J’étais en train de lire quand mes yeux se sont écarquillés. Devant moi, ma fille a rigolé. « Ça y est, tu es rendue à la scène du plan à trois? » Ce livre, je le lui avais prêté le matin même pour la sauver d’un oubli. Un roman psychologique sur une relation toxique… qui contenait visiblement un plan à trois. « Sois pas choquée, ce n’est pas graphique et je ne suis pas traumatisée. » Du haut de ses 12 ans, ma fille faisait preuve d’une maturité certaine qui a rassuré la mère en moi, soudainement plus trop sûre de ses choix éducatifs. C’est le lendemain toutefois, quand on a ouvert la discussion ouvertement sur cette scène et plus particulièrement sur les relations toxiques, que le Colin de l’histoire est devenu notre référence commune pour parler de ce qu’on désire et de ce qui devrait élever des drapeaux rouges, que j’ai pris conscience qu’en fait, ce que j’avais d’abord vu comme une erreur était peut-être vraiment un élément positif.

En vérité, comme le relève si bien Cécile Bérubé, éditrice à La Bagnole, « il y a clairement une anxiété de performance en sexualité chez nos adolescents. Et on ne parle même pas du fait qu’ils s’éduquent sur Pornhub ». Les livres sur le sujet sont donc bienvenus, voire nécessaires. Bien sûr, tout ne doit pas être lu à tous les âges, mais à voir l’engouement autour de la série Sex Education, par exemple, et pas qu’auprès des 16 ans et plus, ils sont en quête d’informations… à condition de ne pas être infantilisés.

Ce n’est certainement pas le cas dans Ma première fois, recueil collectif paru cet automne. Dirigés par Karine Glorieux, les huit auteurs et autrices sont allés puiser dans leurs souvenirs et leur réalité, très diversifiée, pour proposer leur texte.

Le concept est intéressant et, surtout, décliné de façon parfaite. Il y a de tout : première relation sexuelle (avec ou sans pénétration), oui, mais aussi première pipe, premier jeu avec son corps, premier baiser, première déception. Le tout dans un prisme de diversité multipliant les points de vue, ce qui permettra à un large lectorat de s’y retrouver. Chaque auteur y apporte sa couleur, son style, mais ce qui ressort, c’est l’universalité des sensations : du fou rire au malaise, du désir à l’absence, de la motivation à la résignation, tout ce qui est raconté sent clairement l’expérience personnelle et cela permet de rayonner entre les lignes. La question reste néanmoins de savoir si ce livre se rendra à son public. D’abord parce que la couverture explicite pourrait en bloquer certains, ensuite parce que si ce sont les adultes qui en parlent trop, les adolescents pourraient décider que ça ne les concerne pas.

La solution est-elle que ça paraisse moins? Que ce soit moins mis de l’avant? La sexualité se fait justement plus discrète dans Et dans nos cœurs, un incendie, roman atypique publié chez Sarbacane. En fait, c’est la montée du désir qui se trouve au cœur du récit, avec les corps qui grondent, le sang qui bat dans les tempes… et ailleurs, alors que deux personnages bien différents entrent en collision.

Tristan s’en fout, des brimades et commentaires déplacés. Il a depuis longtemps le cœur en téflon. Isadora, elle, a l’habitude de répondre par la bouche de ses canons, tout feu tout flamme, trimballée d’école en école par une mère qui noie depuis longtemps son chagrin d’amour dans les bras d’hommes de passage. Deux univers, deux styles aux antipodes. Et pourtant, quand elle met le feu à du papier de toilette dans une cabine alors que lui tente de se pendre dans celle à côté, il se pourrait bien que leur orbite change.

Parue dans la collection « Exprim’ », cette romance hors norme offre une intrigue qui explose, tant dans l’écriture que dans le fond (il faut parfois s’accrocher), avec des personnages d’une grande intensité. C’est surtout aussi beaucoup de descriptions des réactions du corps à l’autre même si finalement la sexualité reste en périphérie. Le corps de Tristan, toujours mal dans ses vêtements, le cœur en scaphandre, qui voit sa mère débarquer dans sa chambre lors du seul moment où il ose se masturber. Le corps d’Isadora, en fusion, qui attise, attire son beau-père, un éducateur de l’école. Un corps qu’elle utilise comme arme, qu’elle détruit à coups de fumée comme le reste, mais qui vibre aussi, différemment, à côté de Tristan. Comme si la seule présence de l’autre pouvait l’apaiser. Bref, c’est un récit puissant, qui vise un public averti et avisé, mais la couverture l’indique déjà et parlera davantage au public cible.

La question du public cible se pose justement avec le nouvel opus de Catherine Girard-Audet, On ne tire pas sur les fleurs pour qu’elles poussent, un récit publié au Parc en face et mettant en scène une jeune adulte.

L’autrice qui se sent davantage sur son X en décrivant une émotion plutôt qu’un geste physique avait quand même déjà abordé le sujet avec Léa Olivier, puisque ça fait partie de l’adolescence, mais pas de la même façon. « J’ai senti plus de liberté, car je n’avais pas à censurer les scènes ou les effleurer même si je ne suis pas non plus hyper descriptive dans les détails. » Ici, sa Juliette tente tant bien que mal de trouver le nord de sa propre existence entre des cours à l’université qui ne l’allument pas du tout et, surtout, une peine d’amour interminable… et nourrie par les courriels de celui qui est parti de l’autre côté de l’océan pour « vivre sa liberté ». La solution? Faire appel à ses meilleurs amis et à leurs bons (ou mauvais) conseils, faire la fête au gré des invitations et, qui sait, s’oublier dans les bras de quelqu’un d’autre le temps d’une soirée. Avec ce roman qui célèbre les doutes et les essais qui peuvent parsemer le début de l’âge adulte, Catherine Girard-Audet offre une histoire ancrée dans son temps, avec des commentaires sur l’égalité, la masculinité toxique, la pression parentale des études, mais aussi et surtout l’amitié et l’amour, sans oublier la sexualité, bases fondamentales. Une histoire qui pourra rejoindre un lectorat plus âgé, mais qui pourrait aussi intéresser les lecteurs et lectrices plus jeunes qui cherchent à se projeter dans un futur et y trouveront des modèles différents, libérés, et des références positives, notamment à la sexualité sur lesquelles s’appuyer ensuite. Après tout, lire à propos de relations sexuelles, c’est aussi découvrir qu’il existe un florilège de possibilités, dédramatiser et… s’enlever un peu de pression, peu importe son âge!

Photo : © Philippe Piraux

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