Motivé par une recherche de franchise écartant toute complaisance, Gabriel Cholette signe avec Les carnets de l’underground un premier livre qui n’use d’aucun détour. Il nous plonge au cœur de nuits électrisées où, saturés de drogues et d’alcool, des garçons se jaugent et se désirent.

Vous avez commencé par publier vos écrits sur Instagram. Qu’est-ce qui vous a amené du réseau social au livre et comment s’est opérée la transition?
Ça a commencé de façon un peu pirate. Les carnets ont été publiés d’abord sur Instagram parce que je voulais infiltrer une plateforme dédiée à l’image avec des textes. Ils respectent le format imposé par l’application (une série de dix images maximum) tout en y montrant une sorte d’indiscipline, parce qu’il est plus ou moins commun de partager des stories comme ça. Ensuite, une fois les textes mis en ligne, j’ai été chanceux : mon éditeur Pierre-Luc Landry les a repérés et m’a proposé de les publier en livre. Ce nouveau format a un peu changé ma façon d’écrire Les carnets — parce qu’ils n’étaient pas tous écrits quand PL m’a approché — et les derniers sont un peu plus libres dans la forme, plus pour le dernier. Ça m’a aussi permis de créer un fil narratif du début à la fin, qui va de l’émerveillement jusqu’au désenchantement. Et je vois dans le livre une certaine forme d’archive : parce que sur Instagram, tout risque de partir, c’est éphémère. Les illustrations de Jacob pourraient être ciblées par les politiques anti-sexe d’Instagram et notre page pourrait disparaître du jour au lendemain.

Vos carnets témoignent d’un grand souci de réalisme et de transparence. Étaient-ce les prémices de votre démarche et si oui, pourquoi?
Oui! Une transparence, parce que je suis tanné de camoufler la vérité. Dans la préface de Tom à la ferme, Michel Marc Bouchard écrit : « Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. » On m’a souvent dit que j’étais trop intense quand je parlais de mes histoires d’amour et de fête, ce qui a fait que j’ai scindé fortement ma vie professionnelle et ma vie intime. Je veux plus faire ça. Par l’écrit, j’ai essayé de montrer une autre vision du rave, en dévoilant sa dimension identitaire et initiatique, en m’assumant pleinement, dans le but de briser les tabous, des tabous qui pèsent lourd sur la communauté queer.

Que représente le queer pour vous et en quoi cela teinte-t-il votre écriture?
Le queer, pour moi, c’est tous ceux qui se sentent à l’écart de la norme. C’est notamment lié à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, mais je pense que ça peut venir d’un nombre d’expériences qui te donnent un regard différent sur le monde. Et en ce sens, ça teinte mon écriture parce que je dévoile un monde qui ne correspond pas exactement à la vie en société. Quand tu entres au Berghain — ou à n’importe quel after party —, tu te rends bien compte qu’il y a des nouvelles règles à l’intérieur qui ne sont pas celles de l’extérieur.

Vous faites la description d’une suite de nuits passées dans les bars et les after sans qu’il y ait vraiment de rupture dans cette succession. Le fait d’avoir évacué l’introspection ou le pas de recul est-il un choix?
Oui, c’est un choix. Je voulais rester dans l’action. Mais je pense qu’en étant dans l’action, il y a des moments où je réfléchis à ce qui se passe, comme quand je me regarde dans le miroir et que je me demande si le fait d’être trop sorti peut m’avoir vieilli de façon permanente. Il y a un pas de recul qui s’effectue parce que, entre les différents carnets, je suis rentré chez moi, placé devant mon ordi pour les écrire. Le récit est continu, mais mon expérience de rave ne l’a pas été, elle s’est surtout échelonnée sur quatre ans.

Vous montrez à plusieurs reprises un univers où la question de l’image prend beaucoup de place. Sans nécessairement démoniser le culte des apparences, qu’est-ce que cela révèle sur notre société?
Ça révèle qu’Instagram est partout! L’application a lentement changé notre rapport aux autres, notre façon d’archiver (par l’image, par les stories de dix secondes) et la façon de penser à notre propre valeur. Je sais que ce n’est pas tout le monde qui est sur l’application, mais, en ce moment, elle représente parfaitement comment notre société fonctionne : likes, followers, rapport à l’image, branding de soi, etc. C’est là même en politique, ça ne concerne pas juste les influenceurs et les influenceuses.

Pour vous, les illustrations explicites de Jacob Pyne que l’on peut voir au fil des pages sont-elles complémentaires à votre processus d’écriture?
Au fil des histoires des Carnets, on me voit développer une relation avec Jacob (mon ex) et je pense que le livre — avec son amalgame texte/image — est le prolongement de cette relation. Parce qu’il y a eu une sorte de va-et-vient entre lui et moi, j’ai appris beaucoup de sa façon de dessiner, lui qui se concentre sur des symboles de la communauté gaie et qui les amplifie. Tout le « hors-texte » de mon livre me touche beaucoup, l’alliage des illustrations et des récits, mais aussi le fait qu’il ait son nom sur la couverture et les remerciements à la fin du livre. Ça représente les deux années qu’on a passées ensemble.

Photo : © Justine Latour

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