Les Six Brumes célèbrent cette année leurs 20 ans! Fondée en 2001, la maison d’édition sherbrookoise est actuellement dirigée par Guillaume Houle et Jonathan Reynolds. Elle fut un important vivier de nouveaux talents en plus d’offrir aux lecteurs plusieurs rééditions d’ouvrages introuvables. Les Six Brumes ont également fait paraître un nombre impressionnant de collectifs, le travail d’équipe étant au cœur du fonctionnement de la maison d’édition. C’est ce que montre avec éloquence le plus récent collectif des Six Brumes, Échos du centaure, qui regroupe cinq novellas de grands noms de la science-fiction québécoise. Rencontre avec l’instigateur du livre, Alain Ducharme, ainsi qu’avec les cinq écrivains au sommaire.

Comment avez-vous eu l’idée de ce collectif?
Alain Ducharme : L’idée provient d’une discussion avec Guillaume Houle sur le fait que la science-fiction québécoise ne bénéficie pas de la même visibilité que les autres genres de l’imaginaire. Et pourtant, elle permet d’offrir des perspectives uniques — voire nécessaires. On peut exprimer beaucoup sur notre société à travers la science-fiction.

En quoi cet ouvrage s’inscrit-il dans la suite des activités de la République du Centaure?
Alain Ducharme : La République du Centaure (republique.sixbrumes.com) est un magazine électronique dont la mission est de faire rayonner les littératures de l’imaginaire québécoises en publiant les meilleurs textes, passés et actuels. Une volonté identique habite Échos du Centaure et s’exprime notamment à travers les courts essais qui ponctuent le collectif, entre chacune des novellas (longues nouvelles).

Que raconte votre novella au sommaire d’Échos du centaure?
Luc Dagenais : « La déferlante des mères » raconte quelques épisodes de la vie d’Harkadie, guerrière qui évolue au sein d’une armée de mères qui déferle sur le monde. En parallèle, des récits du point de vue de personnages extérieurs à cette déferlante sont présentés.

Daniel Sernine : Dans « Les passerelles du Temps », les protagonistes sont à la recherche de sieur Nicolas Dérec, dont le sort n’était pas vraiment précisé à la fin de mon roman Les écueils du temps. La novella se déroule une vingtaine d’années après cet ouvrage.

Jean Pettigrew : Dans « Biographie sommaire d’un émetteur-récepteur », le jeune fils d’un président (très déplaisant) des États-Unis devient, au grand dam de son père (nettement raciste), l’ambassadeur de mystérieux extraterrestres qui ont implanté une tour dont la base recouvre tout le désert du Nevada…

Élisabeth Vonarburg : « Une histoire d’Ikuatèn » narre la façon dont une société, pourtant différente de la nôtre, succombe temporairement aux mêmes travers que nous dans ses relations à sa nature humaine et dans ses relations à une nature moins clémente que ne l’a été la nôtre jusqu’à présent.

Hugues Morin : « Nina » propose un mélange de science-fiction et d’espionnage. Un agent de Montréal tente de rejoindre une complice de Laval disparue dans un pays morcelé entre cités-États, provinces affaiblies, et un Québec plutôt indépendant.

De quelle façon souhaitiez-vous aborder la science-fiction dans votre texte?
Élisabeth Vonarburg : En déplaçant le plus possible la lecture, sur une autre planète, dans une autre société régie par des coutumes et des religions différentes, et avec un personnage différent dans ses genres. Il faut parfois de la distance pour mieux voir.

Jean Pettigrew : La littérature de science-fiction est une expérience scientifique. L’objectif de cette novella était de montrer ce qui peut arriver quand une société arrogante qui se targue d’être la plus avancée du monde est soudain confrontée à nettement plus fort qu’elle.

Luc Dagenais : Côté contenu, de façon psycho­logique et sociale, féministe et lumineuse avant tout, plutôt que technologique et dystopique, comme on le voit dans trop de textes de science-fiction depuis quelques années. Ensuite, en ce qui a trait à la forme, poétique, avec un rythme et une intensité qui collent au propos.

À quel point votre novella dans Échos du centaure est-elle représentative de vos écrits? Est-elle une bonne porte d’entrée dans votre univers?
Élisabeth Vonarburg : Elle est représentative dans la partie de mon univers où j’en crée d’autres. Et aussi pour des questionnements sur la nature humaine — féminine, masculine et partout entre les deux.

Daniel Sernine : « Les passerelles du Temps » constitue exactement cela, une passerelle entre ma trilogie de romans La suite du Temps et mon recueil Boulevard des Étoiles, qui sont deux versants de ma science-fiction. À ce titre, la novella s’avérerait une bonne introduction pour quiconque n’aurait jamais lu ma science-fiction.

Hugues Morin : La novella traite de thèmes actuels qui me sont chers : effets des changements climatiques, aspects géopolitiques, mélange de genres entre science-fiction et espionnage ou polar. Une de mes novellas, publiée en 2014, « Tous à Laval », se situe dans le même univers que « Nina ».

Quelle place la maison d’édition Les Six Brumes occupe-t-elle dans les littératures de l’imaginaire au Québec?
Hugues Morin : Une place très importante! Elle a commencé par représenter la relève : elle a permis de découvrir énormément de nouveaux talents. Les Six Brumes constitue aujourd’hui l’éditeur spécialisé en imaginaire le plus intéressant à explorer avec Alire.

Daniel Sernine : Au début, elle a donné voix à des auteurs qui n’en auraient pas eu autrement, puis, rapidement, elle a diversifié son catalogue en publiant aussi des écrivains établis. Idem pour les genres littéraires. Il y aurait un grand manque dans la science-fiction et le fantastique québécois si Les Six Brumes se dissipaient…

Comment la science-fiction québécoise se porte-t-elle au Québec en 2021, à votre avis?
Élisabeth Vonarburg : Elle se porte mieux, il me semble, dans la mesure où arrive dans le milieu et hors du milieu une nouvelle génération, en particulier des femmes, qui a l’air de vouloir la pratiquer dans tous ses états, du « plus classique » au « plus expérimental ».

Hugues Morin : Mieux que quand j’y suis arrivé (comme lecteur et auteur) au milieu des années 90! Il y a certes moins de fanzines de science-fiction, mais il existe deux revues professionnelles solides, deux éditeurs spécialisés bien installés et une multitude d’écrivains actifs dans le milieu, en plus du congrès Boréal.

Jean Pettigrew : Il y a actuellement plusieurs auteurs de science-fiction au Québec qui se comparent avantageusement à ceux et celles qui proviennent de l’étranger. Hélas, l’exiguïté du lectorat québécois et la difficulté d’exporter nos écrivains, coincés entre une France plutôt fermée à la francophonie et une Amérique essentiellement anglophone, mettent en danger la croissance du genre au Québec.

Quelles sont, selon vous, les lectures incontournables en science-fiction ces dernières années au Québec?
Daniel Sernine : Si on s’en tient aux cinq dernières années, il y aurait Le jeu du démiurge, un roman ambitieux de Philippe-Aubert Côté. Pour une science-fiction plus classique, chez BQ, un recueil d’Alain Bergeron, Par des mondes tordus.

Luc Dagenais : Du côté des nouvelles, les revues Solaris et Brins d’éternité sont des incontournables. Côté roman, Les marches de la lune morte, d’Yves Meynard (Alire), et De synthèse, de Karoline Georges (Alto). Côté bande dessinée, Hiver Nucléaire, de Cab (Front Froid).

Quels sont vos souhaits pour la science-fiction à venir dans la province? Comment voyez-vous la prochaine décennie pour le genre?
Jean Pettigrew : J’espère que la prochaine décennie nous permettra de briser deux plafonds de verre : celui de la reconnaissance de nos auteurs à l’étranger et celui de l’appropriation par les médias visuels des formidables univers que nous proposent les écrivains de science-fiction d’ici. Car il y a trop de Blade Runner et de Dune dans l’imaginaire québécois qui demeurent ignorés!

Luc Dagenais : Je souhaite que sa démocratisation se poursuive; je souhaite qu’elle devienne toujours plus inclusive et plus représentative. Et j’espère que, pour la suite du monde, elle se fasse le porte-étendard d’un nouvel imaginaire : politique, social et humain.

Photos 
De gauche à droite (en haut)
Alain Ducharme : © Isabelle Stephen
Luc Dagenais : © Geneviève Blouin
Daniel Sernine : © Daniel Sernine

De gauche à droite (en bas)
Jean Pettigrew
Élisabeth Vonarburg : © Nancy Vickers
Hugues Morin : © Hugues Morin

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