Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury est constitué d’étudiants du réseau collégial, a couronné Éric C. Plamondon pour Bizarreries du banal (Sémaphore), devant Éveil à Kitchike : La saignée des possibles (Louis-Karl Picard-Sioui, Hannenorak) et Le fil du vivant (Elsa Pépin, Alto). En marge de ce prix qui honore une œuvre issue des littératures de l’imaginaire a été mis sur pied un concours de critique littéraire. Cette année, c’est Renaud Lefebvre, du Cégep de Lanaudière, qui remporte les honneurs avec une critique sur Éveil à Kitchike, dont voici le texte.

KITCHIKE
TOUT UN VILLAGE À DÉCOUVRIR
Par Renaud Lefebvre du Cégep de Lanaudière (L’Assomption)

Qu’est-ce qui définit un village? Pour moi, c’est son emplacement géographique. Pour d’autres, c’est son architecture. Pour vous, qui lisez cette critique littéraire, c’est peut-être sa culture. Mais, pour Louis-Karl Picard-Sioui, ce sont les individus qui y résident. Dans son roman fantastique Éveil à Kitchike : La saignée des possibles, l’auteur de nationalité huronne-wendate a rédigé un récit mettant en scène de nombreux personnages aux couleurs variées, souvent attachants et parfois assez loufoques. C’est d’ailleurs l’un des principaux points forts de cette œuvre : chaque habitant possède une personnalité intéressante, distincte et complète, peu importe son importance pour le déroulement de l’intrigue. Le caractère de chacun va même jusqu’à se refléter dans le style de la narration.

Ainsi, lors d’un chapitre suivant les actions du vulgaire Pierre Wabush, le narrateur emploie un niveau de langage populaire tandis que, s’il met le distrait Jean-Paul Paul Jean-Pierre de l’avant, il utilise des phrases qui semblent ne jamais se terminer. Toutefois, la richesse des caractères et le nombre élevé de personnages peuvent rendre difficile la compréhension des multiples relations reliant les protagonistes. Heureusement, au fil des pages, je me suis attaché à ces habitants hétéroclites et il m’a ensuite été beaucoup plus aisé de comprendre les interactions complexes présentes dans la communauté.

Un humour qui a atteint sa cible
Louis-Karl Picard-Sioui vise dans le mille avec son humour cru, cinglant et absurde qui, pour certains, frôle l’immaturité. Pour ma part, j’ai plutôt trouvé que c’était hilarant qu’un drôle d’énergumène vienne interrompre un pow-wow pour ouvrir un portail interdimensionnel avec un « dildo cosmique ». J’ai également trouvé assez cocasse le chapitre du cambriolage au Gaz Bar. Le ton dramatique des combats est rompu à quelques reprises par les surnoms que Lydia a donnés aux malfrats selon les masques qu’ils portent. Ainsi, elle se bat contre un poisson, un clown et une cagoule. Cela donne naissance à des passages comme « Alerté par son acolyte, le poisson accourt vers moi, m’attrape le bras, puis saisit le combiné de l’autre main » qui m’ont fait éclater de rire, en plein milieu de la bibliothèque silencieuse du cégep, tellement la situation me semblait absurde.

L’absurdité est d’ailleurs très bien maîtrisée par Louis-Karl Picard-Sioui. Certaines scènes, prises individuellement, peuvent ne paraître n’avoir aucun sens mais, considérées dans l’ensemble de l’œuvre, retrouvent toute leur signification. C’est notamment le cas de la scène où Saint-Ours et Wabush observent la cosmogonie de plusieurs univers. Les deux personnages intoxiqués se retrouvent à faire du « hula-hoop cosmique » entre des bulles-univers et affrontent une mante religieuse géante. En ce moment, si vous n’avez pas lu le roman, vous vous dites sûrement que ce sont des hallucinations causées par la drogue de Saint-Ours et vous n’auriez pas complètement tort. Pourtant, au cours de ma lecture, cette scène m’a semblé essentielle et pleine de sens.

Une infinité de découvertes
Avant de débuter la lecture d’Éveil à Kitchike, j’étais très peu informé au sujet des Premières Nations du sud de la province. Mes connaissances provenaient surtout de mes cours d’histoire et des informations que l’on voit passer dans les médias. Ainsi, je savais que les Iroquoiens étaient sédentaires et vivaient dans des maisons longues, tandis que les Algonquiens étaient nomades et habitaient dans des wigwams. J’étais aussi bien évidemment informé de la controverse concernant les pensionnats autochtones, mais c’était tout. Cela m’a inconsciemment amené à avoir une incompréhension générale de la réalité des Premières Nations. Par exemple, je considérais les peuples autochtones comme un ensemble, où chaque individu avait la même opinion. Toutefois, en lisant Éveil à Kitchike, j’ai compris qu’il y avait autant de points de vue différents sur un sujet qu’il y a de personnes pour y réfléchir. Ce qui crée la richesse de ce roman, c’est justement la quantité et la qualité de ses personnages. J’ai donc eu la chance de découvrir des opinions variées sur plusieurs sujets comme les pow-wow et la vie sur une réserve. C’est grâce à cet élément que l’on remarque le talent de l’auteur qui a réussi à changer mes conceptions initiales erronées sans jamais utiliser un ton moralisateur.

Un univers (presque) réel
Pour finir, je dirais qu’Éveil à Kitchike : La saignée des possibles est un récit fantastique regorgeant de détails témoignant de la réalité des réserves autochtones. On ressent que tous les lieux, tous les personnages et toutes les actions présentes dans le roman sont inspirés d’éléments réels. Cela amène une véritable profondeur à l’intrigue de savoir que tout ce que l’on y retrouve existe pour vrai. Ce qui est également vrai, c’est que je vous recommande fortement de faire comme moi et de plonger dans l’univers extravagant de Kitchike.

La Fondation Lire pour réussir, coordonnatrice du prix, remercie Druide et Antidote, la revue Les libraires, le Salon du livre de Montréal, la revue Brins d’éternité et la revue Solaris.

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