Les détails. Ces petits éléments souvent laissés de côté ou oubliés, alors qu’ils peuvent renfermer tout un monde. « Mais ce ne serait pas une copie de… » me demandent régulièrement les ados que je croise au détour des classes quand je tente de leur résumer de mon mieux des nouveautés. Il est vrai que si l’on se fie aux squelettes des histoires, on peut avoir l’impression que tout a été raconté, mais chaque œuvre est différente, de par le regard que pose son auteur ou son autrice, l’angle choisi et… les détails!

D’ailleurs, il aurait peut-être été préférable que la serviable héroïne d’Olivier Dupin et de Richard Écrapou (Heureusement que j’étais là!) fasse plus attention à ces petites informations qui semblent sans importance de prime abord et qui peuvent changer des vies (ou en sauver, en l’occurrence)…

L’histoire exposée par la jeune fille à sa mère titillera assurément les souvenirs des lecteurs et lectrices. Au fil de sa journée, elle a ainsi croisé une grand-mère un peu malade qui se couche pour se reposer, une petite-fille au manteau rouge vif qui va porter un panier de provisions et qui doit, pour ce faire, contourner une forêt, un loup aux intentions malveillantes et un bûcheron. Cela vous dit quelque chose? Mais voilà, les détails changent tout. « Heureusement que j’étais là », ne cesse de déclamer l’héroïne en expliquant que c’est elle qui a arrosé le jardin de la grand-mère, ce qui fait que la mère de cette dernière dépêche sa fille plutôt que d’y aller elle-même, puis que c’est elle qui a proposé un raccourci par la forêt à la fillette vêtue de rouge, encore elle qui a envoyé le loup, qui se disait médecin, sur ses traces, puis, finalement, a indiqué au bûcheron qu’il n’avait pas à aller visiter Madame Perrault puisque celle-ci était alitée et qu’on prenait déjà soin d’elle (!!!).

Alors que les détails inventifs d’Olivier Dupin viennent complètement réécrire le conte du Petit Chaperon rouge, le rendant plus drôle et plus tragique, les illustrations de Richard Écrapou, avec son style bédéesque bien à lui, en sont aussi remplis: le lecteur assiste tout au long de l’histoire à la création d’une soupe, puis à la confection d’un pull pour le canard (que vous ne verrez jamais sourire) et peut remarquer que l’héroïne est en effet particulièrement serviable! C’est une question de détails…

Faire attention aux voix qui portent moins, à celles qui chuchotent, peut par ailleurs changer des destinées, comme on le constate dans Inondés, nouvel album publié chez Les Malins.

Ce jour-là, la ville se réveille comme tous les autres jours de l’été. Tous? Enfin, il y a quand même un petit quelque chose d’étrange. Ce n’est pas encore un problème, mais la ville est… mouillée. Une fine couche d’eau recouvre l’entièreté du sol. Et monte, peu à peu. C’est d’abord un sujet de conversation : les uns trouvent ça drôle, les autres en profitent pour sortir les bateaux et mettre un peu de gaieté dans leur quotidien, l’école devient un terrain de jeu créatif. Toutefois, l’eau monte toujours et les plus petits commencent à être submergés. Les plus grands apportent leur aide, mais quand cela s’arrêtera-t-il? Certains organisent des manifestations, mais pour qui? Contre quoi? Et si la solution était simple? Si notre héros avait découvert, lui, la source du problème? Il suffirait peut-être qu’on l’écoute…

L’illustratrice espagnole Mariajo Ilustrajo signe, avec Inondés, un texte écologique qui se révèle être un plaidoyer pour l’entraide et la solidarité. Au fil des pages, elle oppose deux visions, avec la narration externe qui montre l’ampleur du problème, et les bulles des personnages avec leur frivolité, l’insouciance des uns et des autres. Avec une mise en page inventive qui utilise à merveille une double page cachée, des touches de bleu et de jaune qui viennent égayer un gris brut, presque sale, Mariajo crée des tableaux vivants, parsemés de détails qui ravissent l’œil et permettent ainsi que chaque nouvelle lecture soit source de découverte.

Renouveler une histoire de dragons, ce n’est pas chose aisée. Conjuguant leur talent, Martine Latulippe et Fabrice Boulanger se lancent pourtant dans l’aventure avec ce récit (Liam et le dragon de Cracovie) qui prend son assise dans la réalité avant de tomber dans le merveilleux et offre dès les pages de garde un échantillon du savoir-faire de l’illustrateur avec le jeu de textures des écailles. Celui-ci utilise plusieurs styles au fil des pages, les traits des personnages et les techniques variant selon les différentes étapes de l’album, ce qui lui donne aussi sa couleur propre même si la thématique est populaire.

Les livres au sujet des dragons pullulent en effet, comme le découvre Liam quand il relate à sa mère l’histoire que lui a racontée son enseignant… et qu’elle en trouve une autre version dans la bibliothèque!

Vivant dans une grotte sous la colline sur laquelle était situé le château de Wawel, le dragon de Cracovie terrorisait les habitants des environs et le roi ne savait plus que faire. De nombreux chevaliers et visiteurs avaient déjà tenté d’occire la bête affamée, mais aucun n’y était parvenu. Le roi était même prêt à donner la main de sa fille (avec la permission de celle-ci, ouf) au vainqueur pour attirer de nouveaux champions, mais… la solution viendrait d’un allié inattendu…

Et qui n’est pas le même dans les deux versions qu’aura entendues Liam! Mais, comme le rassure sa mère, « il existe toujours plusieurs versions » d’une légende, c’est même leur caractéristique première. Tout comme on trouve des histoires qui peuvent de prime abord être semblables, mais qui se distinguent… par les détails!

Photo : © Philippe Piraux

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