Un inattendu mais fort brillant chroniqueur de cinéma!

René Lévesque est décédé en 1987 et, depuis, on découvre ou redécouvre bien des aspects, souvent inattendus, de son parcours et de son œuvre.

Il y a quelques années, par exemple, on a publié deux volumes de ses chroniques politiques qui étaient parues dans le Journal de Montréal au début des années 1970. Je vous en parlais dans ma chronique d’octobre 2017.

Un tout nouvel ouvrage, Lumières vives : Chroniques de cinéma 1947-1949, nous fait cette fois découvrir un René Lévesque… chroniqueur de cinéma!

Écrire sur le cinéma
Remontons le temps, jusqu’en décembre 1947. Ce mois-là, et jusqu’en novembre 1949, René Lévesque publiera 88 (et peut-être 89, car un numéro de la revue est perdu…) chroniques sur le cinéma dans Le Clairon de Saint-Hyacinthe. Il n’a que 25 ans, mais il a déjà derrière lui un riche parcours. Il a été correspondant durant la Deuxième Guerre mondiale; il est speaker à la radio. Cela ne s’arrêtera pas. Il sera bientôt journaliste en Corée, animateur à l’émission Point de mire, ministre du gouvernement Lesage et enfin premier ministre du Québec (1976-1985).

Le cinéma est déjà chez lui une grande passion et elle le restera toute sa vie.

À ce moment, en 1947, c’est un art relativement nouveau et en pleine croissance. La couleur arrive, la tentation mercantiliste est déjà présente et bien installée, la propagande également (on entre en pleine guerre froide), à quoi s’ajoutent, y compris chez nous, les ciseaux de la censure, mais aussi une promesse d’ouverture au monde.

Comment Lévesque parle-t-il de cet art dans les textes ici réunis?

Un passionné très savant
Une première chose frappe : l’érudition du jeune chroniqueur. Passionné de cinéma, il connaît manifestement bien son sujet. Mais il l’aborde aussi avec une vaste culture, une culture politique mais aussi littéraire qu’il a sans aucun doute largement acquise au collège classique qu’il a fréquenté, le Collège Saint-Charles-Garnier, à Québec (la rue sur laquelle il se trouve s’appelle aujourd’hui… le boulevard René-Lévesque Ouest). Villon, Ronsard, Baudelaire, Shakespeare et bien d’autres côtoient ainsi Orson Welles, Alfred Hitchcock ou Marcel Pagnol, pour ne nommer qu’eux.

Une deuxième chose frappera aussi ses lecteurs : les qualités d’écrivain de ce jeune homme. On se dit, en le lisant, qu’il aurait pu non seulement faire carrière au cinéma comme scénariste ou réalisateur, mais aussi devenir écrivain. Lévesque, il faut en convenir, écrit déjà superbement bien, et clairement.

Autre chose. Par son parcours, par son bilinguisme, par sa connaissance et sa familiarité avec les cultures française, anglaise et américaine, Lévesque est placé au confluent de tout cela et ce trait apparaît dans ses choix de films et dans la sensibilité cosmopolite qu’il démontre en les abordant. Ce trait est remarquable pour l’époque.

À un critique d’art, on a toujours envie de demander sur quels critères il juge les œuvres qu’il évalue et commente. Un des passages particulièrement intéressant de ce livre est celui où Lévesque répond à cette question.

Plusieurs facteurs entrent immanquablement en jeu pour expliquer le succès ou l’échec artistique d’un film. Lévesque en convient bien entendu et il en énumère plusieurs : le sujet traité, la façon de l’aborder qu’impose ce nouveau médium, le métier et le talent de ces nombreux artisans qui travaillent à faire le film, l’inspiration qui les porte. Tous ces facteurs sont sans doute des composantes indispensables de l’éventuelle réussite d’un film. Mais à tous ces ingrédients, Lévesque ajoute un élément qui permet de produire une forte lumière, d’allumer ce talent et tout le reste. Lequel? Il écrit : « Je ne trouve qu’un tel feu, qu’une étincelle, qui vaut d’ailleurs pour tous les brasiers : l’amour. Il faut aimer ce qu’on veut faire… »

Tout cela, comme l’écrit le compilateur et présentateur de ces textes Jean-Pierre Sirois-Trahan, fait de Lévesque « un des premiers critiques modernes de cinéma » au Québec.

Il faut d’ailleurs saluer le travail de Sirois-Trahan, qui remet ces écrits en contexte et en fait une superbe et fort instructive présentation. Soulignons aussi la présence bienvenue, dans ce livre, de deux index qui permettent de rapidement consulter, pour l’un, ce que Lévesque a écrit sur des gens (Chaplin, Marcel Carné, Jean Cocteau, Walt Disney…), pour l’autre, ce qu’il a écrit sur des œuvres particulières. On peut ainsi y aller selon ses goûts.

Voici par exemple ce qu’écrit Lévesque sur Fanny de Pagnol : « C’est le moment suprême de la trilogie » qui « nous laisse rêver, imaginer nous-mêmes nos propres dénouements ».

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