La troisième édition des Rendez-vous d'histoire de Québec se tiendra entièrement sur le Web, ce qui ne l'empêchera pas d'offrir une programmation riche et diversifiée. Du 13 au 16 août, le festival vous convie donc à vous joindre aux conférences, débats, entretiens, ateliers, etc., qui figurent au menu. Pour l'occasion, nous nous sommes entretenus avec l'historien et auteur Laurent Turcot, porte-parole de l'événement.

Selon vous, pourquoi les gens sont-ils si fascinés par l’Histoire?
J’aime bien cette question. On pourrait presque la renverser et demander : « pourquoi certaines personnes ne sont pas fascinées par l’Histoire? ». On a tous un passé. Un passé individuel, sa vie, et un passé collectif, celle de sa famille, de son village, de sa province, etc. À un moment où un autre, on se dit toujours : « comment je suis arrivé-là? ». À partir de ce moment, qui peut arriver dans la tendre enfance, on commence déjà à s’intéresser à l’Histoire. Parce que chercher à savoir qui on est c’est forcément chercher à comprendre les liens qui nous unissent à son monde et surtout aux autres.

Plus largement, on peut aussi dire que l’Histoire fascine parce qu’elle est un réservoir intarissable de femmes, d’hommes, d’événements qui permettent d’apprendre, de comprendre et d’appréhender le monde avec un peu plus de distance et à moins s’alarmer quand une cassure se produit dans le quotidien.

Se tourner vers l’Histoire est souvent une façon de remettre le présent en perspective. De ce point de vue, qu’est-ce qu’on peut affirmer sur notre époque?
Notre époque n’est pas coupée des grands bouleversements qui se sont déroulés il y a 10, 20, 100, 1000 ans. Nous sommes encore à digérer certaines des transformations qui se sont opérées il y a longtemps. En cela, nous sommes filles et fils du passé, mais cela ne veut pas dire que nous devons obligatoirement lui vouer un culte ou s’agenouiller devant toutes les figures du passé comme autant de prophètes. La vérité est ailleurs je pense. L’esprit critique doit prévaloir.

J’ai toujours aimé cette phrase de Charles Dickens, au point où je l’utilisais à plusieurs reprises dans ma production, notamment dans mes romans : « Je ne vais pas raconter cette histoire telle qu’elle s’est passée, mais telle que je m’en souviens ». Vous avez là le cœur même de toutes les études en histoire. La mémoire n’est pas l’Histoire. La mémoire produit de l’imaginaire collectif sélectif tandis que l’Histoire est une méthode scientifique qui vise à produire une construction de rationalité. Dans les deux cas cependant, il y a bien là un rapport entre le présent et passé.

Quand on fait de l’Histoire, on ne travaille pas sur le passé, mais sur les traces du passé, m’amusais-je à répéter à mes étudiants pour leur faire prendre conscience de la partie critique qu’impose toute forme d’études dans cette discipline que j’ose encore appeler les sciences historiques. Notre époque sera toujours marquée d’un passé infiniment présent au quotidien et voilà un des éléments du travail de l’historienne et de l’historien.

Avec votre regard d’historien, que pensez-vous de l’adage qui dit que le passé est garant de l’avenir?
« Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ». Je n’ai jamais aimé cette formule. Elle donne l’impression qu’il y a, dans les sombres arcanes du passé, un monde qui nous permettra de ne point errer dans notre présent, de nous guider comme une grande sœur ou un grand frère; de nous prévenir des dangers, de nous préparer à affronter des périls et de profiter de la douce quiétude d’une époque pacifiée.

Connaître un passé qui, finalement, serait maître de nos destinées, de notre devenir. Je ne pense pas qu’il faille considérer l’Histoire comme un temple dans lequel on pénètre afin d’être initié à la bonne et juste connaissance pour avoir enfin le regard vif et clair. Panacée du présent, antidote pour l’avenir, c’est beau, mais c’est faux. Parce que s’il en était ainsi, nombre d’hommes et de femmes politiques, pour ne prendre que ceux-là, se lanceraient à corps perdu dans l’analyse des bons et mauvais coups de leurs aïeuls et auraient les coudées franches pour dominer un monde qu’on dit, et qu’on a souvent dit, ingouvernable parce qu’impalpable. Enseigner, c’est défaire les lieux communs à coup de démonstration finement construite. On ne doit pas offrir une formule toute faite, un prêt à penser facile qui réfléchit à leur place. Les tout-inclus de la pensée sont trop souvent des raccourcis qui dénaturent l’esprit critique.

Nous avons tendance à penser que l’Histoire prend entièrement sa source dans le passé mais elle s’incarne et se fait chaque jour. À votre avis, qu’aura-t-on retenu de nous dans un siècle?
J’aimerais tellement avoir une machine à voyager dans le temps afin de pouvoir précisément vous répondre. Ma réponse ne vaut pas plus que celle d’un autre. Je ne crois ni à la divination, ni à la spéculation prophétique. Je pense que le tamis du temps aura fait son œuvre et que peut-être, les grands moments que l’on a pensé être « historique » quand on les a vécus, n’étaient en réalité qu’une longue série de transformations qui n’ont trouvé leur sens que bien plus tard.

En quoi un événement comme celui des Rendez-vous d’histoire de Québec qui permet de rassembler les passionnés sur le sujet, tant les plus connaisseurs que les néophytes, déploie son intérêt?
L’Histoire n’appartient pas aux historiennes et aux historiens, elle doit être publique, accessible et ouverte.

En histoire, comme dans plusieurs disciplines universitaires, il y a un langage, une posture intellectuelle et une manière de s’exprimer pour contrôler les effets de lecture, bref, on s’attache à des mots précis. Pour celui qui vient de l’extérieur, tout ceci apparaît comme un langage ésotérique que seuls les élus, marqués par des rituels d’acceptation (maîtrise, doctorat, post-doc, poste de prof.), connaissent et maîtrisent.

Notre monde a cependant changé, les données médiatiques du 21e siècle ne sont plus celles du siècle passé, la toute-puissance des journaux et de la télévision laisse maintenant place aux réseaux sociaux et à Internet. Vous me direz que les journaux sont encore énormément lus, que la télévision réalise des scores plus qu’honorables, avec des émissions qui pointent souvent au million de téléspectateurs.

Les Rendes-vous permettent de démocratiser de manière intelligente et concise ce qu’est le travail des historiennes et des historiens. Je ne peux que souhaiter une longue vie à cet événement déterminant dans le paysage de la vulgarisation et de la diffusion du savoir au Québec.

Consulter la programmation : Site des Rendez-vous d’histoire de Québec

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