Avec son premier roman Confluences, François-Alexandre Bourbeau, libraire à la Librairie liber à New Richmond, abolit le temps ou plutôt le revisite, lui donnant une forme extensible où les personnages et les événements traversent les époques pour figurer une chaîne infinie de liens et de référents. Nous vient en tête l’image du battement d’ailes du papillon qui engendre à sa suite une myriade de mouvements et pourfend le règne des siècles pour influencer radicalement le cours du monde. Tour à tour cocasses, baroques, fantasques et poétiques, les histoires racontées deviennent légendes, comme autant de contes des mille et une nuits qu’on ne peut s’empêcher de vouloir entendre. On entre donc dans ces pages sans jamais être certain d’en sortir, fasciné par les multiples circonvolutions qui ne cesseront leurs tours et détours qu’une fois le livre refermé. Et encore…

Plusieurs histoires et personnages s’entrecroisent dans Confluences et, sans nécessairement interagir, exercent une ascendance les uns sur les autres. De quelle façon cette structure, tout en mouvance et en rappel, vient-elle servir vos propos et votre écriture?
J’aime l’idée d’une linéarité éclatée, comme une fresque qui se révélerait petit à petit, dans le désordre, pour nous permettre d’en saisir graduellement la vue d’ensemble et de rapiécer les morceaux. Au moyen de fictions qui s’enchevêtrent et s’entrecoupent — que ce soit par un objet, un événement ou un personnage, côtoyé de près ou aperçu de loin —, je souhaitais brosser un portrait où tout se rattacherait sur plusieurs époques et en différents lieux. L’un des personnages de l’histoire, Ike, affirme que la mouvance est fondamentale. On retrouve, dans ces propos, mon appréciation de la fragmentation et de l’épisodique. Le livre se déploie simultanément en plusieurs temps, les retours en arrière ponctuent la trame présente du texte à la manière de parenthèses. Confluences, c’est une collection de parenthèses conjuguées à plusieurs temps. Il y a là quelque chose d’assez visuel, aussi.

Bien que nous nous retrouvions dans de nombreux lieux et univers, tous différents et singuliers, le thème de l’eau et des fonds marins revient régulièrement. Qu’est-ce qu’il évoque au juste pour vous?
L’eau, malgré la plus grande tranquillité, échappe à l’immuabilité. Le concept est séduisant. Puis il y a la question de la grandeur, de l’ampleur et de la démesure. La mer est d’une beauté à couper le souffle, mais elle est aussi d’une cruauté implacable. Elle renferme la vie et la lumière, mais aussi les gouffres abyssaux. Elle recèle sa part de mystère et d’inconnu. La mer a également écrit de fameux chapitres de l’Histoire! Et comme j’adore les récits d’aventure et de navigation, les histoires de corsaires et de naufrages, il fallait que la mer et l’eau se retrouvent dans le livre. Quand j’étais enfant, mes premières véritables découvertes en littérature ont été Jules Verne et Tintin, des univers riches en aventures maritimes, qui restent gravés dans la mémoire. Bref, l’eau enveloppe et fracasse, propulse et coule. C’est un concept de tous les paradoxes. Le fait que je demeure près de la mer y est aussi sûrement pour quelque chose…

Dans votre roman, des descriptions très réalistes côtoient des phénomènes invraisemblables — je pense ici à la téléportation du personnage d’Albert ou à Paul choisissant de vivre dans les profondeurs de l’océan. Pour quelles raisons avez-vous souhaité inviter les situations rocambolesques?
Un brin de fantaisie permet d’explorer des situations qui nous seraient autrement inconnues. La mise en parallèle des deux éléments crée la surprise. Un phénomène invraisemblable, mais dont l’explication est parfaitement plausible, le rend moins saugrenu et lui confère un caractère encyclopédique. C’est comme un jeu dans lequel la science ferait les meilleurs coups, ce qui permet de renchérir en extravagance. Le rocambolesque puise tout de même dans le vrai, puisqu’il nous amène à accepter un élément impossible ou invraisemblable comme quelque chose de réaliste, loin de l’étonnement. La question de l’ambiance entre aussi en ligne de compte et permet de jongler avec les impressions. La lenteur et la lourdeur sous l’eau, puis l’éclatement de l’imagination de ce à quoi pourrait bien ressembler l’intérieur d’un trou de ver (comme ceux dans l’espace, pas dans le sol…). Une étincelle, une brève échappatoire.

Photo : © Geneviève Smith

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