Plusieurs connaissent leur nom, mais peu ont osé mettre le nez, pour le plaisir, dans les pages d’un ouvrage publié chez l’une des cinq presses universitaires qui publient en français au pays. Pourtant, pour un lecteur friand, attentif et curieux, il y a là une richesse de la pensée et un fourmillement des connaissances actuelles à ne surtout pas bouder. Qui sont ces presses universitaires, à quoi servent-elles et que publient-elles? Petit tour d’horizon avec Lara Mainville, directrice de celles de l’Université d’Ottawa, et avec Patrick Poirier, directeur de celles de l’Université de Montréal.

Les premières presses universitaires à publier en français en Amérique du Nord ont été Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO), créées en… 1936! Depuis, plusieurs autres ont été fondées afin de diffuser le savoir savant : Les Presses de l’Université Laval en 1950, Les Presses de l’Université de Montréal (PUM) en 1962, Les Presses de l’Université du Québec en 1969 et Les Presses de l’Université Concordia créées tout récemment, en 2016.

Ces presses ont toutes en commun de publier des ouvrages savants, scientifiques, universitaires, afin de faire avancer la réflexion dans des domaines précis. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, chacune de ces presses ne publie pas uniquement des auteurs issus de son campus — professeur, doctorant, chercheur, par exemple —, bien au contraire. Car, tout comme une maison d’édition généraliste, les éditeurs spécialisés ont à cœur de publier le meilleur manuscrit possible, et ce, peu importe sa provenance. « Les chercheuses et chercheurs dont le manuscrit saura faire avancer l’état des connaissances dans une discipline donnée, qui contribuera de manière positive et réfléchie aux grands débats sociaux et à l’élaboration de politiques publiques, et qui est bien écrit : voilà ce que l’on recherche avant tout, explique madame Mainville. Nos autrices et auteurs viennent de partout au pays — cette année, nous avons publié des auteurs de Terre-Neuve jusqu’à Victoria, ainsi que des auteurs étrangers. De ceux-là, nous publions des autrices et auteurs émergents de même que des chercheuses et chercheurs chevronnés. » Pour l’anecdote, Les Presses de l’Université McGill — qui publient 5% de leurs livres en français et la balance en anglais — ont ouvert un bureau à Londres, afin d’être au plus près des auteurs potentiels à recruter. Un œil sur ce qui se fait sur le campus, oui, mais un autre vers l’horizon…

Publier de la science
Patrick Poirier qui, avant d’occuper le poste de direction des PUM, a été coordonnateur scientifique du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) à l’Université de Montréal pendant douze ans, a dirigé la revue Spirale durant huit ans et a participé pour un court temps au Groupe Nota Bene, explique que, bien qu’il s’agisse d’ouvrages savants, l’accessibilité du texte demeure primordiale : « Quand on reçoit un manuscrit, par exemple une thèse de doctorat, le principe premier est de faire bien comprendre à l’auteur ou l’autrice que ce n’est pas une thèse que l’on publie, mais bien une version complètement remaniée, réécrite dans certains cas, de ce qu’ils ont produit pour leur doctorat. On les aide à produire quelque chose qui est davantage de l’ordre de l’essai, même si ça reste un essai académique ou scientifique, avec une volonté non pas tant de vulgarisation par rapport au contenu, mais une volonté de rendre le tout le plus accessible possible. » Il explique que dans certains champs disciplinaires — autres que celui de la littérature ou de la philosophie, où les auteurs ont alors souvent un rapport à l’écriture beaucoup plus assuré —, le rôle de l’éditeur est d’accompagner l’auteur à structurer sa pensée, à lui apprendre comment « construire un livre ». Mais là n’est pas la seule différence entre un éditeur universitaire et un éditeur généraliste, tel que nous l’explique Lara Mainville, des PUO : « Les presses universitaires se distinguent d’un éditeur généraliste d’abord et avant tout par leur processus d’évaluation par les pairs, qui confère une validation scientifique aux livres savants. Ce processus prévoit que tout manuscrit scientifique, même lorsqu’il a pour but de vulgariser la recherche, sera soumis à un comité d’experts qui évalueront la méthodologie, l’originalité et la contribution, et d’autres critères. Les rapports de lecture sont anonymisés puis partagés avec l’auteur ou l’autrice, qui doit fournir une lettre de réponse dans laquelle le plan d’amélioration du manuscrit est détaillé. Ce plan permet ensuite de vérifier si les modifications ont bel et bien été effectuées. Ce processus permet donc non seulement de valider la recherche, mais aussi d’améliorer le produit final, le rendant mieux structuré, clair, simple, et, souvent, plus court. » Un processus qu’ils prennent très au sérieux, car leur réputation y est bien entendu étroitement liée.

L’accessibilité dans la mire
Les lancements de livres issus de presses universitaires, du moins aux PUM, ont également une touche un peu différente et prennent plus souvent la forme de tables rondes ou de conférences plutôt que de seules célébrations. Un animateur est présent et accompagne l’auteur afin que ce dernier expose clairement le propos de son nouvel ouvrage. « Ce sont des moments vraiment importants pour nous, explique monsieur Poirier, parce que c’est là qu’on peut espérer voir parmi l’assistance des gens qui sont curieux de savoir de quoi il peut en retourner et qui vont peut-être être suffisamment intéressés pour se procurer l’ouvrage et le lire. Mais même s’ils ne se procurent pas l’ouvrage, ils auront absorbé la discussion, laquelle aura nourri leur réflexion : ainsi on joue notre rôle de presses universitaires dans la Cité. » Car, tel qu’on le lit dans la description de cet éditeur, « les PUM ont pour mission fondamentale de diffuser le savoir le plus largement possible et d’être au service tant du milieu universitaire que de la société en générale ».

« Dans nos efforts de rendre accessible le savoir universitaire, ma collègue Nadine Tremblay a eu cette formidable idée d’aller de l’avant avec la collection “Le monde en poche”, des petits essais de 60 pages, essentiellement en science politique, qui répondent à une question précise. Par exemple, qu’est-ce qui se passe au Yémen actuellement? L’auteur est appelé à réfléchir, à écrire sur la question, dans une écriture qui sera accessible à tous. Un peu comme la collection “Que sais-je?” des PUF. » Avec un souci d’être en phase avec l’actualité, un essai sur l’Ukraine et la Russie paraîtra bientôt et le plus récent s’intitule L’État face à la crise environnementale. Le petit nombre de pages permet de produire en peu de temps des ouvrages de qualité, réfléchis. Chez les PUO, la « Collection 101 », instaurée en 2018, est de la même trempe : en 101 pages cette fois, cette collection s’adresse « au grand public qui veut pouvoir s’initier à une question en une petite soirée » grâce aux écrits d’experts. Sur son site, l’éditeur résume joliment le tout : la collection est écrite pour « le novice enthousiaste et l’expert sérieux » et est conçue pour élargir les horizons. Le plus récent titre est Réinventer la démocratie : De la participation à l’intelligence collective, qui suit Altermondialismes : Justice sociale et écologique dans un monde globalisé.

Patrick Poirier attire notre attention sur La musique qui vient du froid de Jean-Jacques Nattiez, dont une exposition du même nom a cours jusqu’au 12 mars au Musée des beaux-arts de Montréal, et qui parle de l’art, des chants et des danses inuit. « C’est un ouvrage qui va servir de référence pour les années à venir, sans l’ombre d’un doute, mais c’est aussi une formidable introduction à l’art inuit. Je sais qu’il y a plusieurs lecteurs qui sont vraiment intéressés par cette question-là, et Jean-Jacques Nattiez en offre une formidable introduction. » Sur le site des PUM, on trouve en complément du livre des suppléments musicaux et vidéos qui permettent de prendre connaissance de la musique, des chants, des danses. « Pour moi, ce livre est l’aboutissement de quelque chose d’incroyable et j’espère qu’un grand nombre de lecteurs va s’y intéresser. »

Du côté des PUO, elles proposent une collection d’œuvres littéraires florissantes, incluant romans, nouvelles, essais, biographies et mémoires, destinées au grand public. On pense au recueil de nouvelles de Maurice Henrie La maison aux lilas, à l’essai de Denis Bachand, qui s’attarde au pouvoir évocateur et à la capacité à faire ressurgir une heureuse nostalgie des productions culturelles ou artistiques dans Voyages en nostalgie, ou encore à l’hommage aux soldats canadiens de la Première Guerre mondiale dans le roman Acadissima de Jean-Louis Grosmaire. Lara Mainville attire notre œil sur Pour sortir les allumettières de l’ombre, un essai fascinant sur l’expérience des ouvrières qui ont mis leur santé en jeu entre 1854 et 1928 en travaillant dans une usine de Hull.

Osez la curiosité : chez plusieurs presses universitaires, des titres sont publiés pour vous!

Édition francophone dans une mare anglophone
Sises dans l’une des plus grandes universités canadiennes et l’une des plus grandes universités bilingues au monde, les PUO publient des ouvrages en français et en anglais, en fonction de la langue des manuscrits qu’elles reçoivent, tout simplement. « Je suis profondément convaincue de l’importance des PUO dans le paysage intellectuel du pays, y compris au Québec. On sait déjà l’importance stratégique des PUO à titre d’uniques presses universitaires francophones à l’extérieur du Québec, et donc de l’importance que nous accordons à la francophonie canadienne qui mérite une bien plus grande reconnaissance que celle que nous lui accordons, hélas, trop souvent. Nos traductions font de nous des passeurs culturels — permettant à des ouvrages primés d’être connus par-delà les lecteurs francophones, explique Lara Mainville. Nous travaillons au quotidien en deux langues, deux cultures, en région frontalière. Cela représente un avantage stratégique. Notre programme de publications est représentatif de notre place au confluent de visions du monde diverses. Nos autrices et auteurs prennent la parole sur les tribunes publiques, contribuent aux débats publics, expliquent les enjeux, les recadrent ou les défendent, se présentent devant les commissions parlementaires, devant les ministères ou les bailleurs de fonds. Par-dessus tout, notre rôle est de faciliter la transmission des idées et du savoir d’intellectuels de haut niveau et d’autrices et d’auteurs de talent qui écrivent notre histoire et nos histoires. » Mais publier des ouvrages universitaires en langue française, en Ontario comme au Québec, nous explique Patrick Poirier, tient d’un baroud d’honneur : de plus en plus, la recherche scientifique est attirée vers ce gigantesque trou noir qu’est la langue anglaise et qui attire tout à elle. « On ne peut pas rester les bras croisés comme citoyen du Québec, comme citoyen de la francophonie. S’intéresser à ce qui se fait en recherche en langue française, c’est tellement important, ne serait-ce que pour sauvegarder un minimum de patrimoine scientifique dans notre culture de tous les jours. En ce moment, il y a trop de champs disciplinaires qui succombent au chant des sirènes du “je vais être davantage lu si je publie en anglais que si je publie en français”. Et même si, mathématiquement, cela est vrai, à long terme cette tentation peut avoir un effet pervers sur le patrimoine scientifique d’une culture donnée, d’une nation donnée, et c’est là où il faut faire attention. Pour moi, c’est un combat quasiment quotidien. Aider à publier la recherche en français, c’est tellement important. »

Patrick Poirier souligne cependant la force et la solidarité de l’écosystème du livre au Québec (la structure du côté anglophone n’étant pas la même), qui a notamment joué en faveur du milieu du livre d’ici durant la pandémie, alors qu’a contrario, du côté anglophone, cela a été une période très difficile. Il siège au conseil d’administration de l’Association des presses universitaires canadiennes — dont Lara Mainville a notamment été la présidente de 2019 à 2021 — et mentionne que cette implication lui permet de mesurer l’écart incroyable qui existe entre le Canada anglais et le Canada français : « Il y a des enjeux et des défis qui sont communs et sur lesquels nous travaillons ensemble, mais il y a en même temps des sujets qui ont des particularités qui sont propres à l’un ou à l’autre. » Abondant dans le même sens, madame Mainville exprime certaines similarités entre les deux solitudes : « Dans les deux milieux, la place des sciences humaines dans un monde fortement tourné vers les sciences pures et la place du livre savant (le slow research, si on veut) dans un monde où tout va vite sont rapidement remises en question. Les défis du libre accès, de l’intégration des nouvelles technologies, les défis encore plus grands du financement sont similaires. D’autres enjeux sont perçus autrement et doivent être gérés autrement. Mais je persiste à croire en l’importance des presses universitaires comme autant de joyaux, qui contribuent aux connaissances pour les générations futures. »

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