La vie prend parfois la forme d’une boucle, nous ramenant vers des sentiers déjà explorés pour découvrir de nouvelles avenues et possibilités. C’est ainsi que, dix-huit ans après son premier roman, Ha Long, publié en littérature adulte chez Leméac éditeur, Linda Amyot revisite littérairement le Vietnam et la thématique de l’adoption avec Le voyage à l’envers.

« Ce n’est pas autobiographique! » précise Linda Amyot d’entrée de jeu, même si elle admet que son intérêt pour ce thème particulier, comme pour le Vietnam lui-même, vient forcément de sa propre histoire, l’autrice ayant adopté une fille dans ce pays. « J’écris de la fiction pour parler de possibilités, donner des morceaux de réponses à des questions que je ne me suis parfois même pas encore posées. »

D’abord pensé à deux voix, comme un écho à Ha Long dont la narration était assurée en alternance par Élise, mère adoptive en devenir, et Ai Van, mère biologique, Le voyage à l’envers a mis un moment avant de trouver une forme et un public définitifs. Finalement, c’est Laura qui prend la parole, ce qui permet à Linda Amyot de faire passer ce nouveau récit « par le regard, la réflexion et les sens de l’adolescente » et de miser sur l’intensité des réactions.

Laura est en colère contre son père, mort cinq ans plus tôt, toujours incapable de comprendre pourquoi il est parti jouer au tennis malgré la chaleur intense qui aura eu raison de lui. Si l’émotion est enfouie profondément sous le déni, l’adolescente préférant « faire semblant qu’il est en voyage d’affaires quelque part, loin, et que les conditions météorologiques retardent sans cesse le décollage de son avion », elle ressurgit quand sa mère vient vers elle avec ce projet qui était d’abord le leur, à son mari et elle, de retourner au Vietnam.

La relation complexe de l’adolescente, tant avec son père disparu dont elle n’a pas fait le deuil qu’avec sa mère et ses lubies, est un des moteurs du récit. « Se définir à l’adolescence, ça se passe aussi souvent “contre” les parents », explique Linda Amyot, et c’est chez Adrien, son amoureux qui a aussi dû faire face à une situation complexe avec son paternel dans Le garçon aux chiens, que l’héroïne trouve une oreille attentive.

« Je ne veux pas écrire des suites, affirme l’autrice quand on s’étonne de retrouver plusieurs de ses personnages d’un livre à l’autre. Mon but est plutôt de construire un univers. » En effet, si elle fait converger pour la première fois ses univers adulte et jeunesse, l’autrice est une habituée des routes croisées. C’est ainsi qu’Elaine, rencontrée dans La fille d’en face et Le jardin d’Amsterdam, est la meilleure amie d’Adrien, héros du Garçon aux chiens, livre dans lequel Laura fait son apparition.

« Dès que j’ai utilisé ce prénom qu’Élise donnait à sa fille à la toute fin de Ha Long, Laura, spécifiant qu’elle était asiatique, le filon était placé, je savais que c’était le même personnage », raconte Linda Amyot.

Adrien et Laura échangent donc les rôles principaux et secondaires, le premier se retrouvant à être l’interlocuteur extérieur, celui à qui la deuxième peut se confier en réel dans la première partie, « Ici », puis à distance dans la deuxième, « Là-bas », alors qu’elle lui rédige de longs courriels pour faire le point sur le voyage et partager avec lui son ressenti… qui évolue.

Au départ, Laura n’a aucun intérêt pour ce voyage, voire l’aborde à reculons, ne voyant pas ce qu’elle « irait faire dans ce pays inconnu où [elle] n’a aucun lien », elle qui considère que ses racines vietnamiennes se limitent à ses yeux bridés. Néanmoins, la route empruntée avec sa mère sera l’occasion de prendre conscience de sa double réalité et de la richesse de celle-ci même si, au départ, elle reste sur la touche.

Il faut dire que la première partie du périple ressemble davantage à un pèlerinage qu’à une véritable exploration pour la mère de Laura. L’adolescente est entraînée de force à découvrir la chambre d’hôtel où ses parents avaient logé à l’époque, puis l’orphelinat où elle a été adoptée, et rencontrer celle qui fut sa nourrice. Mais Laura n’a aucune des réactions attendues, ou du moins espérées par sa mère. « Il y a autant de réactions que d’enfants adoptés », souligne Linda Amyot en parlant du rapport à la vie « d’avant » ou au pays d’origine. Oui, c’est surprenant pour Laura d’avoir l’impression pour la première fois de se fondre dans la masse, mais les « Welcome home » lancés par les Vietnamiens qu’elle croise sonnent creux pour celle qui considère le Québec comme sa maison et Élise comme sa véritable mère. Celle qui s’occupe de la « job » la plus importante : « l’aimer et s’en occuper toute sa vie ».

Il faudra donc du temps pour que le basculement se produise, quand Laura affirme à sa mère qu’elle a « l’impression que c’est pas avec [elle] qu’[elle] est venue ici » et que celle-ci admet avoir voulu « faire le voyage à l’envers » et revenir dans le passé.

Cette mécompréhension initiale est inspirée de la relation qu’a eue l’autrice avec sa propre mère à la mort de son père, « même si les âges ne correspondent pas, la dynamique est la même, cette impression de voir la mère ressasser et ne plus voir le présent qu’à travers le filtre du passé ». Heureusement, Élise entraîne ensuite sa fille dans des lieux qu’elle n’a jamais vus auparavant et qu’elle découvre pour la première fois avec une Laura qui accepte de s’ouvrir à ce pays où elle est née.

C’est dans la troisième partie, intitulée « N’importe où », alors que les deux femmes se trouvent dans un avion, que la boucle se boucle, comme si le passé et le présent, tout comme les deux facettes de Laura, intérieure et extérieure, faisaient la paix grâce à un mot offert par un calligraphe.

Linda Amyot raconte avoir écrit ce roman probablement pour la même raison qu’elle a rédigé le premier. « Je ne suis pas retournée au Vietnam et probablement que je n’y retournerai jamais, mais je me suis inventé ici des bouts de réponses, des possibilités ». Et parions que l’histoire n’est pas terminée, puisque l’autrice fait partie de celle qui s’attache à ses personnages et les entend souvent lui dire : « Tu n’as pas tout à fait terminé avec moi, j’ai encore quelque chose à dire. » À suivre, donc!

Photo : © Jacques Frenette

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