Sur la route

Le titre capte tout de suite l’attention, car à moins que l’on ait déserté la planète Terre au cours des dernières années, les prénoms Céline et Renée mis côte à côte font tout de suite référence à la chanteuse québécoise et à son mari et imprésario. En y regardant de plus près, on découvre cependant qu’au bout de Renée, la lettre « e » a été ajoutée. Mais la curiosité est piquée, et le choix de l’autrice d’appeler ses personnages comme le couple mythique permet de mettre l’éclairage sur des personnes qui en reçoivent habituellement peu. En effet, le roman s’ouvre au moment où Céline Dolbeau, 81 ans, est assise dans un taxi la ramenant chez elle. Elle vient d’assister aux funérailles de Renée Saint-Clair, sa conjointe.

1. Pour le sujet rarement abordé
Il n’est pas très fréquent de retrouver en littérature une héroïne âgée, endeuillée et lesbienne. L’autrice Ève Landry fait non seulement le pari de mettre un tel personnage au centre de son livre, mais elle lui attribue un tempérament actif donnant l’élan nécessaire pour concrétiser cette idée : partir en voiture et visiter l’Amérique. En décidant de mettre ce projet en pratique, elle réalise un des rêves de sa douce et, de cette façon, lui rend une sorte d’hommage post-mortem. Par ce voyage, Céline prolonge l’enthousiasme et l’énergie de leur amour; parce que si l’enveloppe corporelle de sa femme n’est plus là, le lien les ayant unies pendant toutes ces années s’avère encore bien présent.

2. Pour la construction narrative du récit
Le texte est narré par une voix omnisciente s’adressant à Renée, l’absente. Elle lui relate ce qui se passe depuis sa mort et lui souffle les pensées et les émotions de Céline. Cette décision de l’autrice renforce l’impression d’ardeur du sentiment éprouvé par les amoureuses, toujours vif, puisqu’on ne se trouve pas uniquement dans la mémoire du souvenir. D’où elle est, et sous une autre forme peut-être, Renée existe toujours. Elle s’incarne par ailleurs à travers celles et ceux qui l’ont aimée, Céline évidemment, mais aussi ses enfants, ses amies. Les vivants portent en eux le legs de la disparue et honorent ces parcelles en les transmettant à leur tour.

3. Pour éviter les lieux communs
L’autrice n’entretient pas le cliché de la personne âgée en proie à l’ennui et au désœuvrement, sans posséder vraiment de personnalité constituante. Oui, Renée manque terriblement à Céline, mais celle-ci a du ressort et tente tout ce qu’elle peut afin de ne pas céder au chagrin paralysant. En se mettant en mouvement, elle se donne la chance de survivre tout en célébrant sa tendre moitié qui, grâce à elle, vivra l’aventure par procuration. L’amitié qu’elle développe avec le personnage d’Ed, le cuisinier de la résidence où elle habite, éloigne également les clichés. Faisant fi des cinq décennies entre eux, leur complicité, empreinte d’humour, se déploie et ne s’embarrasse d’aucune convention.

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