Alors que Neige parcourt les Limbes vaporeux des marécages de la Tourmente, il aperçoit une silhouette se profiler à travers le rideau opaque de la brume délétère. C’est une petite fille d’environ 10 ans à la peau foncée et à qui il donnera, puisqu’elle ne possède aucun souvenir, le prénom d’Olive. Pour l’heure, il la ramène chez lui et lui apprend les rudiments de la vie des Solitaires, peuple dont il est issu. C’est dans cette atmosphère énigmatique, portée par une écriture limpide et magnétique, que le roman La respiration du ciel prend son envol. Premier tome de la tétralogie de fantasy La semeuse de vents et premier livre de l’autrice Mélodie Joseph, il n’a vraiment rien pour décevoir.

Dès qu’elle a su lire, Mélodie Joseph, d’origine martiniquaise et habitant le Québec depuis dix ans, a voulu plonger dans l’écriture. Depuis, comme une seconde nature, elle y revient toujours. Quant à son goût pour la fantasy, il apparaît aussi très hâtivement et de façon qu’on pourrait qualifier d’involontaire. Simplement, le genre l’embrase, la soulève, l’inspire jusque dans ses rêves. C’est d’ailleurs à partir de l’un d’eux que l’idée de départ prend naissance. Elle y voit une immense île flottante à laquelle elle greffera des pirates de l’air, imaginant autour des protagonistes une intrigue qui conduira à une autre et ainsi de suite. L’étape suivante est d’organiser le chaos en établissant un plan, lequel ne sera pas toujours respecté. « On dirait que parfois ce sont les personnages qui me racontent l’histoire, explique l’écrivaine. Je suis en train d’écrire et je me rends compte qu’ils ne réagissent pas comme j’aimerais qu’ils le fassent. » Il faut à ce moment réorganiser quelques passages, remplacer des éléments, attacher de nouveaux fils.

Participer à l’histoire
Influencée par la série L’assassin royal de Robin Hobb — son autrice fétiche, avec Brandon Sanderson —, Mélodie Joseph a souhaité suivre la vie d’un héros, ici une héroïne, en la voyant avancer en âge et évoluer dans le temps. Dans les trois parties subséquentes qui seront publiées ultérieurement, on la verra changer, se transformer. « Je suis vraiment rentrée dans cette idée de récit initiatique, précise l’autrice. Les personnages se cherchent et se trouvent, et grandissent au fil des livres. » Olive est une enfant débrouillarde, au tempérament fougueux et déterminé et qui se découvre un pouvoir qu’elle n’est pas encore en mesure de contrôler. La fillette aussi s’est imposée spontanément à l’écrivaine avec ses caractéristiques et sa personnalité. Ses réactions et ses forces se dessinent à travers les péripéties mises sur sa route, surprenant même l’autrice qui ne la croyait pas d’abord si impétueuse.

Après sa rencontre avec Neige, Olive sera laissée dans un orphelinat situé sur des îles du ciel abritant les Quatre archipels et qui est administré par les Oracles. Ses origines obscures lui valent d’être tenue à l’écart par le groupe, mais elle y fera cependant la connaissance d’Astra, une enfant avec qui elle se liera d’amitié. Lorsqu’ensemble elles quitteront l’endroit, leur chemin croisera entre autres celui de Béryl, la capitaine des pirates de l’aéronef la Chèvre Noire. Ces trois filles, figures fortes et assurées, ne sont pas mises là par hasard. « J’écris ce que j’aimerais lire et je voudrais voir dans la fantasy beaucoup plus de personnages féminins dans les rôles principaux, donc qui mènent l’aventure », déclare Mélodie Joseph. En faisant consciemment ce choix, l’autrice s’inscrit dans un sillage féministe, consciente que même lorsqu’on écrit de la fiction, celle-ci ouvre un spectre plus large et se prolonge dans l’espace public. En cela, toute écriture est un acte d’engagement, une façon de prendre parole et d’exposer sa vision du monde. « Une des choses que j’aime beaucoup dans les littératures de l’imaginaire, c’est qu’elles nous permettent de regarder certains enjeux sociaux, culturels et politiques sous un autre angle, exprime l’écrivaine. Il y a des aspects de mon livre qui sont volontaires pour qu’on puisse les lire en connexion avec notre monde. Mais ça m’intéresse de découvrir ce que les lecteurs verront dans ce que j’ai écrit. » Particulièrement avec la fantasy, comme toutes les portes sont ouvertes et qu’il est possible de construire ce qu’on veut, les perspectives étant presque illimitées et les orientations à proposer, tout aussi vastes.

Reprendre sa place
Mélodie Joseph est une autrice bien de son temps puisqu’elle possède sa propre chaîne YouTube où elle prodigue des conseils d’écriture. Ce partage lui fournit l’occasion de briser la solitude qu’exige son travail de romancière et il a également pour but de renseigner les gens sur le milieu littéraire. Par exemple, elle y explique le courant de l’afrofuturisme dont on commence à parler dans le domaine artistique à compter des années 1990. L’autrice nous précise que le concept, apparu dans les milieux marginaux, est plus connu depuis la parution du film Black Panthers, bien que peut-être plus confus selon elle. Sa définition de l’afrofuturisme, thème qu’elle a d’ailleurs exploité dans son mémoire de maîtrise, consiste en « imaginer un futur positif du point de vue de la diaspora africaine en s’inspirant des histoires des Afrodescendants, de leurs cultures, de leur folklore ». Il ne s’agit pas seulement de mettre en scène des personnages noirs dans une vision fantasmée, cette littérature se situe nettement dans un désir d’affirmation des groupes sous-représentés, refusant que se perpétue ainsi le pouvoir de certaines nations sur d’autres. « Miroir est un dieu faiseur de rêves. […] Il a sauvé mon peuple à de multiples reprises. Je vais retrouver les portes de sa chambre et je vais lui demander de ramener les Méridionaux. » Se réappropriant leur récit, les personnes longtemps mises à l’écart se visualisent dans un demain où elles sont maîtresses de leur destinée.

Dans La respiration du ciel, plus Olive recouvrera la mémoire, plus elle prendra conscience de l’importance de raviver la trace des siens, de rétablir la vérité et de se projeter dans un avenir émancipé. Avec son premier roman, Mélodie Joseph s’applique à conjurer le sort d’un peuple, bravant le mépris des différences et l’arrogance des dominants, au profit de la justice et de la liberté.

Photo : © Julia Marois

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