Cette saison, les livres de Dïana Bélice sont partout sur les tablettes des librairies alors que l’autrice québécoise d’origine haïtienne publie non pas un, mais cinq romans, chez différents éditeurs. La plupart portent sur des thématiques dures qui peuvent surprendre celles et ceux qui ont déjà croisé la timide autrice dans les salons du livre. Mais celle qui se définit elle-même comme introvertie reconnaît que l’écriture, c’est sa façon de hurler.

Présente dans le paysage littéraire depuis plus d’une dizaine d’années, Dïana Bélice a d’abord vu plusieurs de ses manuscrits être refusés parce que la violence ou les difficultés qu’elle met en scène effrayaient. L’affirmation du besoin de diversité en littérature jeunesse a toutefois fait bouger les choses et les romans qui traînaient dans son ordinateur ont soudainement trouvé preneurs.

« C’est une forme d’opportunisme de leur part, précise Dïana Bélice lorsqu’on soulève la question. Mais si ce n’est pas moi qui prends cette place, ce sera quelqu’un d’autre. Autant en profiter pour mettre de l’avant des personnages qui méritent le devant de la scène depuis super longtemps », comme des jeunes d’origine haïtienne qu’elle présente sous un angle réaliste, avec une langue qui ressemble à celle qu’on rencontre dans les écoles montréalaises, un mélange de français, d’anglais, de créoles et d’arabe, et qu’elle confronte à des problématiques actuelles et difficiles.

« Il n’y a pas beaucoup de poils qui dépassent dans la littérature jeunesse au Québec, mais je refuse de me censurer, quitte à déranger », affirme l’autrice qui s’est fait connaître avec le roman-choc Fille à vendre paru dans la collection « Tabou » et pour lequel on lui a reproché son côté violent, d’avoir décrit sans filtre des scènes d’agressions sexuelles, d’avoir montré le côté sombre de certaines réalités. « J’ai l’impression que ce n’est pas grand-chose que je raconte, objecte-t-elle néanmoins. Les adolescents que j’ai rencontrés ont vécu des choses tellement difficiles qu’on ne peut même pas l’imaginer. »

Après avoir longtemps travaillé en intervention, Dïana Bélice trouve son inspiration lors des animations scolaires. Le plus grand compliment que ses lecteurs peuvent lui faire est d’ailleurs de lui dire qu’ils se reconnaissent dans ses histoires. « C’est important pour moi de mettre de l’avant les difficultés que certaines familles haïtiennes vivent. Notre douleur n’est jamais perçue de la même façon que la douleur d’une personne blanche. »

La notion d’espoir est souvent mise de l’avant en littérature jeunesse. Cependant, « l’espoir pour un jeune qui ne l’a pas eu facile et pour une personne normale, c’est différent », explique posément l’autrice avec une voix douce qui tranche avec certaines scènes de ses romans, notamment celles de Gangland, paru chez Boomerang dans la collection « Nuances ». En effet, ce roman présente le parcours d’un jeune dans un gang de rue en montrant que, même s’il prend la décision de partir, il est trop impliqué pour espérer atteindre la normalité à laquelle il aspire. « J’ai l’impression qu’on veut toujours montrer que c’est beau et rose. Oui, plusieurs s’en sortent, et tant mieux, mais il y en a aussi beaucoup qui ne sont pas représentés et qui, eux, n’auront pas de fin heureuse. »

C’est donc son cheval de bataille, qu’elle mène à travers des récits plus réalistes généralement ancrés dans Montréal, même si cette saison elle offre deux propositions différentes. Il y a d’abord Militant, une duologie parue chez De Mortagne qui s’inspire de la passion de Dïana Bélice pour les films d’action à la Marvel et dans laquelle elle joue avec le fantastique. C’est toutefois le thème de l’environnement qui y vole la vedette, une citation de Greta Thunberg donnant le ton dans les premières pages.

« Je suis optimiste, affirme l’autrice avec un sourire quand on relève l’aspect alarmiste, voire anxiogène, du récit. Mais je n’aime pas me voiler la face. Je veux savoir ce qui s’en vient. Et écrire me permet de me “sortir” les histoires de la tête. »

C’est aussi pour cette raison qu’après le séisme en Haïti en 2010, alors qu’elle n’était pas encore publiée à cette époque, elle a rédigé le roman Le jour où la terre a tremblé paru chez Dominique et compagnie et qui raconte la tragédie à travers le regard d’une adolescente. D’abord refusé par un éditeur qui proposait déjà dans l’année un livre sur le Rwanda et ne voyait pas l’intérêt de publier deux titres à propos de héros noirs face à des expériences terribles dans une même année (heureusement, les temps changent!), le roman a enfin trouvé maison.

« J’ai l’impression que ça a bougé après ce qui est arrivé à George Floyd et que les gens ont découvert que le racisme existait. Mais c’était présent avant et ça existe encore maintenant », explique Dïana Bélice.

D’un même souffle, l’autrice, qui est de plus en plus reconnue comme une figure incontournable de la littérature jeunesse au Québec, conclut : « C’est ma vie de tous les jours, au travail ou dans les salons : ma diversité. »

 

Le jour où la terre a tremblé
Dominique et compagnie
À 13 ans, Cornélie s’épanouit dans sa vie personnelle et rêve de faire grandir Haïti de l’intérieur. Toutefois, il ne faut que quelques instants pour que le monde s’effondre, le 12 janvier 2010. Pour qu’une poussière qui vole et semble prendre l’aspect de la neige recouvre tout. Les vivants, hébétés, comme les morts.

 

 

 

Militant (2 tomes)
De Mortagne
2042. Alors que le réchauffement climatique fait en sorte que le monde s’effondre, Mathis s’investit dans une organisation pour sauver l’environnement. Un simple humain peut difficilement changer le cours des choses, mais une rencontre surprenante pourrait lui offrir des pouvoirs… inattendus!

 

 

 

Pour que tu reviennes
Hugo Roman
Dans un HLM de Montréal, Izobel se lie d’amitié avec Elijah, un voisin chez qui elle prend l’habitude de se réfugier quand ça ne se passe pas bien chez elle. En grandissant, ils voient leur amitié se transformer, devenant teintée d’ambiguïté, qu’ils taisent tous les deux. Quand ils cessent enfin de fuir leur sentiment et effleurent enfin un peu de bonheur, un événement tragique survient. L’amour, pour ces deux écorchés, encore une fois, ne semble pas être à leur portée… À moins de déjouer la vie peut-être? [AM]

 

Gangland
Boomerang
Paru dans la collection « Nuances », qui propose aux lecteurs de faire un choix, Gangland, c’est l’histoire de Seb, qui n’a connu que la violence. À 10 ans, il participe à sa première sortie de gang. À 12 ans, il se venge lui-même du chef d’un clan adverse et gagne son surnom : DeathWish. Mais plus le temps file et plus il a de la difficulté à se regarder dans un miroir.

 

 

Photo : © Nadia Zheng

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