Que cachent les écrivains?

Suzanne Myre, écrivaine reconnue pour l’excellence de ses nouvelles, fait son entrée dans la maison d’édition L’instant même avec un roman de près de 300 pages qui respecte en tous points les codes de son œuvre passée : ton caustique, personnages hilarants et regard bien aiguisé sur le monde qui nous entoure. Ici, elle nous invite au Sanatorium des écrivains, un lieu de détente et de création qui prétend pouvoir aider les écrivains en perte d’inspiration à retrouver le chemin du succès littéraire. Les retraites durent plusieurs jours, on n’accède au lieu que les yeux bandés, où on côtoie d’autres écrivains en mal d’écriture lors des ateliers, des séances de méditation, des promenades ou des exercices. Myre, qui donne également plusieurs ateliers d’écriture pour le grand public, semble s’être drôlement amusée en abordant ainsi le milieu dans lequel elle évolue!

1. Pour les délices de l’humour et du cynisme qu’on y trouve
Le personnage principal est un homme gentil, mais pessimiste de nature. Il a remporté le Prix du récit Radio-Canada, a écrit un livre dont la critique mitigée le fait encore frissonner et vient d’être largué par sa copine. « Je n’étais pas le pire cinglé de l’endroit et cela pouvait même servir ma cause, d’être entouré de gens originaux et aussi névrosés que moi, sinon davantage, portant jupe pouilleuse, bandeau en loque et rat en panier », dira-t-il lorsqu’il aura rencontré les autres écrivains qui partagent avec lui son séjour au Sanatorium. Comme la narration se fait au je, on a un accès direct à ses pensées, qui ne manquent ni d’ampleur ni d’humour, et on s’autorise à apprécier chaque débordement, que ça provienne de lui ou des autres, chaque petite parcelle de marasme arrachée à ces écrivains réunis dans un huis clos. Car des écrivains, du moins sous la plume de Myre, ça trouve toujours quelque chose sur quoi s’épancher!

2. Pour s’amuser des références littéraires
Au Sanatorium, nul ne doit se présenter par son nom véritable. Il faut revêtir celui d’un auteur décédé. On le concède : ça ajoute grandement à l’amusement lorsqu’on lit que Gabrielle Roy, Arthur Rimbaud, Lou Salomé ou J. D. Salinger discutent ensemble, voire s’embrouillent! Le narrateur, lui, a choisi Edgar. Pas Fruitier, précise-t-il, mais bien Allan Poe. En début d’ouvrage, Suzanne Myre avertit son lecteur : « Toute ressemblance avec des personnes vivantes serait évidemment fortuite et involontaire (sauf en ce qui concerne Martine Desjardins). » Le duo de femmes écrivaines qu’elles forment et leurs répliques sont délectables : Tatiana de Rosnay et Sylvia Plath — de leur nom d’emprunt —, deux femmes qui disent travailler sur un projet à quatre mains, mais qui profitent plutôt de leur séjour pour fumer de l’herbe dès le matin.

Les références à Foenkinos, et à son bouc, sont légion. Celles au visage ovale et parfait d’une telle sont qualifiés de ninesque, une étrange femme habillée en lapine qui fait une violente intrusion dans la bouche de Poe dit se prénommer Beatrix Potter, Patrick Senécal et son œuvre sont cités ici et là, bref, l’amoureux des lettres prendra plaisir à tous ces clins d’œil bien pensés, parfois subtils et parfois soulignés à grands traits. « Je veux être Amélie Nothomb, ça ne doit pas être si difficile, écrire un petit livre de moins de deux cents pages, vu qu’elle en fait apparemment quatre par année pour n’en retenir qu’un », dira Gabrielle Roy…

3. Pour l’aspect « thriller »
Dès les premières pages, le doute est distillé : dans les petites annonces d’un jour, on parle du Sanatorium comme d’un lieu « digne du château de Dracula », dont les « jardins d’inspiration probablement roumaine invit[ent] à la méditation, au jardinage ou à l’empalement cervical ». Et comme la quatrième de couverture — tout comme ce texte — mettra la puce à l’oreille du lecteur que des disparitions et d’étranges épreuves potentiellement mortelles se dresseront sur la route des participants, qui ont bien entendu dû laisser leur téléphone portable au responsable dès leur arrivée, le fil du suspense sera tendu. Oh, et on fait aussi rapidement la connaissance de Daphné du Maurier, de son pseudonyme littéraire, la voisine de chambre de Poe, qui n’est pas celle qu’elle prétend être…

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