Avant le confinement, le livre numérique était loin d’être le sujet de l’heure. C’est qu’il est maintenant bien établi dans le paysage littéraire, cohabitant avec le livre papier comme le font l’orge et le riz sur les tablettes des supermarchés : deux produits différents, mais qui couvrent pourtant certains besoins communs. Or, un peu plus de dix ans après son arrivée massive au Québec, où en est le livre numérique, et quels sont les plus récents développements en la matière?

C’est au tournant des années 2010 que le livre en format numérique a fait son apparition au Québec. Nous célébrions alors sa commodité visuelle (l’option de changer la taille des caractères à notre guise, entre autres); son côté pratique lors des déplacements (traîner notre bibliothèque en voyage sans souffrir de maux de dos!); son accessibilité (la possibilité de l’acheter ou de le louer de n’importe où dans le monde, et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit); et son prix (plus bas que celui de son homologue papier). Encore aujourd’hui, si tous ces aspects positifs continuent de dorer la réputation du livre numérique, d’autres s’y ajoutent, notamment son adaptabilité à des publics présentant des besoins spécifiques; pensons à une version ajustée pour les besoins des personnes dyslexiques, par exemple.

Quelques statistiques en rafale? Avec quelque cent soixante-dix mille prêts de livres numériques chaque mois, il ne fait aucun doute que les lecteurs sont au rendez-vous! Et comme les chiffres se maintiennent, au moment d’écrire ces lignes, il est annoncé qu’en avril sera enregistré au Québec le dix millionième prêt de livre numérique en bibliothèque. Oui, dix millions! De ces prêts, de grandes tendances ont d’ailleurs été remarquées en bibliothèque (source : De Marque, 2018). Ainsi, 72% des titres loués sont produits par des éditeurs québécois; 74% des cinquante livres les plus empruntés sont écrits par des femmes; les auteurs les plus lus en version numérique sont Louise Tremblay d’Essiambre, Chrystine Brouillet, France Lorrain et Jean-Pierre Charland; le livre numérique le plus emprunté est En as-tu vraiment besoin?, de Pierre-Yves McSween; et les genres les plus convoités par les lecteurs adeptes de versions numériques sont le roman historique et le roman sentimental.

Le livre numérique en bibliothèque
Grâce à son déploiement du prêt numérique depuis 2011, le Québec se positionne comme référence dans le domaine pour plusieurs pays, dont la France. Si, dans l’Hexagone, les budgets pour le livre numérique sont faméliques – contrairement à ceux qui sont octroyés par le gouvernement du Québec –, là n’est pas le seul défi auquel fait face ce pays européen. « La différence majeure entre la France et ici est qu’au Québec, le livre numérique est géré avec une vision commune afin qu’il soit un projet collectif liant tous les acteurs du milieu du livre : libraires, éditeurs, ministères, bibliothécaires, etc. La force du milieu québécois est certes sa grosseur : puisque le milieu est petit, la plupart des acteurs du secteur du livre sont indépendants et se connaissent, se parlent », explique Jean-François Cusson, directeur de Bibliopresto, un organisme à but non lucratif qui gère Pretnumerique.ca, une plateforme de prêt de livres numériques utilisée par la très grande majorité des bibliothèques publiques du Québec et du Nouveau-Brunswick. « La plateforme Pretnumerique.ca représente un succès collectif indéniable », ajoute-t-il. D’ailleurs, la coopérative des Librairies indépendantes du Québec est un partenaire majeur des bibliothèques : celles-ci s’approvisionnent en livres numériques entre autres chez les indépendants.

Par ailleurs, Jean-François Cusson fait remarquer que c’est en région que le livre numérique bat des records de popularité, là où il n’existe pas de librairie dans chaque village ou chaque ville, et où l’accessibilité à la littérature est facilitée par le Web. Dans le même ordre d’idées, le directeur de Bibliopresto révèle qu’une hausse des locations de livres numériques est enregistrée dans le sud des États-Unis au moment où les snowbirds  posent leurs pattes en Floride. « Certaines bibliothèques ont même mis sur pied des cours pour expliquer aux Québécois, avant qu’ils quittent leur domicile pour l’hiver, comment ils pourront continuer à louer des livres numériques à leur bibliothèque locale une fois sur place, mais le tout à distance », indique-t-il.

Parlant de formation, il est bien de mentionner que, depuis les débuts du déploiement du livre numérique dans les bibliothèques, ces établissements s’investissent grandement dans la mise de l’avant de cette technologie. Encore à ce jour, les bibliothèques en font la promotion et, point majeur, elles ont offert dès le début – et le font encore – du soutien technique, des conférences et de l’accompagnement sur le sujet. « La madame de 50 ans qui arrive avec son iPad encore emballé et qui veut savoir comment y ajouter un livre numérique, ce n’est pas qu’une caricature; c’est réellement un exemple fréquent en bibliothèque! » témoigne Jean-François Cusson, qui se réjouit du succès de l’excellent travail de médiation fait dans les bibliothèques québécoises. Des initiatives qui, à l’évidence, ont porté leurs fruits et contribué à ces dix millions de livres numériques empruntés!

Cette technologie qui change le visage de la littérature
Le milieu du livre ne serait toutefois pas le même sans ses adjuvants technologiques, dont les lecteurs entendent moins parler. Parmi eux, l’entreprise De Marque, fondée en 1990. Ce nom ne dit en effet peut-être pas grand-chose à beaucoup de gens, qui connaissent toutefois fort probablement la méthode Tap’Touche, l’une des premières réalisations de De Marque. Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts : l’entreprise s’est tournée vers la distribution de contenus culturels numériques. C’est elle qui a notamment mis au point la plateforme Pretnumerique.ca (dont il était question précédemment) pour Bibliopresto. Ainsi, De Marque distribue aujourd’hui plus d’un demi-million de livres pour près de deux mille cinq cents éditeurs, le tout à travers plus de mille trois cents points de vente répartis sur la planète. En outre, elle est l’une des partenaires d’affaires des Librairies indépendantes du Québec.

À la lumière de l’expertise de De Marque et des projets qu’elle met en œuvre partout dans le monde, nous sommes allés à la rencontre de l’équipe derrière cette entreprise pour savoir ce qui s’y fait d’intéressant en matière d’innovations technologiques. Toujours en collaboration avec des acteurs du milieu du livre, elle travaille actuellement sur des projets qui font place à l’intelligence artificielle, entre autres pour mieux comprendre les habitudes des lecteurs et collecter des données d’usage : quels livres sont lus en entier; quels sujets fonctionnent le mieux en fonction des différentes bibliothèques, question d’affiner les catalogues pour les usagers; etc.

Si certains modèles de lecture en continu (streaming) de livres numériques ont tenté d’emboîter le pas devant les Netflix et Spotify de ce monde, force est de constater que les projets qui ont été lancés n’ont pas fonctionné. « Cela bouscule le modèle en place, explique Marc Boutet, président-directeur général de De Marque. Il y a beaucoup de résistance et des questions, comme celles liées aux redevances des auteurs, etc. » Ainsi, quelle forme prendra donc la lecture dans l’avenir? Marc Boutet avance qu’il sera envisageable de choisir nos lectures en fonction du temps que nous aurons devant nous. Prenons un trajet de vingt-quatre minutes en autobus; un texte d’une durée de lecture similaire pourrait alors être accessible. La simplification de l’utilisation des livres numériques – notamment par une plateforme qui intégrerait à la fois l’achat ou le prêt ainsi que le mode de lecture – est également sur la planche à dessin, tout comme l’idée de faciliter les systèmes de verrou électroniques dont sont dotés les livres numériques et audio. « On peut aussi imaginer que, graduellement, on amènerait les éditeurs à transformer les modèles qu’ils proposent afin de rendre la littérature accessible à plus de gens. En d’autres mots, rendre la consommation flexible. Je pense notamment à une offre de chapitres précis d’ouvrages documentaires, de nouvelles issues d’un recueil ou d’une seule recette d’un livre de cuisine, le tout dans un système qui rémunère les créateurs. Pas pour un roman, on s’entend, mais pour des besoins précis; ça pourrait être intéressant », explique Marc Boutet, avant de résumer ainsi : « On veut ouvrir le livre à d’autres univers ».

Ainsi, pas de livres lus par leur auteur apparaissant en hologramme qui soient prévus pour le moment, mais tout de même plusieurs avancées nous démontrant bien que le livre numérique n’a pas dit son dernier mot!

Du papier qui prend vie grâce aux Éditions animées
Avez-vous déjà rêvé de voir vos dessins prendre vie sous vos yeux? C’est exactement ce que proposent Les Éditions animées avec leurs albums, qui semblent issus du futur! Le concept est le suivant : l’enfant (ou l’adulte; gageons que vous souhaiterez l’essayer!) colore le personnage ou l’animal directement dans le livre, à l’aide de crayons à colorier. Ensuite, grâce à l’application gratuite BlinkBook – offerte sur cellulaire ou sur tablette –, il n’y a qu’à prendre le tout en photo et laisser l’application ajouter sa touche magique. En moins de deux, votre dinosaure, votre oiseau ou votre personnage s’animera sous vos yeux et se promènera dans un décor digne d’un dessin animé d’une durée de quatre à six minutes, pendant qu’un acteur professionnel fera la narration du récit. Sinon, avis aux jeunes « comédiens » : il est aussi possible d’enregistrer votre propre voix pour devenir le narrateur de votre histoire et de vous photographier afin d’apparaître dans la vidéo! La beauté de cette technologie est qu’elle ne prend pas toute la place, et l’expérience démontre bien que les enfants passeront beaucoup plus de temps sur le livre que sur la tablette. Comme celui-ci contient également le texte écrit, il devient un objet littéraire complet en soi. La sélection de titres épate en proposant certains classiques, notamment Les fables de la Fontaine, Les contes d’Andersen, Les contes russes, Le petit Nicolas et même Le Petit Prince, ce dernier titre ayant la particularité d’être offert sur du papier conçu pour recevoir des créations à l’aquarelle! Notez que les éditions Wakatoon proposent elles aussi des livres au concept semblable.

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