Dans la communauté de Mashteuiatsh, dès mes 12 ans, nous étions quelques-un.es à nous impliquer bénévolement dans les conseils de jeunes, de femmes et de prévention du suicide. On était désorienté.es par toutes les réparations à faire, par les trous de notre histoire dont on essayait de reprendre le fil avec conviction, émotion et espoir.

Nous étions quelques-un.es à voir d’énormes failles dans le système, nous découvrions qu’il existait une Loi sur les Indiens et que le vol des terres et les pensionnats étaient à la source des problèmes sociaux qui nous affligeaient. Le travail à faire était grand et nous avions le cœur rempli d’idées et de convictions.

C’est dans cette origine du militantisme empreint d’optimisme que la lecture de Nikanik e itapian : Un avenir autochtone « décolonisé », de Sipi Flamand, m’a plongée. Dans ce court essai empreint de clarté et d’affirmation, l’essayiste atikamekw nehirohiwisiw nous ouvre à ses rêves de société autochtone et des chemins de rencontres possibles entre nations. À toutes les pages, je me suis vue et entendue. À toutes les pages, je me disais que je n’étais pas seule à faire ces rêves de revitalisation des philosophies traditionnelles, ancrées dans le principe de relation comme au centre de tout. L’auteur propose de renouveler le concept des Sept Feux, c’est-à-dire de faire nos choix en vue de considérer les sept générations à venir. Il dessine une tout autre voie vers la décolonisation, malgré les obstacles : « […] le mode de vie a considérablement changé sous l’influence de la société de consommation capitaliste, individualiste et extractiviste. Alors, pourquoi ne pas s’inspirer des fondements autochtones pour revoir le mode de vie des collectivités sur Terre en mettant de l’avant les savoirs traditionnels écologiques? » Sipi Flamand propose aussi un avenir décolonisé pour tous : « En reconnaissant notre histoire collective, nous pourrons enfin avancer comme société pour ainsi envisager l’avenir ensemble et bâtir une nouvelle approche de cohabitation dans un esprit de collaboration, de partenariat, de cogestion tout en reconnaissant les souverainismes autochtones. »

Ce livre est le deuxième titre de la collection « Harangues », chez Hannenorak, après Indien stoïque, de Daniel Sioui. Les harangues étaient la façon de nommer les discours que présentaient les Autochtones aux Européens dans le temps des premiers contacts.

C’est avec ce même sentiment que j’ai pu réfléchir avec l’aînée, autrice et militante Salish, Lee Maracle, décédée l’année dernière. Toute sa vie, elle a lutté contre les oppressions envers les Autochtones au Canada et les effets du colonialisme. Dans l’essai Treize conversations, elle répond sans détour aux questions qu’elle s’est fait poser dans ses nombreuses conférences tout au long de son parcours et ajuste certaines perspectives qui ne sont pas claires pour la majorité des Canadiens. Par exemple, une des conversations porte sur l’appellation Autochtone, Indien, indigène, aborigène, Première Nation. Elle souligne avec justesse que « [l]a plupart d’entre nous voient avec humour cette obsession de l’appellation », mais elle affirme également « qu’il y a une sorte de confort colonial dans le fait de nous voir comme un seul bloc — comme une foule — et pas comme des nations individuelles, séparées ». Effectivement, il y a plus de cinquante nations et langues au Canada, qui ont toutes leurs identités propres.

L’autrice évoque des mythes qui fondent le Canada, comme celui selon lequel le pays serait une société multiculturelle modèle. Elle nomme de nombreux cas d’appropriation culturelle et révèle sa posture face à plusieurs types de vols et ce que ça implique concrètement dans la vie des Autochtones. Ses textes sont incisifs, directs et remplis d’humour. Tout au long de ses monologues perspicaces, elle parle toujours à partir de sa position de femme militante, de mère et de grand-mère, incluant l’entièreté de l’être dans la réflexion théorique et philosophique.

Maracle exprime bien la posture autochtone au Canada avec ces paroles qui, je trouve, résument bien sa pensée : « Ne prenez pas ma gentillesse pour un consentement au non-accès au territoire ou une absence d’amour à son endroit. N’allez surtout pas croire que ma gentillesse est une renonciation à ce que je suis et voudrai toujours être. »

NDN (in-di-ans) est une abréviation utilisée par les peuples autochtones anglophones de l’île de la Grande Tortue (Amérique du Nord) pour se désigner eux-mêmes. Sur le net, l’acronyme peut aussi signifier « Not Dead Native » ou « Autochtone pas mort ». Billy-Ray Belcourt signe ici son deuxième recueil de poésie. Dans Mécanismes NDN d’adaptation, il entremêle les réalités queers et autochtones dans le contexte canadien colonial. Natasha Kanapé Fontaine, qui a traduit le recueil et a signé la postface, écrit son sentiment lorsqu’elle a lu Belcourt pour la première fois : « il incarnait la lumière apparaissant enfin dans ma nuit ». Sa poésie est forte et vulnérable à la fois : « Tombés dans l’extase de la fragilité, nous nous sommes nichés dans une dette que nous savions ne pas être capables d’assumer seuls. »

L’auteur cri touche à une vérité, celle des mécanismes d’adaptation que l’on développe comme Autochtone dans la société majoritaire. De plus, cette traduction permet aux Autochtones francophones qui ont peu accès à la résurgence littéraire anglophone d’y découvrir des philosophies et des manières d’être qui leur ressemblent et auxquelles ils peuvent s’identifier. Ce recueil est une porte d’entrée pour des lecteurs de tous horizons pour entrer dans nos réalités particulières, qui sont évidentes dans les communautés autochtones, mais qui restent peu connues du grand public: «Tous les oncles de la réserve pensent qu’ils sont les plus beaux NDN du monde entier et personne ne dit le contraire.» Sa prose déliée et expérimentale touche aussi à l’expérience universelle de la période d’errance et d’apprentissage qu’est l’adolescence : « Dans tous les récits de mon adolescence, je me suis jeté moi-même en prison » et « Les ados flamboient pour ressentir l’euphorie de se trouver en dehors de la mémoire ».

Ce dernier vers est un de mes préférés, touchant à ce que je ressentais, à ce que nous ressentions, je crois, durant les années de bénévolat dans ma communauté: simplement vouloir exister, exister fort. La littérature, la poésie et les essais autochtones prennent enfin une place, se légitimisent : le chemin se trace à coups de livres qui ouvrent les yeux sur nos agissements à tous, sur tout ce qui est possible de réactualiser et de partager, et surtout sur tout ce dont on peut prendre conscience.

Publicité