L'initiative Les libraires conseillent répond à la demande des lecteurs avides de suggestions. Chaque mois, un comité formé d’une quinzaine de libraires établit, après moult discussions passionnées et passionnantes, une sélection de cinq livres. Essais, BD, romans jeunesse ou pour adultes, d’ici comme d’ailleurs, ces cinq livres sont mis de l’avant dans les librairies membres de notre réseau. Cette initiative est une belle occasion de promouvoir des livres jugés particulièrement remarquables, ainsi que de valoriser le rôle primordial de votre libraire. Voici la sélection de mars.


Un bref instant de splendeur
Ocean Vuong (Gallimard)

Inspiré de sa vie, Ocean Vuong façonne son récit sous forme d’une lettre à sa mère, décédée plus tôt. Analphabète, dure envers son fils, celle-ci porte, tout comme sa mère qui vit avec eux, les stigmates de la guerre du Vietnam. Avec tendresse mais sans complaisance, il raconte le périple de ces deux femmes invisibles et témoigne de sa propre réalité d’enfant immigrant, puis d’adolescent homosexuel. Avec une plume magnifique, l’auteur oscille entre la grâce et l’âpreté du quotidien en offrant bien plus que de brefs instants de splendeur. Une lecture magistrale, vraiment!
Chantal Fontaine, librairie Moderne (Saint-Jean-sur-Richelieu)

 


Rien dans le ciel
Michael Delisle (Boréal)

Dans Rien dans le ciel, son dernier recueil, Michael Delisle nous présente huit nouvelles dont les protagonistes sont pour la plupart des hommes dans la cinquantaine ou la soixantaine, qui réfléchissent à ce que leur réserve l’avenir, mais qui reviennent également sur leur passé, que ce soit de manière positive ou négative. La peur de la vieillesse et de ses conséquences est souvent au cœur de leurs inquiétudes. Bien que les nouvelles soient assez courtes, l’écriture efficace de Delisle nous permet une immersion complète dans chacun des univers décrits. Une lecture agréable qui ne décevra pas les amateurs du genre.
Véronique Tremblay, librairie Vaugeois (Québec)

 


L’intrusive
Claudine Dumont (XYZ)

Je suis content que ce titre fasse partie de notre sélection ce mois-ci. Il y a des styles comme ça qu’on adopte dès la première lecture, le premier livre, et le style de Claudine Dumont est assez unique en son genre. Ses livres sont empreints de tension psychologique tellement intense qu’on flirte avec le livre d’horreur. Imaginez que vous ne soyez plus capable de dormir, rien n’y fait : que ce soit les médicaments, les psychologues ou les psychiatres. Le problème persiste et les cinq minutes de somnolence grappillées ici et là ne font que compliquer les choses. Et là, l’ultime solution qui se présente à vous vous transportera peut-être à travers un atroce cauchemar… Un livre qui vous gardera assurément éveillé plusieurs heures!
Shannon Desbiens, librairie Les Bouquinistes (Chicoutimi)

 


Le fantôme de Suzuko
Vincent Brault (Héliotrope)

Après plusieurs mois d’absence, Vincent est de retour à Tokyo pour assister aux funérailles de Suzuko, la femme coup de foudre qui lui a fait abandonner Montréal sur un coup de tête deux ans plus tôt. Comme si les pluies froides de janvier n’étaient pas déjà assez propices à la mélancolie et au vague à l’âme, Vincent décide de s’installer dans l’appartement du quartier Sumida qu’ils ont partagé ensemble. Transi dans tous les sens du terme, Vincent erre dans la ville, croyant apercevoir à chaque détour le fantôme de sa belle. Ses amis artistes s’inquiètent pour lui, jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de la mystérieuse Kana lors d’un vernissage dans une galerie de Ginza.

Superbe livre sur l’absence et la perte de repères, mais aussi ode au désir et à l’amour passionnel, ce troisième roman de Vincent Brault est une proposition littéraire comme on en voit peu au Québec. La trame principale pourrait rappeler le travail de Ying Chen et d’Aki Shimazaki, mais avec des influences comme Hiromi Kawakami (Manazuru, Le temps qui va, le temps qui vient) et Yoko Ogawa (La formule préférée du professeur, L’annulaire), on bascule nécessairement dans un univers où les frontières entre le réel et le rêve sont des plus troubles. L’animisme japonais y est traité avec beaucoup de doigté, ce qui fait en sorte que même les éléments les plus étranges et excentriques du récit nous semblent aller de soi, parfaitement naturels. On note finalement le travail sur les dialogues, où l’auteur s’efforce de bien rendre en français « la couleur du parler » japonais, tentative inédite que je ne me souviens pas avoir vue ailleurs (et qui, passé la surprise initiale, fonctionne assez bien, dois-je le préciser). J’ai même commencé à utiliser les Kaomojis sur mon téléphone portable tout de suite après ma lecture! C’est dire!

Une belle réussite qui vous fera découvrir une Tokyo intime et secrète. Avec une écriture et une histoire aussi exotiques, sensuelles et envoûtantes, quoi de mieux pour bien commencer le printemps à la fin du mois? Beau prétexte pour penser à la saison des cerisiers en fleurs en tout cas!
Gabriel Guérin, librairie Pantoute (Québec)


La mémoire est une corde de bois d’allumage
Benoit Pinette (La Peuplade)

Mieux connu sous le pseudonyme Tire le coyote, cet auteur-compositeur-interprète nous offre, grâce aux éditions de La Peuplade, son tout premier recueil de poésie. Dans le livre La mémoire est une corde de bois d’allumage, Benoit Pinette fait un retour dans les méandres de son enfance et tente de démystifier ce précieux héritage qui se transmet de génération en génération. Grandement inspiré par son père, il nous confie sa résilience et son courage à travers les épreuves qui ont parsemé son parcours. Composé de courts poèmes, chaque vers est minutieusement écrit en toute simplicité et véracité. La musicalité reste bien ancrée dans l’agencement de chaque mot ce qui donne une richesse qui émerveillera chaque lecteur. Peut-être s’agissait-il d’un défi pour le chanteur de produire ce recueil, mais s’il tel est le cas, il a su brillamment le relever. Espérons que Tire le coyote nous offrira d’autres bijoux poétiques dans un avenir proche.
Émilie Bolduc, librairie Le Fureteur (Saint-Lambert)