Miléna Babin : Enfumer les chimères

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On dit d’elle qu’elle est la protégée de Stéphane Dompierre. On raconte aussi qu’elle faisait partie de la gang des populaires à l’école secondaire, mais en vérité elle était de nature plutôt solitaire; c’est sa participation au blogue Nous sommes les populaires qui a tendance à confondre tout le monde. Le truc sur Stéphane Dompierre, par contre, ça c’est vrai. Et c’est vrai aussi que Miléna Babin a du talent. Son premier roman, Les fantômes fument en cachette, prouve qu’elle a du style, de l’humour et une belle dose de sensibilité.

Maeve et Loïc savent depuis longtemps que leur relation fusionnelle s’inscrit dans la catégorie des amours qui blessent, qui détruisent. À défaut de former un couple normal, ils sont devenus les piliers d’un étrange trio d’inséparables complété par Fred qui apporte un semblant d’équilibre à leur amitié tortueuse. Ajoutez au portait une vieille dame attachante, un petit bout de femme de 8 ans, un musicien totalement craquant, sans oublier un plant de verveine mal en point, campez le tout dans les rues de la Vieille Capitale, et vous aurez déjà un bel aperçu de la trame de fond qui compose le premier roman de la jeune écrivaine d’origine gaspésienne. Chacun des personnages brille par sa marginalité, son authenticité, sa fragilité aussi, et il faut peu de pages pour qu’on s’attache à cette jeune bande d’excentriques.

La blogueuse a mis plus de huit ans à terminer Les fantômes fument en cachette et c’est peut-être ce qui explique que ses protagonistes soient à ce point travaillés, colorés. « J’ai commencé à écrire cette histoire quand j’étais en secondaire 5. Évidemment, mes personnages ont beaucoup évolué au fil du temps. Au début, ils avaient 17 ans et, dans le roman final, ils ont la fin vingtaine. En fait, dans les premières versions, Fred n’existait même pas et c’était le triangle entre Maeve, Kancelle [la fillette de 8 ans] et Max [le musicien] qui était mis en valeur. J’ai réécrit l’histoire de A à V (juste pour ne pas dire de A à Z) pas moins de six fois! », explique l’auteure, qui porte également le chapeau de chef de pupitre Arts et culture à l’Impact Campus, le journal étudiant de l’Université Laval.

« Ça va peut-être paraître ésotérique, mais j’ai l’impression que cette histoire-là était en moi et qu’il fallait simplement que je la déterre… un peu comme un sculpteur qui dirait que l’œuvre est déjà dans le bout de bois qu’il s’apprête à tailler. » Miléna Babin aurait pu continuer longtemps à peaufiner son récit, mais elle s’est montrée étonnamment lucide pour une nouvelle romancière : « Avec le temps, on se met à avoir plein de nouvelles idées et on essaie de toutes les mettre dans le même livre et ça devient dangereux. » Elle a donc apposé le point final et fait ce que peu de jeunes auteurs osent : elle a écrit un courriel à son écrivain préféré pour lui demander d’être son mentor. « Stéphane Dompierre m’a répondu (et je pense que je vais garder ce courriel toute ma vie) que la dernière fille qu’il avait coachée faisait maintenant pousser de la menthe à la campagne. En gros, il l’avait tellement découragée qu’elle ne voulait plus écrire. Il a ajouté que s’il était éditeur, il ne publierait aucun livre et qu’il ne comprenait même pas pourquoi quelqu’un l’avait édité lui. Il a tout fait pour me décourager et, finalement, il m’a poussée vers Véronique Marcotte. » La jolie blonde a donc travaillé avec l’auteure de Tout m’accuse, mais elle était loin d’en avoir fini avec celui d’Un petit pas pour l’homme : « Finalement, Stéphane m’a tendu plein de perches, il a entre autres beaucoup poussé mes textes quand je me suis mise à écrire pour “les populaires”, et finalement on est devenus de véritables amis. »

 

Alcool, café au lait et cigarette

Celle qui a grandi dans la baie des Chaleurs avoue sans détour être une fille du quotidien, d’images qui naissent des petites choses, et on ressent rapidement les effets de cette douce poésie de la banalité qu’elle maîtrise avec brio. Son roman vibre au son des guitares de The Kooks, Jeremy Fisher, Damien Rice ou The Strokes, en fonction des circonstances; il embaume le café au lait des matins d’automne; il recrache des relents d’alcool, de peinture fraîche, de soupe tonkinoise commandée au resto du coin; il cherche le vent dans quelques romans bien choisis; il marche parfois à pas feutrés sur le palier et, d’autres fois, il fracasse tout sur son passage… Mais surtout, surtout, il aime se perdre dans les vapeurs de la cigarette. « Je trouvais que la cigarette avait quelque chose de fantomatique et je trouvais ça intéressant. Combien de monde fume pour la poésie du geste; quand tu t’allumes une cigarette dans une soirée, tu deviens soudain un tableau… Et comme je disais : je suis une fille du quotidien, d’images, de tableaux… Après, c’est vraiment mon côté adolescente qui aime l’image du bad boy qui fume », rigole-t-elle.

Les fantômes fument en cachette a donc un petit parfum controversé, mais il suffit que l’auteure ouvre grandes les fenêtres de son univers sur la bouillonnante ville de Québec pour qu’on ait envie de respirer à pleins poumons l’ambiance de ses pages. Miléna Babin a beau être native de Carleton-sur-Mer, elle crie haut et fort son appartenance à la ville fondée par Samuel de Champlain. « Mes racines sont vraiment ici, à Québec, même si je suis Gaspésienne. Avant Véronique Marcotte, je travaillais avec une autre auteure qui m’avait suggéré de transporter mon histoire ailleurs dans le monde, exemple à Paris; elle disait que les gens ne voudraient pas lire quelque chose qui se passe à Québec, qu’ils voulaient voyager. Ça m’a tellement dérangée! Moi, j’aime justement lire un Jacques Poulin et aller me promener dans les rues, les quartiers qu’il décrit. En plus, je trouve que Québec est tellement rempli de personnages! »

Oui, la Vieille Capitale est remplie de personnages, et plusieurs d’entre eux fument en cachette.

 

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