La formidable rentrée littéraire actuelle a assurément causé son lot de maux de tête aux éditeurs. Plusieurs phénomènes, certains liés à la pandémie et d’autres amorcés bien avant, posent des défis à la chaîne de production des livres.

Ce n’est pas le regain d’intérêt pour la lecture, qu’on a beaucoup célébré, qui explique la pénurie de pulpe et de papier. Oui, la demande a connu récemment une croissance, mais le marché n’est pas maintes fois supérieur à ce qu’il était il y a quelques années. La rupture vient du fait que des usines à papier ont réorienté leur production. Pour produire notamment ces millions de boîtes de carton pour expédier tout ce que le commerce en ligne — qui a explosé — permet de recevoir chez soi, des livres entre autres… Ironiquement, juste avant, il y avait eu consolidation du marché des imprimeurs vu la décroissance qu’avait connue ce même marché au cours de la dernière décennie. Résultat : toutes choses étant égales par ailleurs, il reste moins de joueurs aujourd’hui pour imprimer nos bouquins.

Arnaud Foulon, vice-président éditions et opérations du Groupe HMH, confirme que tout devient une question de planification : « Cela met énormément de pression sur notre département de production. Situation inédite : en juillet 2022, tout notre temps de presse était déjà réservé jusqu’à Noël. Et il arrive qu’on ne puisse plus imprimer sur tel ou tel type de papier. Ça peut vouloir dire qu’advenant un succès, on soit obligé de changer de papier pour la réimpression, et ça, c’est si on réussit à trouver un imprimeur qui puisse réimprimer dans un délai pas trop long. Pour des ouvrages scolaires, à titre d’exemple, ça peut être problématique quand il y a des exigences au niveau de la lisibilité. »

La position d’Antoine Tanguay et celle de l’équipe des éditions Alto est simple : continuer à suivre leur plan de développement durable, qui prévoit le maintien d’une impression locale, et ce, malgré des augmentations des coûts d’impression atteignant 30%. Le défi est de repenser et de maximiser leurs méthodes de production, sans céder à la qualité ni à l’originalité de leurs livres : « On nous complimente souvent pour la facture de nos ouvrages et il est de plus en plus compliqué de maintenir ce que je considère comme une exigence et une part importante de notre image. Le prix des livres étant sensiblement le même depuis vingt ans, chez Alto, le choix qui est fait est celui d’absorber l’augmentation des coûts. Puisque, dans une situation inflationniste, on ne peut pas d’un seul coup augmenter les prix de, disons, 25%, c’est là que le libraire, notre représentant en première ligne, peut nous appuyer en soutenant notre catalogue à long terme », propose Antoine Tanguay.

Pour Pierre Primeau, directeur commercial chez Albin Michel Canada, « la nécessité désormais de faire savoir à l’imprimeur, dès février ou mars, le nombre de pages, le format et le nombre d’exemplaires de tout ce qui sortira des presses entre septembre et novembre fait en sorte qu’on ne peut se raviser plus tard pour grimper de 5 000 à 6 000 le nombre d’exemplaires d’un roman de la rentrée littéraire ». Et si, pour contrer la hausse des coûts d’un petit tirage, un éditeur français fait venir les exemplaires de Paris plutôt que de les imprimer ici, le délai du transport le prive du précieux momentum médiatique qu’on crée en synchronisant la parution des deux côtés de l’Atlantique.

Une étude présentée en juin dernier lors du 15e Congrès de la librairie à Madrid révèle que 86% des livres publiés chaque année en Espagne se vendent à moins de 50 exemplaires et que seulement 0,1% des titres franchissent le cap des 3 000 exemplaires vendus1. Fidèles au principe de Pareto, 80% des ventes sont générées par tout juste un peu plus de 20% des parutions2.

L’auteur de l’étude, Juan Miguel Salvador de la librairie Diógenes de Alcalá de Henares, croit que le nombre démesuré de 15 000 nouveautés par année, le cycle de vie des livres qui raccourcit sans cesse et leur taux de retours considérable rendent le modèle actuel insoutenable et que la crise environnementale nous forcera à le modifier.

À travers ces bouleversements, une constante : parmi toutes les nouveautés de l’heure, c’est vous, chers lecteurs, qui plébisciterez les titres qui vivront en librairie.

Photo : © Gabriel Germain

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1. efe.com/efe/espana/cultura/el-libro-en-espana-86-de-los-titulos-vende-menos-50-ejemplares-al-ano/10005-4838444
2. Ibid.

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