La littérature de langue française existe depuis le Régime français, tant en Acadie, au Québec qu’en Ontario et au Manitoba. C’est donc dire que les littératures acadienne, franco-ontarienne, franco-manitobaine et autres littératures franco-ouestiennes, qu’on désigne aujourd’hui collectivement sous le nom de littératures franco-canadiennes, ont une longue histoire. De la littérature coloniale à la littérature canadienne-française aux littératures provinciales ou régionales, le parcours a été marqué d’embûches et de belles réalisations. Voici quelques pistes pour les découvrir.

Des plumes qui ouvrent la voie
Quiconque s’est déjà intéressé aux littératures franco-canadiennes a entendu parler des grandes voix qui ont ouvert la voie à l’époque de la littérature canadienne-française, soit de 1867 à 1969, particulièrement de Gabrielle Roy, du Manitoba, d’Antonine Maillet, du Nouveau-Brunswick, ou de Jean Éthier-Blais, de l’Ontario. Tous les trois ont fait carrière au Québec car avant 1972, il n’existait pas de maison d’édition francophone à l’extérieur du Québec. La vie littéraire pouvait néanmoins être assez active dans certains grands centres comme Ottawa, mais la capitale nationale était sans doute une exception à l’époque. D’autres écrivains et écrivaines de cette époque sont moins connus, comme Ronald Després, un Acadien qui a fait carrière à Ottawa, ou des dramaturges comme Régis Roy, de l’Ontario, dont les pièces ont été très prisées au XIXe siècle. Si Gabrielle Roy, Antonine Maillet et Jean Éthier-Blais sont encore lus, ce n’est pas le cas de Régis Roy et de Ronald Després en dépit de la modernité (pour l’époque) de leur œuvre. Les romans de Després sont encore aujourd’hui assez difficiles d’accès. La génération qui prend la parole en 1970 voudra se démarquer de leurs prédécesseurs. Elle fondera son originalité sur des choix linguistiques, thématiques et institutionnels inédits jusqu’alors.

Dans quelle langue écrivent les écrivains franco-canadiens?
Les écrivaines et écrivains franco-canadiens vivent dans un contexte où le français est minoritaire. Maîtrisant bien souvent les deux langues officielles, ils peuvent choisir d’écrire en français ou en anglais, voire dans diverses variétés de français. Dans La Sagouine, Antonine Maillet opte pour l’acadien traditionnel qui lui permet de placer le lectorat et les spectateurs québécois devant l’étrangeté de l’Acadie, tout en établissant des liens avec les langues parlées dans les régions du Québec. L’utilisation des langues vernaculaires deviendra chose de plus en plus courante même si plusieurs autrices et auteurs choisissent toujours d’écrire en français standard. Faire advenir la langue locale à la littérature est un choix idéologique pour nombre d’entre eux, une façon de valoriser la langue de la région et de contrer l’insécurité linguistique omniprésente. Si le théâtre est un genre privilégié pour mettre en scène l’oralité (pensons à André Paiement, Jean Marc Dalpé ou Michel Ouellette en Ontario ou Marc Prescott au Manitoba), les langues populaires sont aussi présentes à des degrés divers dans le roman, les nouvelles et la poésie. Alors que des poètes phares des années 1970, comme Herménégilde Chiasson (Nouveau-Brunswick), Andrée Lacelle (Ontario), Paul Savoie (Manitoba-Ontario) ou J.R. Léveillé (Manitoba) privilégient le français standard et abordent des thématiques davantage universelles, d’autres, surtout de la génération suivante, n’hésiteront pas à plonger dans le vernaculaire. C’est le cas, par exemple, de Georgette LeBlanc (Nouvelle-Écosse) qui inclut des mots en acadjonne, la langue de la Baie Sainte-Marie, notamment dans ses recueils Alma, Amédé et Prudent. Son roman Le grand feu est, lui aussi, rédigé dans cette langue musicale qu’elle laisse toutefois de côté dans son plus récent recueil, Petits poèmes sur mon père qui est mort, où la langue se fait douce et simple comme dans une berceuse. Au Nouveau-Brunswick, dans le sud de la province, ce sera le chiac qui sera valorisé grâce à plusieurs poètes, dont Gérald Leblanc, qui l’utilise avec parcimonie, en dépit du titre d’un de ses recueils, Éloge du chiac. Cette langue devient même une thématique dans des romans de France Daigle (Pas pire, Un fin passage, Petites difficultés d’existence et Pour sûr), alors que ses œuvres précédentes étaient dans une langue épurée, marquée par l’ellipse ou ce qu’on a appelé la litote acadienne. Daigle, ayant écrit quelques pièces de théâtre pour la compagnie Moncton Sable, s’est vue confrontée à l’obligation de faire parler ses personnages, ce qu’elle évitait dans ses premiers livres. Le désir de vraisemblance a mené à l’utilisation du chiac, d’un certain chiac littéraire, plus accessible à l’ensemble du lectorat. En Ontario, c’est le joual franco-ontarien, très près du joual québécois, qui sera en vedette dès les années 1980, dans les romans de Daniel Poliquin ou la poésie de Patrice Desbiens. Plus à l’ouest, le vernaculaire est peu utilisé, mais l’anglais est très présent comme dans les magnifiques poèmes de Pierrette Requier, details from the edge of the village, qui sont écrits en français ou en anglais; certains, comme « Notre père » et « Our Father », se font écho. Il devient même une thématique centrale de la pièce Sex, Lies et les Franco-Manitobains de Prescott. L’utilisation des variétés locales de français, parfois avec des passages en français standard, voire en anglais, dote les œuvres d’un pouvoir évocateur certain. Pour le lectorat du Québec ou d’ailleurs dans le monde, il y a là une touche exotique qui capte l’intérêt. Outre l’effet de réel qui en découle, l’utilisation des langues vernaculaires permet d’exprimer la réalité locale, de valoriser ses particularités. Il n’en demeure pas moins que le français plus standard reste la norme. Il faut se méfier des idées préconçues que l’on peut avoir au sujet des littératures franco-canadiennes. Si elles apparaissent à un moment de revendications identitaires, elles sont fort peu axées sur des thématiques particularistes. Les œuvres couvrent l’ensemble des sujets que l’on trouve dans toutes les littératures. Aujourd’hui dotées d’institutions littéraires qui leur sont propres, les littératures franco-canadiennes s’épanouissent.

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