Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury est formé d’étudiants, a couronné en novembre dernier Fanie Demeule pour son roman Highlands (Québec Amérique), devant Une odeur d’avalanche de Charles Quimper (Alto) et Valide de Chris Bergeron (XYZ). En marge de ce prix qui honore une œuvre issue des littératures de l’imaginaire a été mis sur pied un concours de critique littéraire, encourageant les jeunes à mettre en mots leur appréciation — ou non — d’une œuvre. Cette année, c’est Alexia Roussille, étudiante au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption, qui remporte les honneurs avec une critique sur Une odeur d’avalanche, dont voici ci-dessous le texte.

UNE TOUCHE DE MAGIE
Par Alexia Roussille, du Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption

Une odeur d’avalanche est un roman qui fait du bien. Il nous ramène dans l’enfance, au temps où nos parents nous racontaient des contes juste avant de nous endormir. Des éléments fantastiques subtils, mais magiques (une maison imprégnée de vie, un chien qui s’enflamme) viennent enrichir notre imaginaire. L’amour entre deux personnages âgés nous réchauffe le cœur. Pourtant, Une odeur d’avalanche n’est pas un livre pour enfants, au contraire. Bien qu’il évoque l’atmosphère présente dans les contes adaptés des frères Grimm, ce livre traite de certains sujets s’apparentant davantage à leur version originale. Ce roman traite de sujets chargés : la vieillesse et la mort. L’histoire, qui est autant magique et ludique que tragique et lourde, a grandement influencé mon appréciation de ce roman.

Les éléments fantastiques, qui se déroulent à l’époque du Cowboy et de la Dame en vert, nous transportent dans un endroit qui nous est familier, du quartier Saint-Sauveur à Québec, mais qui comporte un côté absurde, semblable à un rêve : « Un bruant à gorge blanche s’est posé sur le rebord de la fenêtre de la chambre dans laquelle Pénélope s’époumonait, puis un gros-bec jaune vif est apparu, suivi d’un couple de jaseurs. Vers la fin de la journée, toute une rangée de petites bêtes à plumes montait la garde sur la corniche, veillant sur le bébé malgré ses cris qui sonnaient si fort que des fissures couraient sur le plâtre des murs. » Les oiseaux, pourtant innocents, qui arrivent en horde, surprennent. Leur présence met en place un doux inconfort.

Ces oiseaux rappellent l’étrangeté présente dans les contes de Fred Pellerin, auteur québécois renommé. Pellerin installe une atmosphère bizarre, étrange, dans son village d’enfance, Saint-Élie-de-Caxton, grâce à une exagération des traits des personnages et des situations dans lesquelles ils sont plongés. Son personnage de Mme Gélinas, avec ses 475 enfants, en est un exemple. De plus, la maison du Cowboy, avec ses planchers qui craquent, son mobilier qui brise et dévoile des articles d’un vieux journal, m’a fait penser au célèbre château Poudlard, avec ses multiples secrets : « La demeure du Cowboy était capricieuse. Les meubles du salon changeaient constamment de place, la grosse fournaise à l’huile de la cave démarrait par elle-même en toute saison, les fleurs qu’il posait sur la table à dîner fanaient en l’espace de quelques minutes. » J’ai ressenti le même sentiment d’émerveillement éprouvé lors de ma première lecture de la série Harry Potter. La discrétion de ces éléments fantastiques ajoute un soupçon de magie à l’histoire.

L’étrangeté, dans Une odeur d’avalanche, est grandement influencée par le christianisme. La religion étant au centre du quartier Saint-Sauveur, elle constitue évidemment un aspect important du roman. Les liens avec l’Apocalypse de Saint-Jean, dernier livre du Nouveau Testament, sont très intéressants. Effectivement, les tremblements de terre affectant le village peuvent être associés à celui mentionné dans l’Apocalypse : « Je regardai, quand il ouvrit le sixième sceau; et il y eut un grand tremblement de terre… » Sans compter que les disparitions et réapparitions terrorisant Saint-Sauveur peuvent être expliquées par le Dernier Jugement. Les disparus auraient en fait été convoqués au jugement dernier et placés en enfer ou au paradis, tandis que ceux retrouvés auraient été condamnés à finir l’éternité dans les limbes. L’analyse de ces éléments a, pour ma part, beaucoup ajouté à ma lecture.

Finalement, Une odeur d’avalanche interpelle le lecteur grâce aux thèmes abordés. En effet, sortant de l’atmosphère ludique, ils ajoutent une nouvelle dimension à l’histoire. Ils percent les esprits. Ils font réfléchir.

J’ai adoré le thème de la vieillesse, qui est présenté sous plusieurs aspects. La relation entre le Cowboy et la Dame en vert prouve qu’il est possible de trouver le grand amour, et ce, à tout âge. Cet espoir nous apaise. Or, la vieillesse effraie aussi, car chaque minute, chaque seconde, la mort se rapproche de plus en plus et il est impossible de lui échapper : « Sachant que le temps était pour lui une denrée périssable, il aurait préféré effacer la Dame en vert de sa tête. » Une odeur d’avalanche illustre tant la beauté que l’horreur de la vieillesse. Le Cowboy et la Dame en vert sont sages, débordant d’expériences et de souvenirs, mais ils perdent peu à peu contrôle sur leur corps, commençant par de simples rhumatismes et, pour le Cowboy, finissant par une perte totale d’autonomie. Cela relève de l’horreur : être prisonnier dans son propre corps. Ce roman va même jusqu’à aborder la nostalgie liée à la vieillesse : la Dame en vert et le Cowboy se souviennent avec mélancolie de leur Saint-Sauveur d’antan. Ce livre nous rappelle que vieillir est inévitable et universel et sera simultanément synonyme de beauté et d’effroi.

Étroitement lié à la vieillesse, le thème de la mort, illustré avec douceur, ajoute énormément à la profondeur de l’histoire. La mort, bien qu’elle soit une séparation physique avec le monde pour l’éternité, un au revoir, renforce les liens entre nous et nos proches et comporte même une certaine beauté, une certaine paix : « Il savait que la Dame en vert lui épongerait le front, le tiendrait serré tandis qu’il ferait face à la grande bascule. En retour, il lui avait promis de revenir la hanter, de faire pleuvoir sur elle des nuages de monarques, des fleurs de cerisiers qui recouvriraient tout le quartier. » Quimper capture avec aisance la complexité de la vieillesse et de la mort, tout en rendant l’histoire d’autant plus poignante.

L’œuvre Une odeur d’avalanche est une perle de la littérature québécoise. Le sentiment de magie qui se dégage de l’histoire judicieusement ficelée par Charles Quimper enveloppe le lecteur d’un doux réconfort, tandis que la complexité des thèmes le force à garder un pied dans la réalité. Pour reprendre certains mots de l’auteur : j’aurais voulu découper toutes ces phrases noyées sur les pages, en prendre tous les morceaux et les graver dans mon cœur, avec toute leur délicatesse et leur profondeur.

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