Claudine Dumont : La romancière qui aimait les livres d’horreur

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Parce qu’elle a toujours trouvé la vie un brin ennuyante, quand elle écrit, l’auteure lavalloise Claudine Dumont y ajoute « un soupçon de plus », dépassant le réel à travers ses thrillers psychologiques, notamment son deuxième, La petite fille qui aimait Stephen King, qui sans verser dans l’horreur, dresse le poil des bras.

Il s’agit d’un roman idéal pour ceux qui veulent suivre un régime amincissant. Cette remarque fait rire la ténébreuse écrivaine quadragénaire. Elle avoue : le fil de l’intrigue est tissé d’éléments qui coupent l’appétit. Tout révéler briserait le charme de la lecture, mais admettons d’emblée qu’insectes gluants et rampants sont, entre autres, convoqués dans cette étrange histoire de sœurs quasi symbiotiques qui se retrouvent prisonnières d’une succession d’événements troublants.

D’abord, il y a Julie, la grande sœur et narratrice de La petite fille qui aimait Stephen King. Julie, jeune adulte au cégep, nous apparaît forte, résiliente, immensément liée à Émilie l’adolescente, sa petite sœur autiste qu’elle saisit comme personne d’autre. Même leurs parents récemment séparés ne savent plus où donner de la tête, surtout depuis cet accident, relaté dans les premières pages du roman et véritable pierre angulaire du suspense.

Sœurs, envers et contre tous
L’amour incommensurable que Julie voue à sa protégée résistera-t-il au choc du tragique qui façonne dans la plus grande frayeur et incompréhension sa sœur qui, en raison de son autisme, vit déjà en marge des autres?

« Je me suis intéressée à l’amour familial ou à celui entre sœurs, le seul qui, bien souvent, peut rester intact, indestructible à travers les aléas de la vie, même si les individus changent au fil du temps. Ce n’est pas comme les couples… », explique Claudine Dumont.

Cadette d’une famille unie comptant trois enfants – des filles s’entendant très bien –, l’auteure estime que sa fascination pour le monde des sœurs s’explique en partie par l’aspect mythique émanant de la trilogie sororale dans la littérature; pensons seulement aux célèbres Brontë, à Cendrillon et ses vilaines demi-sœurs, au conte norvégien Les trois sœurs, etc.  

D’ailleurs, dans sa fiction, Claudine Dumont s’avère une redoutable conteuse qui ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis. Il n’y a pas un mot de trop dans son écriture aussi syncopée que les battements de cœur des lecteurs tenus en haleine. Il n’est pas surprenant que, jadis, les sujets de son mémoire de maîtrise et de sa thèse doctorale en littérature aient porté respectivement sur la pulsion de mort dans les contes des frères Grimm et sur le désir et la jouissance dans les contes de Jacques Ferron… « Les contes sont un modèle parce qu’ils incarnent pour moi la quintessence de l’efficacité dans une structure simple. »

Fille d’horreur
Or le genre littéraire qui la comble au plus haut point reste l’horreur, avec en tête de liste Stephen King, qui l’inspire à sa table de travail. « C’est comme pour d’autres qui écoutent des films de filles; c’est divertissant et peu introspectif. Ce n’est pas que je n’aime pas Dostoïevski, j’adore Dostoïevski, mais il demande un effort. Comme pour [Marguerite] Duras, avec elle, tu as le cerveau qui doit saigner. [Stephen] King, lui, c’est juste du bonbon. » 

Bien sûr, comme l’Émilie de son roman, de son écrivain fétiche elle a tout lu depuis ses 12 ans. « J’ai adoré Histoire de Lisey, écrit après son accident en 1999 et dans lequel il est notamment question du lieu où il va puiser son inspiration. »

La romancière, elle, ne cultive pas de lieu sacré particulier ailleurs que ce qui se trouve entre ses deux oreilles : « Tout se passe dans ma tête, entre le désir, le rythme et les images qui me plaisent, mais quand j’ai l’impression que je n’écris que des inepties, je dois arrêter et faire autre chose. Alors les idées reviennent. Et, à bien y penser, c’est souvent dans ma douche que surgissent mes meilleures idées! C’est peut-être l’eau chaude sur la tête… »

Parmi ces illuminations, il y a Madawaska, où son histoire débute. Ce n’est d’ailleurs pas un adon si tout commence à cet endroit précis, dans le Maine, aux États-Unis. Contrairement à ce qu’on serait tenté de penser, ce choix ne s’explique pas parce qu’à trois heures au sud de cette campagne faite de champs de maïs et de patates il y a Bangor, où, sur la 13e Rue, vit un certain Stephen King. « Ma tante Doris habitait vraiment à cet endroit, si bien que j’ai des souvenirs précis des odeurs et des sensations liées à cet environnement », soutient-elle.

À l’encre de soi
Claudine Dumont préfère écrire à partir de lieux qui lui sont familiers. Idem pour la description des émotions chez ses personnages. « Je tente d’aller au plus près de ce que je ressens pour que ce soit le plus crédible sur papier. Dans Anabiose, mes deux personnages surmontaient des phobies dont je saisis très, très bien les effets : celle de l’enfermement me concerne et la peur des piqûres tourmente plutôt mon fils… »

Dans La petite fille qui aimait Stephen King, il est question d’insectes. Souvent. Tiens, tiens… « J’admets que c’est ce que ça me prenait pour créer des scènes horribles qui peuvent couper l’appétit. Pris individuellement, ils me laissent de glace, c’est en groupe qu’ils me lèvent le cœur. Surtout les asticots sur une pièce de viande. Ça m’écœure à un point tel que je sais être très convaincante. »

Puisque ce thriller psychologique comporte plusieurs clés qu’il vaut mieux ne pas révéler afin de ne pas nuire au plaisir du suspense, n’extrapolons pas plus. Ni sur ces étranges sœurs ni sur les insectes.

Précisons tout de même que si son titre fait référence au célèbre auteur de Carrie ou de Ça, il se veut aussi un clin d’œil à feu Gaétan Soucy, créateur de La petite fille qui aimait trop les allumettes. « Un peu avant que mon premier roman Anabiose ne paraisse en 2013, je me disais qu’enfin j’aurais une chance de le croiser, de lui parler dans des rassemblements d’écrivains québécois. Puis, non, il est mort. J’ai ressenti beaucoup de tristesse. »

Ce dernier opus, comme un hommage à Soucy, elle espère qu’il l’aurait aimé. 

 

Crédit photo : © Sylviane Robini

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