Concours de critique littéraire du Prix des Horizons imaginaires
Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury regroupe des étudiants de dix établissements du réseau collégial québécois et universitaire canadien, a couronné en novembre dernier Mireille Gagné pour son roman Le lièvre d’Amérique (La Peuplade et Le Livre de Poche). Il existe, en marge de ce prix qui honore une œuvre issue des littératures de l’imaginaire, le concours de critique littéraire du Prix des Horizons imaginaires. En plus de mettre en lumière une œuvre incontournable, ce concours pousse les jeunes à se pencher sur la critique littéraire et leur permet de s’exercer à mettre en mots leur appréciation — ou non — d’une œuvre. Pour une seconde année consécutive, Aurélie Beaulieu-Bouchard, étudiante au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption, remporte les honneurs. Découvrez donc ci-dessous le texte lauréat.

LE LIÈVRE D’AMÉRIQUE
UNE COURSE EFFRÉNÉE AU PARCOURS LENTEMENT SOIGNÉ
PAR AURÉLIE BEAULIEU-BOUCHARD / du Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption

À l’inverse du lièvre, Mireille Gagné a pris son temps pour écrire son roman. Cela lui a permis de mettre au monde une œuvre à l’ADN parfait, qui n’a nullement besoin d’être modifié. La finesse de ses propos, son dosage entre le réalisme et l’imaginaire, et son caractère ensorcelant font du Lièvre d’Amérique un bon coureur.

Le génotype du livre se démarque par sa structure hors du commun. Le texte est divisé en six sections comprenant chacune quatre parties. Chaque section possède un court segment explicatif sur les caractéristiques du lièvre, une portion sur l’histoire présente, une autre sur l’enfance du personnage et une dernière sur sa réalité avant que sa vie ne bascule. Les parties comportent chacune une essence bien distincte et longuement travaillée, s’imprimant merveilleusement dans l’atmosphère particulière qui se dégage à chacun des passages.

L’histoire est mirifiquement rythmée par trois types de narrateurs (quel coup de maître!) qui changent régulièrement et qui s’adaptent à l’état d’âme du personnage qui évolue durant différentes périodes de sa vie. Malgré les styles radicalement opposés, il reste indéniable que les passages sont étroitement liés, chacun s’emboîtant admirablement l’un dans l’autre. Cette segmentation offre une compréhension approfondie du personnage de Diane et permet de savourer pleinement le talent indéniable de l’autrice à unir humain et animal.

Je me suis laissé emporter par les mots de Mireille Gagné qui m’ont entourée telle une seconde peau. À mesure que je progressais dans cet univers mystérieux, il me poussait peu à peu de longues oreilles, de longues pattes et une petite queue touffue. À peine ai-je eu le temps de réaliser ce qui m’arrivait que j’étais en train de gambader dans la forêt, main dans la patte avec Diane, aux aguets des indices subtils qui se dessinaient à mesure que je progressais dans l’imaginaire luxuriant de Mireille Gagné. Quelques sauts plus tard, je me retrouvais à la singulière Isle-aux-Grues en compagnie d’Eugène, un jeune homme au jardin secret bien aromatisé. Énigmatique, ce personnage m’a amenée dans son monde sans jamais, pourtant, me laisser approcher sa réalité. Après un autre bond, je perdais mon souffle dans les sempiternelles pensées de Diane à la poursuite d’une profonde et troublante quête identitaire. En proie au raz de marée de la vie, on peut tous s’identifier d’une manière ou d’une autre à sa réalité.

Les pages du Lièvre d’Amérique se tournent comme les feuilles des feuillus partent au vent quand vient l’automne : prestement, mais avec leste. Avec ses quelque 140 pages, ce roman s’est laissé dévoré en à peine quelques heures, mon regard sautant d’un mot à l’autre avec une vélocité incroyable. J’ai perdu la notion du temps dans les limbes du roman et je me suis retrouvée désorientée lorsque j’ai tourné son ultime page. Mon séjour m’a semblé durer des années, sans néanmoins me paraître long. Malgré mon immersion complète dans le monde du lièvre, je me demande encore si j’ai échappé quelque chose dans mon périple, car les repères laissés par l’autrice sont dosés avec parcimonie. Mireille Gagné est avare de mots, mais chacune de ses phrases en cache un millier. Je me suis donc demandé si le chemin que j’avais emprunté était celui qu’elle voulait me faire prendre, ou si j’avais réellement tout exploré dans ce sentier. Peut-être aussi était-ce son but, qu’aucun chemin ne soit expressément tracé, pour qu’on se perde dans les méandres de son imaginaire et qu’on débouche à une sortie qui nous est personnalisée. Mon désir d’y replonger ne s’en est alors qu’échauffé davantage.

Situé tout en bas de la chaîne alimentaire, le lièvre d’Amérique fuit sans cesse. Pourtant, au cours de ma lecture, c’est moi qui suis devenue sa proie. Il m’a accrochée avec ses vigoureuses pattes et m’a entraînée dans son monde sans me laisser la chance de me débattre. Et même si j’avais pu, je n’avais aucune envie de me libérer de son étreinte. J’encourage ce petit Nanabozo à s’emparer de votre esprit comme il a accaparé le mien pour vous amener vers les contrées uniques et délectables façonnées par la fine plume de Mireille Gagné.

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C’est Mégan Toupin, également du Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption, qui remporte la deuxième place du concours avec une critique du Prix de l’immortalité de Johanne Dallaire, alors que Xavier Leclerc, du même établissement que ses deux camarades, clôt ce podium avec une critique de L’avenir de Catherine Leroux. Les trois finalistes remportent une licence du logiciel Antidote, offerte par Druide informatique. Cette année, le jury ayant étudié les critiques des étudiants était composé de Jennyfer Philippe, professeure au Collège Lasalle, Ariane Gélinas, autrice, éditrice et chroniqueuse littéraire, notamment pour Les libraires, et Naïla Aberkan, coordonnatrice du Prix des Horizons imaginaires au sein de la Fondation Lire pour réussir.

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