Quarante ans d’édition féministe au Remue-Ménage

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Quarante ans d’édition québécoise ce n’est pas rien. Surtout lorsqu’on est une maison spécialisée, et qui plus est dans les sujets féministes (oh! le mauvais genre!). C’est pourtant le défi qu’a relevé au fil des années les femmes du Remue. Intelligentes, inspirantes, courageuses, elles l’ont été et le sont encore. On leur doit une fière chandelle (et pourquoi pas quarante)?

Parlez-nous des origines de la création des éditions du Remue-Ménage.
Remue-ménage a été fondée par un groupe de militantes écœurées de ne pas trouver les textes qui les intéressaient dans l’offre éditoriale des années 1970. Elles ont relevé leurs manches et elles ont commencé à faire elles-mêmes des recherches, des traductions, des propositions. C’étaient des femmes très courageuses et assez visionnaires; elles ont fait un travail de défrichage extraordinaire et elles ont été très tenaces. On ne sait pas si elles le réalisent, mais elles ont changé la société québécoise. Elles ont fait connaître des idées comme la réflexion sur le travail ménager, la santé reproductive (et la défense de l’avortement); elles ont défendu le désir féminin, le désir lesbien; elles ont fait connaître le travail des femmes dans toutes sortes de domaines (en mathématiques, en musique, en poésie). Aujourd’hui, grâce à ce catalogue, on ne peut plus les ignorer.

Pourquoi le féminisme est-il encore pertinent en 2016-2017?
Des tas de femmes répondent régulièrement à cette question de façon brillante. Difficile de faire mieux qu’elles, par contre on peut vous parler de la pertinence de l’édition féministe en 2016. L’édition féministe, ce n’est pas un idéal, c’est une stratégie. Dans un monde postpatriarcal, il ne serait plus nécessaire de défendre les livres d’une manière féministe. Or, 40 ans après la fondation, nous constatons un regain d’intérêt pour l’édition féministe. Nous avons plus de visibilité, plus de propositions de projets, plus de lectrices et ça ne se passe pas que chez Remue-ménage. Par exemple, Montréal voit cette année l’ouverture d’une librairie féministe. Le public nous confirme ces temps-ci la nécessité d’un travail de promotion, de recherche et de valorisation de la parole des femmes, de la pensée féministe. C’est peut-être triste, mais ça ne se fait pas encore « naturellement ». Les auteures sont moins reconnues, moins enseignées que les hommes, et ce, même si elles écrivent autant. Elles sont aussi parfois cantonnées à certains genres. L’édition féministe cherche à rééquilibrer les forces, et aussi à faire connaître des œuvres et des pensées que nous jugeons importantes, et qui intéressent moins les éditeurs généralistes. Des éditrices féministes sont aussi bien outillées pour aider des auteures à affronter le sexisme qui s’exprime souvent dans la réception. Ça demande du courage pour écrire, pour défendre des idées sur la place publique. Et les livres du Remue-ménage dérangent l’ordre établi. En plus, un espace éditorial féministe, nous croyons que ça suscite des démarches d’écriture féministes, c’est un espace de désobéissance à certaines règles, un micro tendu et invitant.

Einstein disait qu’il était plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. Selon vous, quel cliché homme-femme a encore la vie dure au Québec?
Nous vivons dans un monde très normé, très conformiste, les clichés de masculinité et de féminité, la norme hétérosexuelle se portent bien. Il y a encore un stéréotype genré dans le rapport à l’autorité intellectuelle. Les femmes sont moins prises au sérieux; même quand on considère leur œuvre comme une contribution intéressante, on a tendance à la diminuer ou à ne pas savoir quoi en faire. Les listes de livres « qu’il faut avoir lu » ou « qui changent la face du monde » sont encore très masculines. Nous pouvons faire attention à ça comme lecteurs, comme critiques, comme enseignants : les hommes écrivent de touchantes déclarations de tendresse et les femmes font des manifestes qui pètent des dents. Ça vaut la peine de le remarquer.

Quels gestes, paroles ou attitudes pouvons-nous avoir, dans notre vie quotidienne, pour contrer le sexisme ordinaire? Comment pouvons-nous mieux transmettre aux générations qui suivront la valeur d’égalité?
Nous pouvons lutter contre le sexisme et transmettre des valeurs d’égalité, de justice et de respect par nos choix de lecture. Juste de faire l’effort de ne pas lire uniquement ce qui nous est donné, c’est un geste qui compte. Avez-vous lu des femmes cette année? Avez-vous lu des œuvres qui ne sont pas promues par de grosses machines commerciales? Avez-vous fait l’effort de vous intéresser à des écrivain.e.s qui viennent d’ailleurs, ou qui ne sont pas de votre réseau social? Nous sommes souvent paresseux : nous prenons les influences qui passent. Mais lire ce qui n’est pas conforme, ce qui n’est pas traditionnel et qui dérange le pouvoir, ça demande souvent un effort, une audace de plus. Faire ce geste de curiosité, et ensuite le multiplier en parlant de ces lectures-là qui ne ressemblent parfois à rien de ce que l’on connaît, ça a un effet démocratique et créatif réel.

De gauche à droite : Anne Migner-Laurin, Catherine Dubé [commissaire d’exposition automne 2016], Valérie Lefebvre-Faucher, Camille Simard et Rachel Bédard.

Site des éditions Remue-Ménage 

En complément : 
40 livres pour les 40 ans de Remue-Ménage 

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