Si la culture manga élève le chat au statut de divinité, les bédéistes occidentaux ont quant à eux une forte inclination pour le chien. Les Bill, Rufferto, Milou, Idéfix et Snoopy qui peuplent des kilomètres de cases en témoignent éloquemment depuis les débuts du 9e art. Voici cinq étonnantes propositions aux tonalités fort différentes qui explorent les liens qui unissent les humains à ces êtres de poils et d’amour qui adoucissent la vie.

Autobiographie
Pour combler l’incommensurable vide laissé par son absence, François Schuiten a immédiatement noirci des pages de Jim, son fidèle compagnon des treize dernières années disparu. Quiconque n’ayant jamais vécu le deuil d’un animal de compagnie ne peut comprendre l’indicible douleur qui s’ensuit. Du moins jusqu’à la parution de Jim aux éditions Rue de Sèvres. D’une désarmante délicatesse, d’une tendresse et d’une générosité, l’émérite illustrateur des Cités obscures réalise l’impossible: évoquer les multiples dimensions de pareille douleur.

L’homme a beaucoup à apprendre des chiens. Ils sont dotés d’un sens inouï de l’émerveillement et d’une infaillible fidélité. Un chien extirpe non seulement son maître de son ego et des tracas de la vie, il le soumet à la discipline métronomique de la balade, moments délectables qui rythment le quotidien, comme les marées. Un chien rend la vie plus douce, nous ramenant à l’essentiel : l’amour.

Impossible de traverser cet album sans verser de larme ni être assailli par le souvenir de nos compagnons disparus. Difficile de trouver les mots justes pour parler de cet extraordinaire album. Faites-en l’expérience. Vous en ressortirez moins seul, rempli de précieux souvenirs. Merci, François Schuiten, d’avoir partagé Jim avec nous. Nous marcherons désormais à vos côtés.

Classique
Deux ans avant sa rencontre avec Obélix, Idéfix, aidé d’une petite ménagerie d’irréductibles amis, résistait déjà à l’envahisseur romain en Lutèce. Voilà ce que raconte sa série Idéfix et les irréductibles (Albert René), dont la taille de l’objet n’est pas sans rappeler celle du valeureux petit chien moustachu aimé de tous. Dans l’esprit d’Uderzo et Goscinny, les rebondissements, vols planés et calembours sont autant d’éléments qui égayent les trois courts récits qui composent ce quatrième album. Les petits comme les grands y trouveront assurément leur compte. Car cette déclinaison, qui compte d’ailleurs sa propre série animée, a du cœur.

Suspense
Difficile de parler de la captivante bande dessinée Stray Dogs (Panini Comics) sans divulgâcher son intrigue à glacer le sang, sinon qu’une bande de chiens abandonnés se retrouvent sous un même toit, adoptés par un homme dont ils ignorent tout. Alors qu’une jeune chienne joint le groupe, une odeur l’amène à se remémorer son ancienne maîtresse et le drame qui explique sa présence parmi eux. Elle tente de les convaincre de l’insoutenable vérité concernant leur nouveau maître. Le problème, c’est que si les chiens sont dotés d’une impressionnante mémoire sensorielle, celle à court terme ne dure qu’une semaine tout au plus. Le temps leur est donc compté. La dichotomie opposant le trait « disneyen » à la violence de la situation rend cette lecture résolument émotive, haletante. Pour adultes seulement.

Inclassable
Déjà, la couverture du Nécromanchien de Matthias Arégui (Éditions 2024) fascine. Elle nous aspire dans un récit étrange, troublant et drôle. Deux artistes peintres sont voisins. L’un, flanqué d’un chat vivant dans sa tour d’ivoire, connaît un retentissant succès. L’autre, paumé, tente désespérément de peindre autre chose qu’une vulgaire croûte. En se rendant à la boutique d’art s’enquérir de matériel, il en ressort avec un chien qui bouleversera à jamais sa vie. À la suite du trépas du toutou, son âme viendra lui tenir compagnie, communiquant via la propriétaire de la boutique aux dons chamaniques. Sous un trait atypique et saisissant, l’étrangeté de l’univers à la fois cruel et hilarant de Matthias Arégui — rappelant celui de Winshluss — tient de l’expérience mystique de lecture. Les amateurs de calembours douteux à l’esprit aventurier seront comblés.

Burlesque
Un chien, un lampadaire, une inévitable rencontre et ses mille et une déclinaisons, voilà ce que propose cette réédition de Fido face à son destin de Sébastien Lumineau (L’Association). Comme chez Krazy Kat de George Herriman et le romancier Raymond Queneau, l’artiste explore les vastes possibilités d’un canevas pourtant simple : celui d’un chien fonçant inexorablement dans un lampadaire. Sous la forme de brèves vignettes, l’hilarante exploration génère un état hypnotique, jusqu’à cette fin glaçante qui nous rappelle l’inévitable cruauté du destin. Un haletant exercice de style, mêlant existentialisme et comique de situation à la Buster Keaton.

Photo : © Maeve St-Pierre

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