À la maison, comme la lecture, le jardinage est une histoire de famille. Un jour que je cherchais à motiver les troupes pour aller désherber les platebandes, mon aînée a demandé si toutes les « mauvaises herbes » étaient nuisibles. Alors que je m’apprêtais à ouvrir mon téléphone pour trouver une réponse à la hauteur de sa question, subtilement posée pour s’éviter un maximum de travail, ma cadette s’est précipitée dans sa chambre… pour en ressortir avec un documentaire.

Et pas n’importe lequel! Publiés chez Auzou Québec, les nouveaux documentaires de Pierre-Alexandre Bonin et Lucile Danis Drouot s’intéressent tout particulièrement à la faune et la flore du Québec. Dans le premier, Les plantes carnivores ont-elles des dents?, on découvre ainsi que l’asclépiade, longtemps vue comme une mauvaise herbe, possède de nombreuses qualités. C’est notamment la (seule) nourriture de la chenille du papillon monarque, une excellente raison pour chercher à la sauver!

Comme le visuel de l’œuvre est attrayant, il est difficile de s’arrêter à une seule information. C’est ainsi que, quelques pages plus loin, on repère l’existence du monotrope uniflore, une plante blanche (souvent confondue avec un champignon) parce qu’elle ne contient pas de chlorophylle, pigment vert qui participe à la photosynthèse, et qu’on apprend, par exemple, que si les arbres n’ont pas de cerveau, ils peuvent tout de même fusionner par les racines, et ce, même s’ils appartiennent à deux espèces différentes!

Avec ses rubriques claires et répétitives, la structure des documentaires imaginés par les deux créateurs offre un cadre rassurant pour les jeunes lecteurs, tout en étant égayée par les petites touches d’humour sur les photos illustrant chaque rubrique et les illustrations utiles et amusantes de Lucile Danis Drouot. Celle-ci emploie tantôt un style plus réaliste, quand vient le temps de reconnaître une plante à sauver, tantôt plus créatif, de quoi donner envie de tourner encore et encore les pages de ce documentaire pour apprendre et s’émouvoir devant les merveilles qui se cachent dans nos jardins.

Apprendre et s’émerveiller, c’est aussi ce qu’on fait à la lecture d’un autre documentaire, cette fois pensé en tome unique et pas dans une série, sur le sujet des peuples des Premières Nations. Cet automne, Elise Gravel illustre en effet les textes de Melissa Mollen Dupuis dans Nutshimit : Un bain de forêt, qui deviendra rapidement un incontournable des bibliothèques.

« Kuei, kuei! » nous accueille l’alter ego de l’autrice à la première page avant de nous entraîner à la rencontre des peuples autochtones. Autrice, réalisatrice, animatrice de radio et militante, Melissa Mollen Dupuis signe chez Scholastic son premier ouvrage pour enfants, mais rien ne pourrait nous le laisser croire tant elle parvient à se mettre à la hauteur de son public, aidée en cela par le talent d’Elise Gravel. Alors que la touche de cette dernière se reconnaît dès la couverture grâce à son style caractéristique et sa représentation humoristique de la faune et de la flore, l’autrice, elle, nous raconte une légende innuat sur la création du monde, puis nous propose un tour dans la nature, à la manière d’un bain de forêt, en ouvrant tous nos sens. Ça part un peu dans toutes les directions, il faut le savoir! Chaque détail devient en effet le prétexte pour une nouvelle information ou encore une idée de bricolage (un cône en bouleau qui peut être pratique pour rapporter des trésors) ou une recette (comme le paschimineu, qui est une pâte de bleuet). Du macareux à l’importance des bateaux, du transport maritime au foin d’odeur, le tout expliqué en français, mais en mettant de l’avant les mots en innu-aimun pour chaque animal ou concept essentiel, Melissa nous entraîne dans une promenade dont nous sortirons, tout comme elle, avec un panier rempli de trésors, soit des connaissances multiples ainsi qu’une plus grande sensibilité aux traditions et cultures des peuples autochtones.

C’est aussi à la sensibilité de ses lecteurs que s’adresse l’autrice Manon Plouffe dans l’album pour les grands Les 34 mots des maux, publié chez Isatis. « L’être humain s’exprime par des mots depuis la nuit des temps », annonce-t-elle d’entrée de jeu avant de spécifier qu’elle a choisi pour ce projet 34 mots qui « peuvent faire réfléchir, déranger, voire choquer », mais qui, surtout, méritent d’être expliqués pour qu’on leur redonne leur sens premier.

Ici aussi, la sélection est éclectique, alors qu’on navigue entre les mots « esclavage » et « vitriolage » et que les termes « grossophobie » et « islamophobie » côtoient des réalités comme celle des « mariages forcés ». Si certains termes sont déclinés, par exemple « fascisme », sous lequel l’autrice prend le temps d’expliquer les termes « nazisme », « shoah » et « antisémitisme », ou encore sont décrits avec plusieurs exemples et faits historiques, d’autres sont survolés plus rapidement.

Dans tous les cas, les textes qui accompagnent ces mots «qui peuvent entraîner une foule de maux» ne sont pas neutres. On sent la posture très féministe et égalitaire de l’autrice tout au fil des pages et son désir militant, son envie d’une société égalitaire dans tous les sens du terme. Impossible par ailleurs de passer sous silence le brillant apport de Christine Delezenne, dont le travail visuel se distingue par un éventail de techniques et qui marque l’esprit avec quelques images vraiment fortes, comme celle des fermetures éclair sur les strings en dentelle qui surplombent le mot « consentement ».

Pouvant être lu d’un seul coup ou par fragments, ce livre pourrait bien un jour, à l’instar de tout documentaire jeunesse de qualité, servir de référence à quelqu’un qui souhaite s’assurer que son langage est le bon et que chaque mot est utilisé dans une forme claire! Après tout, avoir recours à son téléphone, c’est pratique, mais les documentaires ouvrent notre esprit autrement!

Photo : © Philippe Piraux

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