Éric St-Pierre travaille dans le milieu de l’édition depuis 2011. Mentionner qu’il connaît les rouages du milieu littéraire n’est donc pas sans intérêt, vu le sujet abordé dans Comment écrire Comment écrire un best-seller. Roman épistolaire dont le lecteur n’a accès qu’aux lettres écrites par l’auteur à succès à sa nièce qui rédige elle-même un guide pour devenir auteur de best-sellers, ce livre humoristique recèle une foule d’idées reçues (il est plus vendeur d’être un homme qu’une femme, ainsi, mieux vaut pour les demoiselles de prendre un pseudonyme ; il ne faut pas hésiter à choquer ou à vexer ses lecteurs, etc.), dont plusieurs font rire jaune tellement leur énormité n’est pas si loin de la réalité… Éric St-Pierre, dans son roman comme dans ses réponses, prouve qu’avec un peu d’humour, il est possible de pointer gentiment du doigt certaines absurdités.

Votre narrateur, qui s’exprime grâce à des lettres, a un grand mépris de ce qu’il considère comme moins élevé que lui – c’est-à-dire beaucoup de choses et de gens! En usant d’un personnage aussi caricatural, quelle était votre intention?
La caricature, à mon sens, a deux fonctions essentielles. La première, et la plus intéressante d’un point de vue créatif, est de « désencarcaner » l’écriture. En jetant les bases du monstre qu’allait devenir Rick Stone, j’ai vite compris que l’effet du personnage (et mon propre plaisir) se verrait amoindri si je ne faisais pas complètement sauter les digues du sens commun et de la décence humaine. Pour me donner envie de poursuivre, il me fallait imaginer, à intervalles réguliers, des phrases d’une absurdité inqualifiable : un processus éminemment libérateur. La seconde fonction, quant à elle, rejoint mes valeurs les plus profondes : dépeindre (et dénoncer, en les amenant à leur aboutissement logique) des pratiques et des attitudes dont j’ai pu être témoin au cours de ma (courte) carrière.

Où se situe, dans votre livre, la limite entre ce qui est de la satire pure et votre opinion de la « best-sellerisation » dans le milieu du livre au Québec?
À certains moments, mon narrateur s’épanche dans des excès de sincérité naïve sur ce qu’il croit être des vérités absolues : les critiques sont des vipères envieuses, il a entièrement mérité son succès, les jeunes sont des blancs-becs un peu paresseux, sa prose représente le nec plus ultra de la littérature, son serviteur et sa nièce lui vouent une admiration et un amour inconditionnels… Pourtant, lorsqu’il s’attarde aux mécaniques du livre, à la manière dont on peut influer sur sa réception, aux préjugés favorables qu’on réserve (notamment) aux hommes, il touche malgré lui à des dynamiques bien réelles. Entre ces moments de lucidité mercantile et ses égarements purement narcissiques (fort nombreux), on trouve probablement la zone grise où j’ai pris un plaisir fou à danser.

Comment écrire Comment écrire un best-seller montre la différence qui existe entre le contenu d’un livre (que votre narrateur caractérise de « prosaïque ») et cette idée de promotion – ou d’autopromotion – autour dudit livre (qui, cette fois, est caractérisée d’« essentielle » par le narrateur). Selon vous, au Québec, le succès d’un livre repose-t-il sur la promotion qui en a été faite plutôt que sur son contenu, comme le suggère votre personnage? 
Je ne pense pas que j’aurais écrit ce livre si je n’avais pas ressenti au moins une pincée de frustration, voire d’impuissance, devant les critères souvent loufoques sur lesquels on juge la qualité de notre littérature. Une expression que j’emploie régulièrement est que « le contrôle, c’est une ILLUSION »! Pour un ouvrage dont le battage médiatique est en adéquation avec la qualité du contenu (allô, Stéphane Larue!), on en trouve des dizaines d’excellents qui passent, bon an, mal an, sous le radar. La rareté de notre appareil critique au Québec, l’évolution de la culture des loisirs, la belle gueule ou non d’un(e) auteur(e), sa nouvelle chronique radio, son apparition dans une téléréalité : combien d’autres facteurs favorisent-ils, selon vous, l’emballage au détriment de du contenu?

Et vous, souhaitiez-vous que votre livre devienne un best-seller?

Comme on souhaite un poney à son anniversaire. (Note à papa et à maman : j’attends toujours.)

 

Photo : © Martine Doyon

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