Assister à l’ouverture d’une nouvelle maison d’édition est toujours un phénomène heureux. Surtout lorsque cette maison participe à faire naître chez les nouvelles générations le goût de la lecture et l’espoir d’un monde meilleur. C’est la mission que s’est donné KATA éditeur, derrière lequel se trouve Luca Palladino à qui nous avons posé quelques questions.

Votre mission est claire : donner des outils aux jeunes pour aborder les changements climatiques et tout ce qui est lié à l’environnement. Pourquoi avoir privilégié la voie des livres pour le faire?
Parce que j’adore les livres, tout simplement. Lorsqu’on lit — surtout un livre papier —, on entre en communion avec les lettres et avec l’imaginaire de l’autrice et de l’illustratrice, mais aussi de toutes les autres personnes qui ont lu la même histoire. On découvre, on imagine nous-mêmes, on apprend, on bâtit notre propre confiance… La lecture est une courroie de transmission, un outil de développement et un accès privilégié à tous les penseurs de l’histoire dans le même objet! Les jeunes méritent d’avoir des livres qui leur disent la vérité sur ce que l’humanité a fait à notre planète et quelles sont les solutions possibles. Ils ont aussi besoin d’avoir des ressources parce qu’ils seront bousculés vers le pouvoir beaucoup plus tôt qu’ils ne le pensent.

Quelle signification y a-t-il derrière le nom KATA?
C’est d’abord une version abrégée du mot « catastrophe ». Nous voulons donner aux jeunes des outils pour faire face au désastre climatique auquel nous faisons face et qui, dans quelques décennies, prendra une ampleur jamais vue. KATA fait aussi référence au lémur catta, qu’on retrouve sur notre logo : en mettant de l’avant une espèce en voie de disparition, on souligne que la beauté du monde est fragile et doit être protégée.

Je lisais dans votre courte biographie sur votre site Internet que les problèmes d’inégalités sont aussi au cœur de vos préoccupations. Est-ce que des livres abordant le sujet de la justice sociale pourraient éventuellement faire partie de votre ligne éditoriale?
Absolument. D’ailleurs, notre premier titre, Comment transformer une banane en vélo, parle de donner au suivant, et c’est là un discours profondément égalitaire. Souvent, dans une société qui prône l’enrichissement pécuniaire, l’acte le plus révolutionnaire est de donner de son temps, de s’adonner à une action qui n’est pas rémunérée, comme la création, le bénévolat ou le don de ses connaissances. La justice sociale sera également au cœur de nos titres de science-fiction, qui seront sur les tablettes plus tard en 2020.

Vous êtes le fondateur de la maison KATA. Parlez-nous un peu de votre parcours.
Depuis que je peux tenir un crayon, j’écris. Une de mes premières BD au primaire parlait d’un pic-bois et de la pollution : on ne se défait jamais vraiment de ses rêves d’enfance de changer le monde! Au secondaire, je rédigeais des nouvelles parfois un peu macabres et une prof m’avait pris à part pour me dire sur le ton le plus sérieux du monde : « Tu sais, Luca, si ça ne va pas bien à la maison, tu peux m’en parler. » J’ai réalisé que mon monde imaginaire avait eu une telle impression sur elle qu’il avait provoqué une réaction émotive!

Il y a une dizaine d’années, j’ai fondé « L’écorce fabuleuse », un concours d’écriture dont l’objectif était de solliciter la créativité des jeunes à travers le prisme des questions écologiques. Le projet a dépassé toutes les attentes : plusieurs milliers de jeunes ont participé et des centaines de textes ont été publiés. Les histoires parlaient souvent de fin du monde et de dystopie, ce qui m’a fait voir que ça permettait aux jeunes d’évacuer leur écoanxiété et de faire aller leur créativité.

J’ai aussi eu l’immense privilège de travailler à l’Association nationale des éditeurs de livres, où j’ai rencontré de nombreux acteurs de l’écosystème du livre; ç’a été une révélation. J’ai senti qu’il y avait une niche pour le genre de la science-fiction écologique. J’ai donc fondé KATA à l’été 2019 et, huit mois de dur labeur plus tard, nous avons PRESQUE lancé nos premiers titres en avril 2020… mais la pandémie en a décidé autrement. KATA frappé par la catastrophe : l’ironie est délicieuse.

Pourquoi avoir choisi de traduire La croqueuse de pierre, cette œuvre issue du folklore autochtone, et comment s’inscrit-elle dans votre ligne éditoriale?
KATA a trois lignes éditoriales : Debout! (écologie), Orbital (science-fiction) et Mythos (légendes). La croqueuse de pierre s’insère dans notre collection « Mythos » qui a pour mission la transmission de connaissances et de vérités universelles qui ont pour source les histoires fondatrices des peuples de la planète. C’est en partageant ces mythes que KATA espère transmettre les clés pour mieux comprendre la nature humaine et espérer vivre en harmonie avec tous les gens de la Terre.

Dans vos deux premières publications, en plus de faire la place à l’écologie, il y a un souci de diversité culturelle et de rapprochement entre les nations. Croyez-vous, au même titre que la militante Laure Waridel, par exemple, que ce qui importe pour beaucoup dans la cause écologiste, c’est de recréer les liens entre les humains pour que les forces puissent s’unir?
Oui, tout à fait. Nous vivons présentement dans une dystopie, dans un film de science-fiction. Des robots-chiens surveillent les parcs de Singapour pour assurer la distanciation sociale, les gouvernements permettent à des individus d’accumuler des sommes effarantes dans des paradis fiscaux, les corporations jouissent de tous les droits d’une personne sans être contraintes par les obligations légales, on rase l’Amazonie pour élever plus de bétail pendant qu’Amazon refuse de payer ses employés adéquatement… Tout cela crée un système de castes dans notre société qui ne fait qu’encourager la destruction de notre habitat.

Pour prendre bien soin de notre maison, on doit nous-mêmes nous sentir bien dans notre peau. On ne se sent pas bien lorsqu’on court après l’argent pour pouvoir consommer plus. On se sent bien lorsqu’on fait partie d’une communauté et qu’on peut s’épanouir. La diminution de la charge de travail, le revenu universel, l’abolition des paradis fiscaux sont toutes des mesures qui auront un impact positif sur l’environnement, car elles créeront les conditions gagnantes pour l’humanité.

Et, au bout du compte, lorsque la crise climatique sera trop forte pour y mettre de simples pansements, il y aura deux seules solutions pour se sortir de ce marasme : l’égalité sociale et la solidarité ou des régimes totalitaires et la souffrance.

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