Utown, c’est une virée dans un quartier des plus vivants, où les artistes peinent à manger adéquatement, mais où le soutien communautaire est fort. Utown, c’est une plongée au cœur de la problématique sociale actuelle qu’est la gentrification. Utown, c’est un saut dans la vie de Sam, la mi-vingtaine, qui travaille dans un club vidéo et dont la passion est le dessin, et qui fait tout pour éviter le marasme de la vie d’adulte. Alors qu’il héberge le « kid », un jeune qui a fugué d’un centre jeunesse et qui est des plus attachants, Sam décidera d’enfin devenir l’artiste qu’il a toujours voulu être et de se battre pour son quartier. Cab (Caroline Breault), qui nous avait épatés avec Hiver nucléaire, revient avec une importante BD dont le sujet ne doit pas être ignoré.

Votre BD aborde la question de la gentrification et Utown, ville fictive, devient le parfait miroir de ce qui se trame dans plusieurs quartiers des grandes villes du Québec. En quoi cette thématique vous tient-elle à cœur et qu’avez-vous voulu défendre avec cette BD?
Ayant grandi et habitant encore un ancien quartier ouvrier, j’ai eu l’occasion de voir et de vivre le phénomène quasiment au jour le jour. En 2012, je me lançais à mon compte en tant que pigiste et je redéménageais dans Hochelaga; je n’avais pas un sou, mais au moins mon loyer était abordable! L’année suivante est survenue l’expropriation de tous les résidents des Lofts Moreau, un espace pour artistes situé à l’entrée du quartier. On dit qu’un des premiers signes de la gentrification, c’est l’exode des artistes, ceux qui, ironiquement, rendent le quartier attrayant pour la nouvelle vague de résidents plus fortunés. C’est ce que j’ai voulu montrer dans Utown : les changements subtils des débuts de la gentrification, ceux qu’on remarque à peine, trop occupés à essayer le « nouveau p’tit café » du coin.

Votre BD est aussi un plaidoyer pour l’art, mais surtout pour les efforts qu’on doit y consentir pour percer et pour arriver à ses fins. En quoi était-ce important pour vous, en tant que bédéiste, de mettre en lumière les efforts nécessaires au travail artistique?
Je trouvais que c’était intéressant de montrer un début de carrière qui peine à décoller. Je me souviens à quel point c’était dur et pénible au début, après avoir terminé le cégep. Tous les contrats sont intimidants, on n’est sûr de rien, on se trouve poche, on n’a pas de contacts, on se plante, etc. Mais des fois, ça prend juste une discussion fortuite, une seule opportunité, pour que tout change. Et souvent, on se retrouve totalement dépassé par l’enjeu et la charge de travail qui suit. Bref, tout est tellement intense quand on commence! C’était important pour moi que Sam ait quand même son moment de gloire, sa première réussite artistique, tandis que tout autour de lui fout le camp.

Depuis vingt ans, la plupart des personnages d’Utown vous suivent. Ils ont été créés dans votre jeunesse, expliquez-vous sur votre site Web. De leur création à maintenant, qu’est-ce qui a changé pour eux? Sont-ils maintenant plus incarnés, forts de toutes ces années à avoir été tant dessinés par votre main?
Au début, je dessinais surtout Sam, Thomas, Étienne et Edwin. C’étaient des genres d’incarnations de ce que je trouvais cool sur le moment, sans plus. Mais malgré leur côté un peu stéréotypé, ils avaient tous plus ou moins une personnalité distinctive. C’est à travers l’écriture plus que le dessin qu’ils se sont développés, même si je suis passée à travers mille styles depuis! Oui, oui, ils ont tous une version manga très malaisante dans mes archives!

Qu’aimez-vous le plus chez Samuel, votre personnage principal?
J’aime qu’il soit simultanément incroyablement égoïste et amical. J’ai toujours apprécié les personnages qui sont de sympathiques losers parce qu’ils vivent un pied dans l’univers d’à côté, sans trop se soucier des conséquences de leurs gestes. Je pense que les lecteurs sont autant charmés qu’exaspérés par lui!

Utown a d’abord été un webcomic, avant d’être publié sous le format livre. En quoi cette façon de procéder vous convient-elle particulièrement? Quelle discipline cela demande-t-il?
J’ai toujours aimé partager tout ce que je faisais en ligne et l’idée de faire un autre webcomic semblait tout indiquée pour Utown. C’est un rythme de production particulier, à raison d’un chapitre au complet à la fois, mais ça me convenait au moment où je le faisais. Il m’est arrivé quelques fois de devoir mettre en ligne des pages d’un chapitre qui était à moitié encrées, mais personne ne l’a su! Honnêtement, l’expérience a été un peu chaotique, mais j’ai appris beaucoup de choses.

Quelles sont vos principales influences, en termes de dessins et de structures narratives?
Pour la structure narrative, je suis allée un peu à tâtons, ce qui m’a valu beaucoup de séances de réécriture en cours de chemin. Sinon, j’ai basé le récit sur une structure en trois actes assez classiques. Trois actes, trois chapitres chacun. C’est pas mal simple! En termes de dessin, je crois que c’est la continuation logique d’Hiver nucléaire, mais encré à la plume. J’ai pas vraiment cherché un nouveau style, j’ai juste dessiné de la façon la plus naturelle possible, en combinant le dessin numérique et à la main. Ce sont les matériaux qui ont dicté le look d’Utown à la fin. Un genre de mélange entre un fanzine et un manga, mais québécois.

Illustration : © Cab 
Extraits tirés d’Utown (Nouvelle adresse) : © Cab 

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