Mathias Malzieu: Courir tout nu dans les bois

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Mathias Malzieu est un magicien hyperactif aux dons multiples. Connu pour ses talents de chanteur (dans le groupe rock Dionysos) ainsi que pour sa plume (notamment dans La mécanique du coeur), il était de passage à Québec en janvier dernier afin de présenter une lecture musicale de son dernier-né, Métamorphose en bord de ciel. Entre blagues potaches, lecture suave et rock débridé, la salle a sombré dans son univers onirique. Entrevue avec cet auteur français qui s'offre à 100%.

«L’envie, c’est de défendre mon livre de manière ludique et de rencontrer les lecteurs. Je voulais le confronter au public. J’aime bien l’idée de désacraliser le livre en le présentant avec de la musique en direct», livre Malzieu, qui souhaite par cette initiative revenir aux sources, à l’époque où les gens se racontaient des histoires. Son monde imaginaire, qu’il emporte partout avec lui afin de partager ses illuminations, est un croisement entre conte de fées et rêve éveillé.

Univers onirique donc, dans Métamorphose en bord de ciel (Flammarion), son plus récent roman paru, qui met en scène Tom Cloudman, un cascadeur burlesque qui souffre d’une maladie incurable. Mais un jour, une étrange créature, hybride entre femme et oiseau, lui propose un pacte pour le moins inusité… Une histoire digne des illuminations de l’auteur, qui, au passage, ne gêne pas pour tourner en riducule ce qu’il considère anodin: «Pour moi, le sudoku, par exemple, est la caractérisation de l’ennui. Je préfère plutôt aller courir tout nu dans les bois, faire du skateboard, aller à des concerts, glisser sur la neige en luge ou faire du patin.» Le ton est donné.

Du Vian chez Malzieu Dans son recueil 38 mini westerns (avec des fantômes) (J’ai lu), mélange épars et indescriptible de nouvelles fantaisistes, aventures vivifiantes et poèmes en prose, on retrouve tout à la fois la folie de Boris Vian et la magie des contes merveilleux. Comme dans le Conte de fées à l’usage des moyennes personnes de Vian, Mathias Malzieu se joue des codes, fait des pirouettes avec le style et embarque ses lecteurs dans un monde unique constitué de fantômes aux draps sales, femmes-flocons, sirènes de néoprène et skateboard. Métamorphose en bord de ciel est, pour sa part, un récit qui met le lecteur à la croisée des mondes entre réalité malade et imaginaire, où la guérison passe par la métamorphose. À l’instar de Chloé et son nénuphar dans L’écume des jours, Tom «Hématome» Cloudman souffre d’un mal surnommé «la betterave». Et ce ne sont là que quelques similitude parmi tant d’autres.

Un univers décloisonné En plus de bouleverser les règles littéraires, l’auteur travaille sur le support et l’aspect de ses livres. Par exemple, il avait parsemé 38 mini westerns (avec des fantômes) de polaroids en couleurs, découpés et illustrés. Il va cette fois encore plus loin avec Métamorphose en bord de ciel, dont la version cartonnée de luxe présente le travail de quarante illustrateurs ayant travaillé en amont sur des extraits du texte.

En décembre 2011, Malzieu faisait paraître L’homme volcan, un ouvrage technologiquement au goût du jour puisqu’il s’agit d’une application pour tablette numérique, qui, en plus du récit, comprend de la musique (signée Dionysos) et les illustrations animées du peintre Frédéric Perrin. De son propre aveu, Malzieu déclare que les ouvrages sans illustrations lui semblaient bien trop sérieux et inaccessibles lorsqu’il était enfant: «Les auteurs sérieux ne mettraient jamais d’illustrations dans leurs romans et je m’en fous un peu! Si j’ai l’impression que ça apporte quelque chose, par exemple avec la bande originale du livre pour La mécanique du coeur (J’ai lu), s’il y a de l’aventure dans le projet, j’y vais!»

Pour l’auteur, L’homme volcan était un moyen d’explorer l’aspect ludique qu’offrent les nouveaux médias numériques en animant des illustrations et en y ajoutant de la musique. Des créations de ce genre sont pour lui le véritable chaînon manquant entre le livre et le film d’animation Malgré tout, Malzieu assure adorer le livre papier et avoir d’autres projets de publication: «Je pense que ce sont des médias qui sont différents, et qui ne doivent pas s’opposer. Je suis à la fois complètement ouvert, curieux et gourmand des nouvelles technologies parce que ça propose une nouvelle créativité, mais en même temps, je ne souhaite pas de systématisme. J’aime les livres, j’aime sentir les pages, j’aime le contact physique, les livres de poche pour les perdre, pour les prêter, les corner et les emmener partout. Les deux doivent exister.»

Création et imagination: outils indispensables

La maladie et la mort. Deux sujets qui reviennent fréquemment dans les romans de l’auteur français, notamment parce qu’il se dit amoureux de la vie et qu’il craint de la perdre. Une angoisse qui s’est décuplée depuis la perte de sa mère, drame qu’il traite avec tact dans Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi. Écrire, explique-t-il, lui permet d’exorciser cette peur et de proposer des outils pour la combattre, notamment grâce au pouvoir de l’imaginaire: «N’importe qui faisant acte de création, qu’il fabrique des maisons en papier, des chansons ou des livres, exorcise des obsessions.»

Une autre récurrence notable est la présence de personnages imaginaires qui sauvent des humains en difficulté. Ces personnages, qui nous hantent longtemps après la lecture, sont le lien entre le réel et l’imaginaire, le doute et la force. C’est une autre preuve de l’importance pour Malzieu du pouvoir de l’imaginaire. Il considère que le rêve et l’imagination font partie de la réalité et du quotidien. C’est une activité aussi naturelle pour lui que de boire ou manger: «Quand on entre dans l’âge adulte dans notre société, on a tendance à écraser le rêve; alors que le rapport à la fantaisie, c’est extrêmement important, voire vital. L’imagination, c’est comme un muscle, s’il se déshabitue, on rêve de moins en moins.»

Mathias Malzieu travaille actuellement à l’adaptation de son roman La mécanique du coeur en film d’animation, en collaboration avec le réalisateur Stéphane Berlat et l’artiste Nicoletta Ceccoli, récipiendaire de la prestigieuse médaille d’argent de la Société des illustrateurs de New York. Alors que le clip de La mécanique du coeur n’était pas sans évoquer l’univers de Tim Burton, ce nouveau projet offrira, selon lui, un univers plus doux et féminin, avec des personnages-porcelaines. Il bouillonne également d’idées pour son prochain roman qui pourrait contenir une sirène des glaces patinant sur le lac aux Castors, à Montréal…

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