène Voyer a été guidée dans sa rédaction par cette phrase de Jacques Ferron, qu’elle cite par ailleurs :

« J’écris pour ne pas qu’à l’oubli succède l’indifférence de l’oubli. »

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Titulaire d’une maîtrise en études françaises de l’Université de Montréal, Guylaine Girard débute sa carrière dans le livre comme adjointe à l’édition aux éditions Fides. Durant ses vingt-huit années à l’emploi de Fides, elle sera tour à tour éditrice, directrice de collection, puis directrice de l’édition. Elle a également dirigé les destinées de la collection de livres en format de poche de Bibliothèque québécoise pendant de nombreuses années. Elle a par la suite été directrice éditoriale aux Éditions de l’Homme pendant deux ans. En 2018, elle devient éditrice aux essais et aux romans pour la maison d’édition XYZ, où elle a créé la collection d’essais « Réparation ». Depuis janvier 2024, elle est la nouvelle directrice littéraire de XYZ.

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