Jules Falardeau: Au nom du père

245
Publicité

Pierre Falardeau exécrait les médias de masse. Tellement, qu’il en est rapidement venu à utiliser le terme « médiacrassie » pour parler du travail des chroniqueurs, éditorialistes et critiques québécois. Médiacrassie avec deux « s », comme dans crasse, pas comme dans démocratie. Pourtant, quelques années avant d’être emporté par le cancer, le cinéaste avait accepté de tenir une chronique hebdomadaire dans le journal ICI. Il a sauté à pieds joints (mais visiblement pas les mains liées) dans la cage aux lions. Cinq ans après la parution de son premier texte incendiaire, les éditions VLB rééditent l’intégrale de ses chroniques, sous le titre Résistance. Son plus jeune fils, Jules Falardeau, en signe la préface et a accepté de parler de cet ouvrage qui trouve encore des échos dans l’actualité.

« Ça m’a fait rigoler de relire ses chroniques, parce que, cinq ans plus tard, rien n’a changé! », explique-t-il. Il est vrai que l’ambitieux Denis Coderre défraie encore les manchettes avec, cette fois, le projet de devenir maire de Montréal. Que plusieurs des « chroniqueux » et « éditorialeux » qui faisaient grogner Falardeau, le père, sont toujours en poste au quotidien La Presse. Que la scène politique est demeurée sensiblement la même et que ce sont les mêmes partis qui en foulent les planches chambranlantes. Que le projet de pays, dont plusieurs rêvaient, s’embrume de plus en plus. Bref, ces chroniques, vous auriez pu les lire ce matin en ouvrant le journal et vous n’y auriez vu que du feu. C’est peu dire, en effet, car la plume incandescente du vieux patriote brûle beaucoup de choses sur son passage. « Après plus de trente ans d’écriture, il était au sommet de son art! », croit son fils, ajoutant que ce recueil est plein d’humour.

Évidemment, ce n’est pas tout le monde qui apprécie l’humour polémiste de Pierre Falardeau, en témoignent les commentaires haineux qu’il recevait chaque semaine et dont il donne un aperçu dans son texte titré « Suzuki et autres niaiseries ». « C’est quelqu’un qui suscitait les passions des deux côtés, convient le jeune homme de 28 ans. En même temps, les gens l’interpellaient souvent dans la rue pour lui dire qu’ils l’appuyaient. Et rares sont ceux qui l’ont attaqué en public. Évidemment, c’est plus facile quand on est caché derrière un pseudonyme… » Malgré ces messages hargneux, le réalisateur d’Elvis Gratton n’a jamais regretté d’être devenu chroniqueur. « Au contraire, on lui offrait enfin une tribune, lui qui s’est vu refuser ou censurer ses textes toute sa vie! », explique celui qui a marché sur les pas de son paternel en devenant à son tour chroniqueur au Huffington Post et au journal Le Québécois. « Il y a un proverbe de Johnny Cash qui dit : “It’s good to know who hates you, and it’s good to be hated by the right people.” » Son père se faisait-il détester par les bonnes personnes, selon lui? « Je ne sais pas. Mais je pense que c’est bon signe de se faire détester par Marc Cassivi! », rigole-t-il. Il faut dire que son père le lui rendait bien à celui-là.

 

Esprit libre

Quelques détracteurs ont reproché à Pierre Falardeau d’être passé du côté obscur en acceptant ce poste au sein du groupe Quebecor et d’intégrer ainsi la médiacrassie qu’il dénonçait tant, mais son fils les corrige : « Il n’avait pas l’impression de se vendre, au contraire il était très fier! » En effet, loin de fondre sa voix à la chorale, Pierre Falardeau a entonné l’hymne qui a toujours été le sien, fidèle comme jamais à ses valeurs indépendantistes, dénonçant « la culture avec un grand cul », ne ménageant pas ses insultes, sa colère… « Les gens qui l’ont engagé au ICI savaient à quoi s’attendre, rappelle celui qui ouvre Résistance. C’est sûr que certains bouts de ses chroniques ont été coupés, pour éviter les poursuites, mais c’était quand même mieux qu’avant, quand il envoyait des textes et qu’ils n’étaient pas publiés ou qu’ils étaient charcutés. C’est sûr que pour le livre, on a pensé à publier les textes intégraux, en mentionnant entre parenthèses ce qui a été censuré, mais les gens chez VLB ont finalement eu les mêmes préoccupations juridiques que ceux du ICI… On aurait préféré les textes tels qu’ils ont été écrits, mais c’est la vie! »

Jules Falardeau est conscient que le recueil publié chez VLB éditeur attirera principalement la vieille garde, ceux et celles qui suivent et apprécient le travail de son père depuis longtemps, mais il espère que ces textes trouveront aussi un écho chez de nouveaux lecteurs : « J’aimerais que les jeunes de 15 à 30 ans le lisent. Aujourd’hui, on est dans une culture de la rapidité, on a accès à tout instantanément avec les téléphones intelligents et, quand tu prends le transport en commun, tu vois plus de monde avec un téléphone qu’avec un livre. J’aimerais ça si quelqu’un leur mettait le livre entre les mains et leur disant : “Tiens, lis ça!” et que ça venait les chercher, leur donner envie d’en apprendre plus. »

Eh, le jeune… Tiens, lis ça :

Résistance. Chroniques 2008-2009
VLB éditeur
172 p. | 19,95$

Ou ça :

La liberté n’est pas une marque de yogourt (Typo)

Ou encore ça :

Les bœufs sont lents mais la terre est patiente (Typo)

Publicité