Si Indiana Jones troquait sa passion de l’archéologie contre un amour invétéré du café d’exception, il aurait sans doute des airs de Mokhtar Alkhanshali, héros du dernier livre de Dave Eggers, Le moine de Moka. L’épopée haute en couleur de Mokhtar pour redonner au café yéménite ses lettres de noblesse dans un pays exsangue compte certes moins de cascades et d’effets spéciaux qu’une aventure du célèbre Dr Jones, mais elle a un avantage fondamental : c’est une histoire vraie.

Situé au sud de l’Arabie saoudite, le Yémen est un pays de 28 millions d’habitants miné par la corruption et la guerre civile, qui possède un des indices de développement humain les plus bas du monde (classé par l’ONU au 178e rang sur 189 pays). Troupes loyalistes du gouvernement, rebelles houthis et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (l’organisation terroriste responsable de l’attaque contre le magazine Charlie Hebdo à Paris) se disputent le contrôle du territoire.

Mais le Yémen est également le berceau de la culture du café, qui aurait débuté là — ou en Éthiopie voisine — au XVe siècle. Autrefois plaque tournante du commerce du café, le Yémen pâtit aujourd’hui de la mauvaise qualité de sa production, de la concurrence internationale et de la culture locale d’une plante narcotique douce, le qat, là où auparavant s’élevaient des caféiers.

Quand il découvre par hasard le rôle-clé du pays de ses ancêtres dans le café, Mokhtar Alkhanshali, Américano-Yéménite de 24 ans, y voit un signe. Lui qui enchaîne depuis des années les jobs sans intérêt et vides de sens a maintenant un but : redorer le blason du café yéménite et montrer à tous que le Yémen « n’est pas uniquement synonyme de guerre civile, de drone et de qat ».

Il y a toutefois plusieurs problèmes. D’abord Mokhtar ne connaît rien au café, lui qui n’en a quasiment jamais bu de sa vie. Il ne connaît rien non plus à la culture du café, à l’état de l’industrie au Yémen, à la logistique et à la distribution… Plus prosaïquement encore, Mokhtar n’a aucun soutien financier, aucun réseau pour encourager son initiative. Pour l’heure, Mokhtar est portier dans un immeuble huppé de San Francisco où on l’oblige à courir ouvrir la porte aux riches locataires alors qu’il existe un bouton permettant de déverrouiller la porte à distance. « Insister pour qu’un humain vous ouvre la porte est à la fois surréaliste, ridicule, et une source incroyablement inutile de discrimination sociale », commente Dave Eggers, et ce, particulièrement dans une ville comme San Francisco, connue pour son ouverture d’esprit.

Malgré tous ces écueils, Mokhtar ne se laisse pas décourager. Mieux, il se lance à corps perdu dans son projet avec une soif d’apprendre et un dynamisme inébranlable. Mokhtar est tellement convaincu qu’il parviendra à réaliser son rêve que le lecteur à ses côtés ne doute pas un seul instant, même dans les moments les plus tragiques devant les canons et les grenades des combattants, sous les bombes saoudiennes, face à l’enfer administratif…

Un héros américain
Les États-Unis — un pays fier de proclamer que quiconque peut en devenir le président — adorent ces histoires de self-made man, d’hommes et femmes partis de rien qui, animés par un courage et une pugnacité à toute épreuve, ont accompli de grandes choses. Profondément attachant, intelligent, honnête, courageux, Mokhtar Alkhanshali apparaît sous bien des aspects comme l’incarnation contemporaine du rêve américain, l’antithèse de Donald Trump.

« Je crois que le rêve américain existe et qu’on peut l’atteindre. C’est mon côté optimiste et kitsch, confie Dave Eggers. Mais en parallèle, les immigrants sont souvent dénigrés, mal traités, chassés. Le rêve américain coexiste,
et coexistera toujours avec la xénophobie, le fait d’utiliser les immigrants comme des boucs émissaires, des obstacles immenses à surmonter. Mais avec une détermination forte, un optimisme sans limites, et une bonne dose de chance, on peut parfois y arriver. »

Mokhtar va réussir au-delà de ses plus grandes espérances. Son café obtiendra la meilleure note jamais donnée par la Coffee Review (un guide qui fait figure de référence). « Chaque fois que Mokhtar me fait un café — ce qui arrive à chaque fois que l’on se voit —, je n’arrive pas à croire à quel point son café est différent de celui que l’on consomme habituellement. Son café est très délicat, presque comme du vin ou du thé », remarque Dave Eggers.

Couleur café
Selon une étude menée en 2015 dans 80 pays, le Canada est le 3e plus gros consommateur de café au monde. Les Canadiens boivent en moyenne 152 litres de café par an, soit près d’un demi-litre par jour. Quelle que soit la façon dont il est dégusté — café filtre, latte, espresso, cappuccino, macchiato… —, le café est partout, et ses effluves parfument notre quotidien.

Pourtant, le chemin que devra parcourir le café avant de finir dans notre tasse est méconnu. Tout commence par le caféier, un arbuste tropical qui produit des fruits charnus appelés cerises. Au cœur de ces cerises qu’il faut impérativement cueillir rouges, sous une peau collante appelée mucilage que les travailleurs retirent avec les doigts, se trouve le grain de café. Il reste encore à sécher les grains, à les trier, à les emballer précautionneusement, à les transporter, à les torréfier, à les moudre… Toutes ces étapes, essentielles pour faire un café de qualité, demandent une attention aiguë et reposent sur une longue chaîne humaine. « Toute tasse de café requiert donc une vingtaine de mains du producteur au consommateur », écrit Dave Eggers. Ajoutez à cela la difficulté à faire pousser, à récolter, à trier, à préparer le café à la consommation, et vous réalisez que l’on ne paie sans doute pas notre café à son juste prix. Celui de Mokhtar, vendu 16$ la tasse, permet de soutenir tout un écosystème de travailleurs du café au Yémen.

« Un des objectifs du livre, explique Dave Eggers, était de nous faire penser aux humains derrière les biens que l’on consomme et à leurs conditions de travail. On cherche en général à obtenir le prix le plus bas pour la plupart des choses que l’on achète. Mais moins les choses sont chères, plus il y a de chances que quelqu’un se soit fait exploiter dans le processus. D’un autre côté, quand on entend les histoires des fermiers qui produisent le café yéménite, par exemple, ça nous donne l’espoir qu’une chaîne d’approvisionnement éthique leur permette de vivre une vie digne et de subvenir à leurs besoins dans une guerre civile dont on ne voit pas le bout. »

Photo : © Em-J Staples

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