Quatre femmes qui ne se côtoient pas vraiment voient leur vie chamboulée quand l’une d’entre elles a un malaise qui l’entraîne à l’hôpital, l’obligeant à laisser son chien entre les mains de sa voisine solitaire, qui semble fermée au monde. Et là, cette dernière, en s’immisçant dans la vie d’une autre, découvre de nouvelles perspectives. Quatre clémentines éparpillées, c’est un roman pétillant et lumineux, qui donne le goût de s’ouvrir aux autres et de célébrer la vie, cette vie foisonnante qu’il faut embrasser dans tous ses aléas.

Dans votre roman, quatre voix différentes se partagent la narration, mettant en scène des personnages vivants, imparfaits, qui nous semblent réels, vrais. Quels étaient les défis de créer ces quatre univers distincts tout en rendant vos personnages attachants malgré leurs imperfections?
À mon avis, ce sont les imperfections assumées qui rendent les personnages fictifs attachants. On ne s’attache pas autant à du « lisse »; la perfection peut même créer une distance entre le lecteur et l’œuvre. Moi, c’est toujours l’authenticité et les imperfections qui m’émeuvent.

Mes propres univers viennent de mon expérience, de ma vérité, de mes failles. C’est là que s’inventent mes histoires « qui ont l’air vraies ». La tendance de Nathalie à s’isoler, l’énergie anxieuse de Doris, l’intériorité de Fabienne et même la sérénité de Mme Giffard, ce sont toutes des choses qui me ressemblent, à divers degrés et avec le piment de l’imagination.

En cours d’écriture, je me posais constamment la question : « Si on me racontait ça dans la vie, est-ce que j’y croirais? Est-ce que ça me toucherait? » Ma propre réaction au texte est souvent un bon indice pour anticiper celle du lecteur.

Malgré la solitude qui plane dans le livre, des personnes qui ne se côtoyaient pas vraiment devront s’entraider lorsqu’une d’elles séjournera à l’hôpital. Aviez-vous en tête d’écrire sur la solidarité et l’importance de créer des liens?
Ça faisait partie de mes thèmes, en effet. La solitude et l’isolement, on le sait, sont devenus des enjeux de santé publique, et ce sont des réflexions qui ont fatigué bien des gens, dont moi-même, pendant la pandémie de COVID : « Qui sont mes voisins? Qui m’aidera si je suis mal prise? Et à qui, moi, je peux être utile? »

Bien souvent, on ne connaît pas les gens qui vivent tout près de nous. Le besoin de créer des liens, de se sentir entouré, même s’il s’agit de gens qu’on n’a pas forcément choisis (nos voisins, nos collègues de travail, etc.), est devenu prédominant pendant ces mois difficiles, et j’espère que c’est un souci qui va rester dans l’avenir. Qu’on va garder le réflexe et la capacité d’aller un peu plus vers les autres. Ils ne sont jamais si différents de nous qu’on le croit au premier abord.

La vieillesse n’est pas une histoire d’âge dans votre roman : le personnage de Jocelyne est une femme âgée très active, tandis que Nathalie, qui n’a même pas la quarantaine, semble vivre en attendant l’arrivée de sa vieillesse. Souhaitiez-vous dépeindre une façon différente de vieillir? Comment le thème de la vieillesse vous a-t-il inspirée?
Au départ, un de mes souhaits était de défier mes propres croyances sur la vieillesse et l’avancée en âge. Au tournant de la quarantaine, j’étais très (trop) sensible aux préjugés basés sur l’âge, et alors que ma trentaine était terminée, je me sentais dans un cul-de-sac. Comme si je n’avais plus le droit de rêver à rien. Comme si j’étais obligée de me figer dans ce que j’avais construit jusque-là, sans pouvoir faire de nouveaux choix.

Pourtant, tant qu’on vit, la vie n’est pas finie! Ce roman est très positif, très ouvert sur l’avenir, peu importe l’âge, peu importe où on en est dans la vie. En l’écrivant, je me suis enseigné à moi-même que j’ai encore la vie devant moi. S’il contribue à défaire de fausses perceptions chez d’autres hommes et femmes, à les apaiser et à les décomplexer face au temps qui passe, j’aurai atteint mon objectif.

Nathalie est un personnage qui aime ce qui est prévu, qui semble presque craindre de vivre. Mais des impondérables vont survenir et déranger son ordre établi. Était-ce important pour vous de montrer qu’il faut vivre en laissant de la place à l’imprévu?
Je n’avais pas vraiment l’intention consciente de le « montrer », mais je pense que lorsqu’on sait naviguer parmi les impondérables, on a un grand bout de fait vers la sérénité. Et ce n’est pas toujours un apprentissage facile. Lâcher le contrôle, laisser aller les idées qu’on s’était faites sur notre vie et sur soi, s’adapter, oublier les opinions et perceptions périmées, s’autoriser à changer d’idée… Tout ça fait partie de mûrir, et c’est une grande libération que de pouvoir dire : « Voici ce qui se passe en ce moment, voici ce que je n’avais pas prévu, voici ce sur quoi j’ai du pouvoir, voici ce à quoi je ne peux rien changer. » Dans chaque journée, c’est bien plate, mais des choses surviendront sur lesquelles on n’a pas prise. Des irritants petits et grands. Tout ce qu’on peut faire, c’est prendre un respire et sourire. Et se dire que ça va passer.

Avec ce roman, aviez-vous envie d’écrire une histoire qui fait du bien?
C’était ma première intention, et la plus importante : apporter de la bienveillance et des rires aux lectrices et aux lecteurs. Nous ne vivons pas l’époque la plus facile. La morosité gagne du terrain, les gens s’isolent, l’épicerie coûte cher, la Terre nous lâche… Parfois il faut se ramener aux petites choses ordinaires, à la douceur qu’on peut souvent trouver près de soi. Rire, prendre la main de ceux qu’on aime, s’arrêter une seconde pour constater qu’il fait soleil… C’est plein de beauté partout pareil.

Sans voir la vie par un prisme rose ni nier la réalité, je crois fermement que la joie se cultive autant que le sarcasme, que c’est un muscle à maintenir en forme, et que chacun doit y voir, pour le bien commun. Si la vieillesse se prépare tandis qu’on a la santé, les pousses de bonheur futur se bouturent dans le présent. La joie fleurit tant qu’on lui donne de l’eau.

Photo : © Julie Artacho

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