Charles-Étienne Ferland est un scientifique transformé en écrivain. Ou plutôt un auteur qui a mis à profit ses études en écologie des insectes pour imaginer un monde où des guêpes géantes infestent la planète et détruisent les récoltes, avant de tuer la moitié de la population. Au lendemain de ce troublant épisode dystopique, raconté dans Dévorés, l’entomologiste à l’imagination fertile nous revient avec Métamorphoses, un deuxième tome dans lequel son héros, Jack, devient lui-même une bête démoniaque.

Après un premier tome entouré de colocataires en mode survie et d’un groupe de résistance, Jack apparaît comme une créature dangereuse et solitaire. Si bien que les lecteurs doivent dire adieu à certains personnages et découvrir plusieurs nouveaux visages. « Je n’avais même pas pensé à ce que ça ferait aux lecteurs, répond candidement l’auteur. J’ai choisi de placer la caméra plus près de Jack pour faire un roman assez court et rapide. »

Une autre raison se cache derrière cette décision : Charles-Étienne Ferland a amorcé l’écriture de sa trilogie avec une scène pivot située au milieu du deuxième tome, soit la rencontre entre Jack et la cheffe sanguinaire d’un clan de survivants installés sur la Rive-Nord de Montréal. « Quand j’ai commencé à écrire en 2013, tout devait mener à cette scène-là. J’avais donc besoin de faire le ménage à la fin de Dévorés. C’est aussi un aspect propre au genre littéraire : certains personnages restent, d’autres partent, et ce ne sont pas forcément ceux qu’on pense qui se rendent jusqu’à la fin. »

Son projet d’écriture est né il y a sept ans, durant ses études à l’Université d’Ottawa. Il faisait alors une majeure en environnement et une mineure en biologie, avec des cours en littérature et en théâtre. « Je ne me reconnaissais pas dans mes cours, sauf lorsqu’il était question d’insectes. Quand j’étais petit, j’habitais en face d’un entomologiste qui travaillait chez Agriculture Canada, Dr Charles Vincent, que j’allais voir avec des insectes et qui me prêtait des livres. Ça me passionnait! »

Il s’est toutefois éloigné de son sujet de prédilection à l’adolescence, avant d’y replonger à l’université. « Durant ces années-là, j’ai écrit Dévorés. C’était la seule chose dans ma vie sur laquelle je sentais que j’avais du contrôle. C’était sécurisant. »

Il s’est donc réconforté en imaginant… des insectes tueurs. « J’ai pris une guêpe plus grosse que la normale comme prétexte pour mettre en place un univers postapocalyptique. Mon côté de cerveau scientifique a pris la relève pour imaginer la suite logique des choses et les bouleversements qui se produisent. »

Son énoncé scientifique est donc devenu de la science-fiction. Dans les deux premiers tomes, on retrouve des guêpes tueuses, des humains transformés en pouponnières à insectes et un hémonectar qui rend tout-puissant. « J’intègre des informations scientifiques un peu à la manière du roman Je suis une légende. Mon personnage principal ne possède pas de connaissances médicales. Il apprend sur le tas, ce qui me permet de transmettre le tout de manière compréhensible. Mon but n’était pas d’en faire un texte savant. »

Bien qu’on remarque quelques termes scientifiques qui demandent une concentration supplémentaire, on reste accroché grâce à l’action soutenue de son histoire. Dans Métamorphoses, Jack rapplique à l’état de bête maléfique. « Je me suis beaucoup intéressé au concept du surhomme dans un cours de paralittérature à l’université. C’est un peu vers ça que Jack se dirige dans le deuxième roman. Quand il revient de son état de dépendance, il conserve une énorme force, ainsi qu’un lourd fardeau sur les épaules, après tout ce qu’il a commis. »

Une façon pour l’auteur d’aborder plusieurs réflexions philosophiques sur ce qu’on est prêt à faire pour survivre, la bête que tout le monde porte en soi et le droit à une seconde chance. « Ça va être cool de voir si les lecteurs croient que Jack est coupable ou non. J’aime poser ces questions. »

En effet, les morts s’enchaînent à une vitesse vertigineuse durant les premières pages, alors que la bête rôde entre Montréal et Toronto, où tentent de se rendre plusieurs survivants pour atteindre Ithaque, une cité supposément révolutionnaire. « J’ai commencé le projet en écrivant le deuxième tome, Métamorphoses, alors que le personnage est dans un entre-deux, un espace instable qui représentait bien où j’étais moi-même. J’ai ensuite remonté par en arrière pour écrire Dévorés. Pour le troisième tome, le défi sera d’aller vers l’avant. »

D’un roman à l’autre, on entend parler des rues de la métropole, de l’Université de Montréal, du Vieux-Port, du métro, du fleuve Saint-Laurent et de la Rive-Nord. « J’ai choisi de camper mon histoire sur ce territoire, parce que c’est plus facile pour moi d’écrire sur des notions connues. N’étant pas du tout issu d’un parcours littéraire, je ne savais pas comment écrire des romans. Je les écris, sans savoir comment les expliquer. »

Une façon pour l’auteur d’aborder plusieurs réflexions philosophiques sur ce qu’on est prêt à faire pour survivre, la bête que tout le monde porte en soi et le droit à une seconde chance.

Il n’a donc pas fait le choix conscient de cibler Montréal pour vérifier comment la ville subirait la catastrophe. « Je ne m’identifie pas à Montréal, car j’ai grandi sur la Rive-Sud. Ce n’est pas un lieu qui m’est cher comme Main Duck Island, l’île que Jack tente de rejoindre. C’est un lieu que j’adore, et ça va être plus difficile de le faire basculer dans l’anarchie et la destruction, voire la guerre. »

La conclusion de cette histoire haletante n’a pas encore de date de publication. « J’ai besoin d’écrire autre chose, de prendre de la distance et de la maturité avant d’écrire le troisième tome. Il ne sortira pas de manière aussi rapprochée que les deux premiers. »

Pour l’instant, il n’a rien d’autre qu’un plan rudimentaire du troisième volet. « Ça traîne au fond d’un tiroir virtuel. Ces jours-ci, je me concentre sur un roman jeunesse, un recueil de nouvelles qui pourrait devenir un roman et une œuvre de science-fiction qui se passe sur trente ans. Alors, je ne sais pas quand le dernier tome de ma série va sortir. »

Photo : © Trina Koster

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