Chris Bergeron offre à la littérature québécoise une grande pinte de fraîcheur grâce à son œuvre entamée en 2021 avec le roman Valide et se poursuivant avec Vaillante, nouvelle qui s'inscrit dans le même univers dystopique. À la tête d'un vaisseau spatial qui a pour mission de recueillir des données sur Mars, l’astronaute Andréa Chang s'adresse au poste de commande, sur Terre. Dans un grand monologue finement narré, empli à la fois d'amour et de colère, de suspense et de drame, elle explique ce qui est advenu de sa copilote, à la fois collègue, amie, amante et amour. Dans cette histoire, la force d'attraction de Vénus est forte et les femmes à bord du vaisseau nommé Valiant sauront parfaitement en tirer profit. Parce qu'elles sont femmes.

« Dans l’espace, la langue de l’amour, ce n’est pas l’italien, le français ou l’espagnol. Dans l’espace, la langue de l’amour, c’est les mathématiques », lisons-nous dans Vaillante. Votre roman, qui se situe dans l’espace, joue habilement avec la langue comme en témoigne le passage ci-dessous :

« Elle revenait ensuite bien vite à son travail : une longue conversation avec l’I.A. du Valiant, douce mélopée de formules mathématiques, valse des interfaces 3D. Sur les écrans de sa station de travail, je voyais se construire, au fur et à mesure, sa toute dernière trajectoire. C’était un tracé d’une grande violence, l’abscisse et l’ordonnée de son trépas tracées sur tableur quadrillé. »

Vaillante - Chris BergeronComment rendre la science-fiction, dans le cas de Vaillante, intéressante sur le plan de la forme, de la langue? Comment avez-vous travaillé en ce sens votre œuvre?
Je ne suis pas certaine d’avoir fait un effort particulier sur ce point. Je crois que c’est plutôt l’influence des genres littéraires avec lesquels j’ai grandi qui se fait ressentir. Ma culture littéraire est assez classique, j’ai un petit faible pour les auteurs ronflants du XIXe siècle, j’aime le style ampoulé, un peu grandiloquent de Dumas et Hugo. Parallèlement, s’il n’y a pas de robot, de dragon ou de vaisseau spatial dans le livre que je lis, je m’ennuie un peu. Alors je fais de la SF poétique, rocambolesque, romantique, romanesque. Cela dit, je crois que la science-fiction est trop souvent prise comme un parent pauvre de littérature. Il y a de très bons écrivain·es, de stylistes dans la littérature de l’imaginaire. Personnellement, je ne fais pas la différence entre un genre et un autre. Il n’y a que de bons et de mauvais livres.

Cette histoire paraît dans la toute nouvelle collection « Draisine », chez XYZ, des fictions courtes qui s’inscrivent dans le sillage d’un roman (et qui se détaillent au coût modique de 6,95$). En quoi la forme brève vous a ici plu, comme créatrice, et en quoi Vaillante se rattache-t-il à Valide, votre roman encensé et publié en 2021.
Il y a un vrai renouveau de la forme courte dans les littératures de l’imaginaire. C’est unValide - Chris Bergeron format qui pourtant ne date pas d’hier; souvenons-nous de Poe, de Ray Bradbury ou de Philip K. Dick, qui appréciaient ce genre de format. Récemment, ce sont des femmes, des queers qui font avancer la fiction courte en SF : Beckie Chambers, Martha Wells. Je crois que c’est un format qui favorise le suspense, mais aussi la rigueur. Pas le choix, il faut aller à l’essentiel. C’est pourquoi je préfère Vaillante à Valide, même si j’aime toujours mon premier enfant. En écrivant Vaillante, j’ai appris que l’on n’a pas besoin de tout dire, de vider tout son sac. Ça me donne confiance pour mon prochain roman qui réunira les personnages principaux des deux titres. Avec Valide et Vaillante, j’ai posé les fondations d’un univers étendu que je ne quitterai pas de sitôt, appelons ça le « Validevers »! J’aime beaucoup la façon dont des auteurs comme Carlos Ruiz Zafón ou, dans un tout autre registre, Brandon Sanderson créent des constellations de livres plus ou moins interconnectés qui se déroulent dans une même réalité.

Vaillante se passe entièrement à bord du Valiant, navette en route vers Vénus. On y dénote des informations parfois techniques – loin d’être ronflantes, cela dit – sur les questions d’astronomie et d’ingénierie spatiale. Est-ce que le tout vous passionne depuis longtemps ou mettez-vous votre curiosité au service de l’histoire d’amour que vous nous partagez?
Alors d’abord, je dois avouer que je suis nulle en maths. J’ai certainement dû me tromper dans mes descriptions des mécaniques orbitales. Cela dit, j’ai fait pas mal de recherches. J’ai lu quelques livres d’astronomie et des articles récents sur la composition de l’atmosphère de Vénus. En effet, j’ai toujours été fascinée par l’espace, les fusées, les navettes, les vaisseaux spatiaux. J’ai grandi en lisant Yoko Tsuno, avec Star Trek et Star Wars et les décollages de la navette spatiale à la télé. Je garde un intérêt enfantin pour l’ingénierie spatiale. J’ai même une fusée géante en LEGO dans mon salon. Mais en tant que romancière, je préfère toujours les sentiments à la mécanique. J’aimerais faire du « Kundera in Space ».

J’aimerais faire du « Kundera in Space ».

Il y a une part d’humour dans Vaillante, malgré le drame que vit la protagoniste – sa collègue de mission et amante ne peut plus poursuivre la mission. L’humour est une petite bête étrange, dont il faut user avec parcimonie et grande adresse afin de préserver l’adhérence du lectorat. Vous réussissez ce pari. Est-ce naturel ou est-ce un effort d’écriture pour vous?
L’humour est pour moi à la fois une béquille dans ma vie quotidienne et une alliée dans l’écriture. L’humour permet de rythmer le récit, de baisser la tension pour ensuite la remonter d’un cran. Il permet surtout d’humaniser les personnages. Leur donner un sens de l’humour qui leur est propre, c’est leur donner une personnalité. Quant à la béquille : dans ma vie de chaque jour, j’utilise beaucoup le rire pour venir désamorcer les situations difficiles, stressantes. Je me fais accepter en étant drôle. C’est souvent le cas pour beaucoup de personnes trans. La dérision est un réflexe d’autodéfense.

Vous êtes vice-présidente chez Cossette, agence québécoise reconnue de marketing et de communication. Comment arrivez-vous à lâcher prise sur l’aspect marketing produit autour de vos œuvres littéraires? Êtes-vous impliquée dans ce volet?
La réponse est simple : je ne lâche pas prise. Je m’intéresse beaucoup à la promotion, au design, à la marque « Valide ». Je crois qu’une œuvre doublée d’une marque a plus de potentiel qu’une œuvre qui ne repose que sur la simple prise de parole littéraire. Penser son œuvre en tant que marque, c’est l’ouvrir à toutes les possibilités. La marque « Valide », je compte la décliner dans plusieurs domaines : littérature, cinéma, BD, et pourquoi pas, un jour, jeux vidéo. Le mot « marque » chez moi n’est pas honteux. Une marque peut représenter un style, un mouvement, un propos ou une esthétique, des valeurs, un crédo…

En tant que femme trans, vous intervenez « fréquemment dans l’industrie publicitaire pour demander une meilleure représentation des minorités », lit-on à votre sujet. Si on retrouve cette thématique dans Valide, c’est peu ou pas le cas dans Vaillante. Cela dit, que pensez-vous de la place des minorités dans le milieu littéraire québécois?
J’ai l’impression que des progrès sont faits. Je pense qu’il y a dix ou quinze ans, personne n’aurait voulu me publier. Ce n’est pas une coïncidence qu’autant de personnes issues de diverses minorités prennent l’avant-scène, ces temps-ci. C’est le fruit d’un long processus, de beaucoup d’efforts de leur part, et de beaucoup de travail de sensibilisation dans l’ombre. La société progresse dans le bon sens, n’en déplaise à ceux qui se méfient de la diversité. Une nouvelle génération d’éditrices et d’éditeurs prend le pouvoir et ouvre la porte à plus de diversité. Je trouve ça formidable. En tout cas, je suis heureuse de partager l’attention des libraires et des médias avec des femmes comme Caroline Dawson, Gabrielle Boulianne-Tremblay et Natasha Kanapé Fontaine. Maintenant, j’aimerais voir plus de diversité à la tête des maisons d’édition. Le pouvoir est encore trop concentré entre les mains de gens qui se ressemblent énormément.

Photo de Chris Bergeron : © Gaëlle Leroyer

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