En avril 2021, la ministre des Finances Chrystia Freeland ainsi que le ministre du Patrimoine canadien d’alors, Steven Guilbeault, ont envoyé un signal fort concernant l’importance des librairies canadiennes en annonçant une aide de 32,1 M$ sur deux ans pour les aider à accroître leurs ventes en ligne. Cette aide leur est parvenue en 2022-2023 à travers le premier programme du Fonds du livre du Canada consacré aux librairies. Il a été dévoilé par le ministre actuel du Patrimoine canadien Pablo Rodriguez et sera renouvelé en 2023-2024.

Ce financement permet à la loi de renforcer la promotion des livres d’auteurs canadiens par nos libraires et de rendre les règles du jeu plus équitables dans cette compétition à armes inégales avec les géants du commerce en ligne. Nous avons souvent eu l’occasion de mentionner que les frais d’expédition assumés par la librairie grugent la rentabilité des commandes postales. Et c’est encore davantage le cas depuis la flambée de la surcharge du carburant dans le contexte de la crise énergétique mondiale déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les subsides reçus par les librairies peuvent servir à absorber les frais postaux. Certains de nos libraires nous rappellent que, il y a une trentaine d’années, on avait certainement jugé que les livres constituaient des produits dans une catégorie à part puisqu’il existait alors un tarif postal spécial largement escompté pour les librairies. Depuis, seules les bibliothèques publiques continuent d’avoir accès à ce tarif.

Nos librairies indépendantes sont reconnues pour jouer un rôle clé dans le développement du lectorat de livres d’auteurs canadiens et en garantir un accès partout au pays. Pour continuer à jouer ce rôle, elles ont besoin de demeurer viables. Que nos gouvernements s’assurent de protéger leur rôle et leur compétitivité n’a rien de superflu.

Dans l’esprit de la chose, on peut établir un parallèle avec la réglementation canadienne qui pose des exigences pour la diffusion d’un pourcentage défini de contenu musical canadien aux différents types de radiodiffuseurs pour protéger et appuyer nos créateurs de chansons contre l’invasion américaine et internationale. L’intervention de l’État pour défendre ou soutenir un secteur économique et favoriser l’équilibre des marchés intérieur et extérieur n’est pas nouvelle, elle s’est exercée notamment pour nos producteurs laitiers ou nos entreprises de l’industrie du bois d’œuvre résineux.

Nos libraires veulent tirer profit de cette occasion que représente le commerce en ligne, mais elles ne peuvent rivaliser de manière insensée avec un géant comme Amazon qui peut se permettre de livrer des livres à perte et qui tire ses profits d’autres lignes d’affaires. La librairie, elle, vit essentiellement de la vente de livres. Son rôle ne peut toutefois se résumer qu’à la vente au détail : les libraires sont des médiateurs culturels par les mains de qui passe toute la production littéraire et qui, chaque jour, sont en mesure de prendre le pouls des lecteurs. Ils sont un rempart pour la diversité littéraire et, au-delà des nouveautés et des meilleurs vendeurs, ils savent valoriser le livre de fonds.

Reconnaissants de l’aide financière nouvelle que les librairies ont reçue, nous souhaitons évidemment qu’elle soit pérennisée au-delà de 2024. Bien sûr, l’après-pandémie, l’inflation et le spectre d’une récession mettent en lumière des besoins criants dans différentes sphères de notre société auxquels nos gouvernements sont attentifs. Il vaut mieux continuer de prévenir plutôt que de guérir : tout ce qui pourrait mettre à mal notre écosystème d’achat local du livre constituerait, pour toute la chaîne du livre, une mauvaise nouvelle qui ne passerait pas comme une lettre à la poste…

Photo : © Gabriel Germain

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