Roman noir, rire jaune et humour macabre!

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Peut-on écrire de polars comiques? L’humour est-il soluble dans l’univers glauque et macabre du roman noir? Un polar hilare est-il même envisageable?

Pour répondre à cette question, on pense spontanément à un auteur comme Frédéric Dard (remplacé depuis 2002 par son fils Patrice,) et son interminable saga des enquêtes drolatiquement drôlissimes du commissaire San Antonio et du très rabelaisien et grossier Bérurier ou, dans un registre très différent, aux aventures rocambolesques de Dortmunder et de sa bande de truands débiles, grands spécialistes des coups foireux, sortis tout droit de l’imagination fertile de Donald Westlake. Cela peut paraître paradoxal, mais l’humour, sous toutes ses formes, des plus grossières aux plus subtiles, est présent dans toute l’histoire du polar depuis ses plus lointaines origines. Encore aujourd’hui, nombreux sont les auteurs qui succombent à la tentation du comique, de l’humour noir, voire du burlesque et de l’absurde. Pour preuve, en voici quelques exemples récents…

Joe R. Lansdale n’a pas la réputation d’être un auteur « rigolo » et sa série mettant en scène Hap Collins et Leonard Pine, les tontons flingueurs du Texas, est publiée dans la « Série noire » de Gallimard et dans « Sueurs froides » chez Denoël, des collections pas spécialement réputées pour leurs polars burlesques. Et pourtant… Dans Diable rouge, Collins et Pine, dont la spécialité est de casser la gueule aux mauvais payeurs (et ils n’y vont pas de main morte!), jouent les détectives amateurs. Cette fois, on leur demande d’enquêter sur une affaire classée de double homicide : deux jeunes gens qui fricotaient avec une bande de pseudo-vampires gothiques! S’ensuit une intrigue tarabiscotée avec de l’action à volonté, des personnages hauts en couleur et un humour noir qui décoiffe! Collins et Pine sont des personnages peu recommandables, mais ils sont tellement drôles et tellement vulgaires que le lecteur ne peut s’empêcher de s’esclaffer bruyamment même dans les pires moments. Car tout est dans le style, dans les répliques, l’humour très noir, souvent loufoque, de Lansdale n’étant pas sans rappeler celui de Ken Bruen dans sa série des enquêtes de R & B ou celle de Jack Taylor.

Dans un registre un peu moins violent mais plus décapant encore, il faut lire Meurtres et autres sucreries, de Jô Soares, une comédie noire, loufoque à souhait et absolument délectable (l’assassin et ses victimes sont obsédés par les pâtisseries!). À Rio de Janeiro, peu avant la Seconde Guerre mondiale, un tueur sec et décharné (un croquemort qui se fait appeler Charron) s’attaque aux femmes corpulentes (joyeux euphémisme!). Comme appât, il se sert d’inoffensives et délicieuses pâtisseries. Le commissaire Noronha et Tobias Esteves, un ex-inspecteur de police portugais, mènent une enquête sans grand suspense (le coupable est connu, ses motivations aussi…), mais riche en péripéties loufoques et en rebondissements, avec des dialogues savoureux et même quelques illustrations! L’épisode où un ténor d’opéra wagnérien nain se suicide avec un tuba parce que sa dulcinée, une énorme Walkyrie a été trucidée par Charron, est un morceau d’anthologie! Mentionnons que ce récit, qui est aussi une satire impitoyable de la société brésilienne de l’époque, est publié en France sous le titre Les yeux plus grands que le ventre.

On connaît la nature particulièrement subtile de l’humour anglais, riche en traits d’esprit, truffé de répliques vaches, de dialogues acides et de situations rocambolesques. L.C. Tyler, nouveau venu chez les auteurs de romans policiers, en fait la démonstration brillante dans ses livres mettant en scène Ethelred Tressider, écrivain minable, auteur de polars, de romans historiques et d’histoires d’amour qu’il écrit sous trois pseudonymes, et son agente littéraire, l’encombrante, cynique et vacharde Elsie Thirkettle qui n’aime ni la littérature ni les écrivains. Ils apparaissent dans Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage et reprennent du service dans Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, récemment paru, qui est un hommage truculent à peine déguisé à l’œuvre d’Agatha Christie. Sous des apparences de légèreté, ces romans sont des merveilles de subtilité. Au-delà d’une intrigue un peu simplette, il faut savourer la prose, le style drolatique de Tyler. Chaque paragraphe réserve son lot de trouvailles et de bonnes surprises. Nos deux héros se relaient pour une narration complètement folle où les répliques loufoques se succèdent à un rythme d’enfer. Au passage, Ethelred en profite pour démonter les mécanismes du genre et exposer l’art d’écrire un polar, ce qui rend ridicule sa propre production. Pour se délecter de l’humour british dans toute sa splendeur et combattre la déprime!

 

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