Jean M. Auel: Femme des cavernes

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Avec la parution du Pays des grottes sacrées, sixième tome de la série «Les enfants de la Terre», Jean M. Auel arrive avec une certaine satisfaction au terme d'une saga qui aura duré plus de trente ans – ou plus de trente mille ans, selon l'angle choisi. L'histoire d'Ayla, une jeune femme Homo sapiens apprenant à vivre au sein d'un clan de Néandertaliens, est en effet devenue, à l'issue de son long parcours, un immense succès mondial: les cinq premiers tomes de la série se sont vendus à quelque 45 millions d'exemplaires, et furent traduits en une vingtaine de langues.

Œuvre de fiction aux accents romantiques, cette série de récits préhistoriques s’est aussi distinguée par le sérieux de ses fondements scientifiques. Dans les aventures de son héroïne et de son clan d’adoption, Auel explore des thèmes allant de la domestication des animaux à l’art rupestre, en passant par les rituels religieux, la médecine, la chasse et toutes sortes d’autres thématiques présentées de façon détaillée, avec le réel souci d’en offrir une version plausible. Dans Le pays des grottes sacrées, dont l’histoire est située dans le sud de l’actuelle France, pays des célèbres grottes de Lascaux et de Chauvet, elle aborde même la question des liens matrimoniaux, de la sexualité et de la compréhension de la procréation, portant l’exploration des mœurs préhistoriques sur un terrain des plus intimes.

En s’aventurant dans cette zone privée, elle s’intéresse aussi à l’organisation sociale des êtres humains d’alors, et décrit tout un système de relations entre les clans. Cette organisation des rapports, semence du long chemin vers la civilisation, est en fait le thème central de la série, explique la sympathique septuagénaire: «C’est le début d’une nouvelle façon de penser. Depuis le début du projet, c’est vers là que je me dirigeais. Tout ce qui fait partie du livre souligne cette évolution. Même les scènes plus intimes, qui me semblaient nécessaires, puisqu’elles permettent de comprendre l’évolution des choses.»

En prime, le livre conduit aussi son personnage principal à un certain accomplissement personnel. Au cours de la série, Ayla est devenue mère et plus encore, acquérant de la matriarche de son clan des connaissances importantes: «Au fil du temps, elle a été acceptée par sa tribu et y a gagné des responsabilités. Elle a un travail à faire au sein de son groupe. En fait, on pourrait dire qu’elle est une professionnelle!» Voilà un petit anachronisme, lancé avec le sourire, qu’on pardonnera bien à l’auteure.

Sans exclure totalement la possibilité d’autres parutions consacrées à Ayla et à cette époque lointaine, Jean M. Auel constate que les derniers thèmes abordés viennent fort bien boucler la boucle: «C’est une bonne façon de finir la série. J’espère que ça pourra faire réfléchir – mais bon, on ne sait jamais comment ça sera reçu.»

Science et vies
Avec ce double programme, qu’est-ce qui motivait le plus Jean M. Auel, au moment de se mettre à l’écriture du sixième tome des «Enfants de la Terre»? L’envie d’aborder la paléontologie ou de créer de nouvelles aventures? Les deux, comme toujours, explique-t-elle: «J’avais du matériel tiré de mes recherches et des idées de récit. Je connais bien mes personnages, je sais comment ils vivent ensemble, comment ils vont vivre leurs aventures. Et de l’autre côté, je suis en recherche constante. Il y en a qui lisent des magazines de mode ou de sport, moi je suis constamment plongée dans des magazines scientifiques et même des revues universitaires. Je me tiens au courant des nouvelles recherches.»

Au fil des ans, Jean M. Auel a même pu voir la recherche confirmer certains de ses scénarios entourant la vie des Néandertaliens et leurs rencontres avec l’autre branche de l’humanité. Son travail d’écriture, précise-t-elle, l’a amenée à s’intéresser aux débats scientifiques, en se faisant sa propre vision des choses: «J’ai vu les mouvements de balancier. Quand j’ai commencé, on voyait les Néandertaliens comme plus avancés que nos ancêtres Homo sapiens. Après, il y a eu les travaux du linguiste Philip Lieberman, qui avait mesuré toutes sortes d’éléments physiques comme la taille du larynx et conclu qu’ils ne pouvaient pas vraiment parler, tandis que d’autres pensent tout à fait le contraire. On a aussi dit qu’ils ne chassaient pas vraiment, avant de trouver des lances qu’ils avaient fabriquées et de conclure qu’ils étaient en fait de très bons chasseurs. Il y a aussi eu les débats sur la question des croisements entre Néandertaliens et humains modernes. Beaucoup de gens disaient que c’était impossible, mais maintenant, avec l’ADN, on a fini par constater que les gènes des Européens comptent entre 1 et 4 % de gènes néandertaliens. Quand j’ai lu ça, je me suis dit: « Bien sûr, c’est ce que j’ai toujours pensé! »»

Depuis que l’idée de la série s’est imposée à elle, à la fin des années 70, l’auteure insiste sur le fait qu’il aura été assez aisé pour elle d’inclure l’aspect scientifique à ses romans: «Peut-être que je me fais des illusions, mais je n’ai jamais trouvé, dans ce que j’avais écrit, quelque chose qui était à côté de la plaque au point où j’aurais été obligée de tout réécrire pour rectifier le tir. J’ai eu à inventer mes propres Néandertaliens, poursuit-elle. J’ai tiré mes propres conclusions, à partir de longues recherches. J’ai toujours fonctionné comme ça, et je ne me suis pas fait trop de souci à ce propos.» Madame Auel se félicite par ailleurs d’avoir obtenu un soutien important de la communauté des paléontologues – dont certains qu’elle a talonnés périodiquement pour tester ses idées. Un de ses grands plaisirs, à ce propos, a été de lire un commentaire de Jean Clottes, l’un des principaux experts français de la préhistoire humaine, au sujet des «Enfants de la Terre». Il y a quelques années, dans une entrevue où on lui demandait ses impressions sur ce portrait des Néandertaliens et des humains d’il y a 30 000 ans, il résumait le tout avec une phrase simple, mais flatteuse: «Je crois qu’ils auraient bien pu être ainsi.»

Cette satisfaction d’auteure s’ajoute à bien d’autres, au fil d’un parcours personnel fortement enrichi par la série et son succès. Grâce aux romans, elle a obtenu l’autorisation de visiter en personne certaines des grottes où se trouvent les plus beaux exemples d’art rupestre au monde. Et grâce au succès de ses livres, elle a également eu les moyens et l’occasion d’amener tout son clan en Afrique, soit trente-deux personnes, représentant quatre générations! Un moment symbo­liquement fort du voyage? «Un de mes arrière-petits-enfants a appris à marcher en Afrique», relate-t-elle. Pour une auteure axée sur la préhistoire, voire sa descendance apprendre à marcher dans le berceau de l’humanité, c’est plutôt pas mal, en effet.

Bibliographie :
Le pays des grottes sacrées. Les enfants de la Terre (t.6), Jean M. Auel, Presses de la cité, 692 p. | 34,95$

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