Quand on compare la littérature jeunesse à la littérature adulte, on peut se demander si les adultes ont quelque part perdu leur capacité à s’émerveiller et à croire tout simplement qu’il existe un réel différent et peut-être un peu plus magique que celui de leur quotidien.

Cette semaine, au détour d’une allée dans une librairie indépendante, j’ai eu le plaisir de surprendre une conversation entre un père et sa fille. « Mais est-ce que ces enfants existent pour vrai?! », a demandé on ne peut plus sérieusement la fillette à son paternel. Elle avait beau être au début de son primaire et assez rationnelle, elle n’en était pas moins bien intriguée par Les incroyables ou les enfants les plus étonnants que j’ai rencontrés, un livre format presque géant des éditions Kaléidoscope. Signé Clotilde Perrin, ce dernier s’ouvre sur une citation d’Oscar Wilde : « Je peux croire n’importe quoi, pourvu que ce soit absolument incroyable. »

Il faut dire que l’autrice-illustratrice, qui s’est elle-même mise en scène sur une des toutes premières pages, affirme qu’elle a bien rencontré ces enfants. Mais est-ce possible? Déjà, dès la double page où la table des matières prend la forme d’une carte permettant de découvrir et de situer chacun, les noms peuvent porter le lecteur à douter. L’enfant poilu passe encore, mais l’enfant volant, vraiment? Puis ce livre qui joue avec le format documentaire tout en étant bel et bien imaginaire nous présente une ribambelle de personnages, tous plus enthousiasmants les uns que les autres. Généralement présenté sur deux pages en vis-à-vis, avec une grande illustration proposant un portrait de plain-pied, puis de plus petites qui servent le propos, chacun repousse les frontières du possible. Ayant fait le choix d’écrire au « je », Clotilde Perrin donne ainsi l’impression que chaque enfant se présente lui-même. L’occasion de se définir, mais aussi de parler de ses aspects les plus marquants, que ce soit sa vitesse effarante, sa réaction aux trop nombreux bisous de ses parents (ce qui est invivable, selon l’enfant gâteau) ou encore les variations de sa forme selon ses émotions, comme l’enfant nuage. Mon préféré? L’enfant Clic-clac, qui se plie en un tournemain et peut se transporter vraiment facilement. Voilà un enfant parfait pour vivre un tour du monde, n’est-ce pas?

Dans tous les cas, impossible que ces enfants soient réels, vous dites-vous. Et vous avez sûrement raison. Il n’en reste pas moins que cette œuvre est une main tendue à l’imaginaire des enfants, une porte ouverte sur l’univers des possibles.

Plus sages peut-être, mais tout aussi réjouissants, de nombreux livres de Marianne Dubuc sont dans le même esprit. Les histoires que l’autrice-illustratrice crée mettent ainsi souvent en scène de petits animaux qui vivent tels des humains et permettent aux lecteurs de découvrir des histoires qui les touchent et abordent des thématiques qui les concernent tout en jouant avec l’imaginaire.

Est-il vraiment possible d’aller déjeuner dans un arbre avec ses amis Marcel la souris, Doris la tortue et Léon le lapin? Non? Détrompez-vous! C’est ce que fait Lucie, petite héroïne de Marianne Dubuc que les éditions Album font (re)vivre (après Lucie et cie, Comme des géants) dans les albums Été et Automne parus dans le dernier trimestre de 2023. Avec ses illustrations réalisées aux crayons de bois, immédiatement reconnaissables à la douceur et à la bienveillance qui s’en dégagent, Marianne Dubuc signe une pluralité de courtes histoires regroupées selon les saisons. Casser la croûte, faire une chasse au trésor, trouver quelqu’un pour prendre soin des oisillons qui éclosent des œufs qu’Adrien l’escargot a trouvés, les trois aventures du recueil Été, par exemple, sont à hauteur d’enfant. Au fil des pages, on s’émerveille, on est émus et, surtout, on a envie de faire partie d’une telle bande. Ce sont aussi des textes accessibles tant grâce au vocabulaire simple utilisé qu’à la structure de chacun des courts récits. Voilà qui en fait des albums parfaits pour rejoindre celles et ceux qui apprennent à lire et pourront s’identifier à l’héroïne… même si leur vie ne ressemble pas exactement à la sienne!

Cette capacité à transcender le réel et à s’ouvrir à l’imaginaire est très utile dans plusieurs situations du quotidien, mais aussi quand notre monde prend la couleur de la cendre quand tout s’effondre autour de soi. Publié pour la première fois en 2022 dans une maison d’édition ukrainienne, Le papillon jaune est un de ces récits qui peuvent servir de baume quand tout va mal et qui nous percutent dès la première lecture. Créé par l’auteur et illustrateur Oleksandr Shatokhin, ce livre est à la fois un magnifique album sans texte qui parle de guerre… et un rappel que l’imaginaire est essentiel pour survivre au réel et entretenir l’espoir. Pour croire un futur possible et meilleur, pour s’évader des barbelés ou encore surmonter la colère, quand les bombes continuent de tomber. Ainsi, l’héroïne, jamais nommée, est d’abord dessinée dans un cadre sans lumière, où le danger guette chaque pas. Heureusement, l’espoir prend la forme d’un papillon qui la guide à travers les pages et hors de la dureté de son réel. Et si le premier lépidoptère jaune suscite la curiosité, ce qu’ils créent quand ils se multiplient apporte de l’espoir.

C’est un des superpouvoirs des livres, le saviez-vous? Et si l’imaginaire, du moins la partie plus merveilleuse, se fait parfois plus discret au fur et à mesure qu’on vieillit, les albums jeunesse sont toujours là pour réveiller l’enfant en nous et nous permettre de croire, tout simplement, même quand (et surtout quand) c’est incroyable!

Photo : © Philippe Piraux

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