Virginie et Paul ne sont plus maîtres chez eux. Couinements, grattements et petits pas font de leur quotidien un combat contre l’envahisseur. Alors que leur sentiment de sécurité s’effrite, que la dramatisation de la situation grandit à des vitesses différentes au sein du couple, que leurs enfants commencent à croiser d’effrayantes bestioles la nuit, le roman Les hôtes, lui, tient son lecteur sur le bout de sa chaise. C’est que Myriam Ouellette a une plume habile qui sait sonder la complexité des situations, des interactions, des émotions. Cet ouvrage intelligent parle bien plus que de la visite non désirée de rongeurs et nous ramène à ce chez-soi, ce lieu illusoire qu’on cherche trop souvent entre quatre murs plutôt qu’en soi.

Impossible de le croire avant d’avoir lu votre ouvrage : il peut s’avérer intéressant, voire palpitant, de lire près de 200 pages consacrées à une famille qui est aux prises avec une invasion de petits rongeurs. D’où vous est venue l’idée de consacrer votre premier roman à la tension qui peut s’installer dans un chez-soi lorsque des intrus y élisent domicile?
Bien entendu, l’infestation est une expérience assez commune que j’ai moi-même vécue à deux reprises. Ce qui m’intéressait toutefois dans cette trame somme toute anecdotique — outre l’avantage d’une progression narrative proche du thriller —, c’est qu’elle permettait de mettre au jour certains enjeux liés à la question de l’habitat. Qu’est-ce que ça veut dire, habiter un corps, une maison, une planète, un imaginaire, une mémoire? Habite-t-on ou est-on habité? Le roman, par exemple, interroge la coupure entre le dedans et le dehors. Les personnages découvrent que ce qu’ils croyaient être un lieu sûr est en fait toujours, pour le meilleur et pour le pire, un lieu poreux. Plutôt qu’une frontière claire qui sépare l’intérieur et l’extérieur, il y aura dans le roman, emboîtées les unes dans les autres, une suite d’intériorités qui se télescopent, depuis les profondeurs psychiques jusqu’à la voûte céleste.

Parlons de la construction du personnage de Virginie. Pourquoi avoir choisi de lui donner une mère distante et une passion pour les dioramas miniatures?
Virginie n’a pas eu droit, ou très imparfaitement, à cette première maison qu’est la maman, le ventre maternel. Diane, sa mère, est une aventurière qui n’a jamais voulu incarner un chez-soi pour sa fille. Non seulement elle lui a refusé son giron, mais elle a aussi empêché, en liquidant tout objet superflu, que leur logis devienne un lieu de mémoire, de transmission. Virginie est alors vouée à la recherche compulsive d’un intérieur idéal. C’est un peu par hasard, et dans le tumulte de l’infestation, qu’elle se met à fabriquer des dioramas miniatures avec des petits objets glanés çà et là dans l’appartement. Et là, on a l’impression (mais c’est peut-être encore un leurre, après tout, ces décors sont conçus en trompe-l’œil) qu’avec le geste créateur, voire démiurgique, Virginie retrouve la maîtrise, l’ordre, le sens. Et puis il y a quelque chose de poétique dans cette symétrie qui la fait se pencher sur ces petits intérieurs en même temps que le lecteur épie les protagonistes dans leur maison.

Les passages avec les quelques exterminateurs — qui ont chacun une méthode qui sera démolie par un autre — sont particulièrement savoureux et jalonnent les différentes étapes d’infestation — ou de déclaration de guerre — que vit le couple. Chaque fois le lecteur attend en même temps que la famille la réponse salvatrice. Parlez-nous de l’écriture de ces scènes. Vous avez dû drôlement vous renseigner, sinon vivre vous-même ce type de problèmes domestiques, pour en connaître autant sur les façons de venir à bout des envahisseurs, non?
Oui, j’ai eu affaire à quelques exterminateurs et j’ai aussi beaucoup lu sur le sujet! Il y a là, c’est vrai, un réel potentiel comique! Je suis d’ailleurs ravie d’apprendre que ces scènes produisent leur effet! Au-delà de la cocasserie, c’est une sorte de joute philosophique que j’ai voulu mettre en scène avec les différents exterminateurs. Chacun y va d’une version de la réalité, d’un récit. Et tous ces points de vue incompossibles finissent par saper la possibilité même d’une vérité. Si bien que les personnages sont graduellement dépossédés de toute certitude, ils se mettent à douter de tout. L’épreuve de l’infestation n’est plus seulement matérielle, elle devient psychologique, voire existentielle. Paul et Virginie se voient brutalement expulsés d’un monde qu’ils croyaient connaître et maîtriser.

Vous avez étudié et vous enseignez la littérature. Quelles lectures ont été percutantes ou formatrices pour vous et lesquelles ont laissé une trace dans votre écriture? En d’autres mots : quelles sont vos influences littéraires?
Quand j’ai commencé à écrire Les hôtes, j’avais très précisément pris pour modèle En rade de Joris-Karl Huysmans, à la fois pour le ton drolatique et le propos acerbe sur la nature. Et puis l’idée d’un thriller philosophique m’a surtout été inspirée par Gombrowicz, notamment avec son Cosmos. Il y a aussi un clin d’œil à l’œuvre Les choses de Perec, surtout pour la dimension sociologique. Je venais aussi de lire Les escaliers de Chambord de Pascal Quignard, un roman-puzzle sur un collectionneur de jouets miniatures. Je suis fascinée par les livres que j’appellerai « collectionneurs », qui mettent en scène des objets, des listes, des mondes. Je pense que cet aspect est assez visible dans mon roman.

Photo : © Julie Artacho

Publicité