J’habite à un jet de pierre de la Bibliothèque Gabrielle-Roy, dans le quartier Saint-Roch à Québec. La mixité des gens qui fréquentent l’une et l’autre fait partie de ma définition du vivre-ensemble depuis l’an 2000.

Débutés en 2019, les travaux de rénovation et de modernisation de la Bibliothèque Gabrielle-Roy s’achèveront au cours des prochaines semaines en vue de la grande réouverture le 1er mars prochain. Le marteau piqueur ne nous a toutefois pas rendus sourds aux besoins d’une frange de notre communauté qui sont devenus de plus en plus criants, dans une ère où les difficultés sont plus nombreuses qu’il y a quelques années.

L’automne dernier, à l’émission Pénélope sur les ondes d’Ici Première, une discussion s’est animée afin de savoir si les bibliothèques publiques ont un devoir social à remplir. Alexandra Gingras-Gaudreault, intervenante de milieu de l’organisme La Piaule embauchée 25 heures par semaine par la Bibliothèque de Drummondville, y expliquait la manière dont elle s’y prend pour faire cohabiter les réalités bien différentes de certains usagers et visiteurs de bibliothèques, dont certains en situation d’itinérance. Des projets semblables sont initiés dans les bibliothèques de Winnipeg, d’Edmonton et de Gabrielle-Roy à sa réouverture. Eve Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques, a rappelé que la bibliothèque est un lieu d’inclusion, un lieu citoyen par excellence. Le fait que, quelques semaines plus tard, un règlement sur l’hygiène personnelle des usagers des bibliothèques publiques de Montréal ait fait grand bruit dans les médias illustre nos défis collectifs.

La vocation changeante des bibliothèques apparaît aussi dans l’objectif que s’est donné la Ville de Québec d’en réinventer et repenser tant l’expérience que les services. La Bibliothèque Gabrielle-Roy abritera notamment un MédiaLab, un foyer cuisine, un studio d’enregistrement et un hub créatif, c’est-à-dire un espace d’innovation, d’échanges et de création à l’intention des organismes communautaires de Québec.

Cette bibliothèque deviendra la plus grande bibliothèque publique après la Grande Bibliothèque, qui remplit au surplus un mandat national. J’espère que cela braquera à nouveau la lumière sur cette auteure née à Saint-Boniface et dont l’œuvre a résonné dans le monde entier. Au cours des récentes années, d’autres ont perpétué sa mémoire. Pensons au montage théâtral de son roman autobiographique La détresse et l’enchantement par Olivier Kemeid et Marie-Thérèse Fortin, puis à la télésérie de Renée Blanchar Le monde de Gabrielle Roy toujours disponible sur ICI TOU.TV. Cette dernière dépeint les enjeux sociopolitiques de la minorité francophone du Manitoba à une certaine époque, dont certains subsistent encore.

Bonheur d’occasion, le premier roman de Gabrielle Roy, met en scène la vie de gens du quartier populaire de Saint-Henri rendue difficile par leur pauvreté en pleine Seconde Guerre mondiale. Certains des personnages aspirent à s’élever au-dessus de leur condition et au bonheur. Publié en juin 1945, il reçoit le prix Femina en 1947, est traduit en anglais (The Tin Flute) et vendu à 700 000 exemplaires aux États-Unis. Les droits sont acquis par les Studios Universal au coût de 75 000$ (1 M$ aujourd’hui) pour une adaptation cinématographique qui ne verra jamais le jour. Le réalisateur Claude Fournier, qui nous a quittés en 2023, et la productrice Marie-Josée Raymond ont bataillé fort avec Hollywood pour parvenir à en reprendre les droits et nous offrir leur film produit en 1983 et restauré en 2012 pour leur projet Éléphant : mémoire du cinéma québécois (Québecor).

Dans le portrait qu’elle a brossé de Gabrielle Roy1, Margaret Atwood conclut que, pour l’auteure, qui partage le prénom de l’archange et messager Gabriel, Bonheur d’occasion représentait l’annonce du futur, auquel le présent céderait le pas. Elle se plaît à imaginer l’auteure se présenter au personnage de Rose-Anna, dans ses pires moments de désespoir, afin de lui dire : « Le futur sera meilleur ».

Au verso du billet de vingt dollars canadiens de 2004 se trouvait cette citation bilingue de Gabrielle Roy : « Nous connaîtrions-nous seulement un peu nous-mêmes sans les arts? Could we ever know each other in the slightest without the arts? ». Margaret Atwood répond : « Non, nous ne nous connaîtrions pas. Alors que nous nous retrouvons face à une société politiquement éclatée, alors que nous atteignons les limites de la collecte de données et la division et la spécialisation des sciences; au moment où nous revenons enfin à une conception plus holistique de l’être humain, la vision du monde que propose Gabrielle Roy est plus pertinente que jamais. »

Photo : © Gabriel Germain

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1. Bâtisseurs d’Amérique : Des Canadiens français qui ont fait l’histoire, sous la direction d’André Pratte, Éditions La Presse, 2016.

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