Sans aucune préméditation, mes lectures m’ont mené tout naturellement vers une sélection de titres exclusivement signés d’autrices. La pluralité de genres, d’approches et de tonalités proposée dans les excellents titres qui composent cette cuvée enrichit l’écosystème du 9e art québécois.

Fantastique
Le lac Kijikone prend mystérieusement feu. La rumeur veut que tout ce qu’on y plonge se transforme en or. Un groupe d’adolescents de Rivière-aux-Corbeaux décide d’aller voir si la rumeur dit vrai… Pour sa première incursion fort réussie dans la bande dessinée avec Parfois les lacs brûlent (Front Froid), l’illustratrice québécoise Geneviève Bigué propose un enlevant récit à la lisière du fantastique et du folklore, qui n’est pas sans rappeler la frayeur que suscite La chasse-galerie. Bien que cette fable moderne sur la mort et la perte de l’innocence repose sur une distribution d’ados solidement construite qui — fort heureusement — ne s’exprime pas via des clichés langagiers, la forêt, magnifiquement mise en cases, s’impose comme le véritable personnage central du récit. Grâce à un découpage maîtrisé, et une finale nous laissant pantois, Bigué insuffle à sa fable une aura d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler Sarclage de Geneviève Lebleu (Pow Pow) et Le projet Shiatsung de Brigitte Archambault (Mécanique générale). Une réussite.

Erotic fantasy
Le genre érotique a somme toute été peu exploré dans le 9e art national. Outre Sylvie Rancourt, qui a abordé son quotidien de danseuse nue dans sa série Mélodie, et Julie Doucet, qui a quant à elle couché sur papier ses songes dans Dirty plotte, peu de femmes ont exploré ce genre longtemps réservé aux auteurs masculins. Voilà que Stéphanie Leduc explore ce terreau riche par le truchement d’un récit empruntant à l’heroic fantasy, qu’elle renomme judicieusement « erotic fantasy ». Dryade (Moelle Graphik) se déroule dans un décor dystopique, alors que la destruction de la lune a engendré la disparition de sa protection contre la luciférine, entraînant les hommes dans une dégénérescence et les femmes dans une mutation botanique. Entrent en scène les envoûteurs, des séducteurs qui ont pour dangereuse, mais essentielle mission de s’accoupler avec des dryades pour en extraire la luciférine excédentaire, sauvant ainsi le monde. Intégrant habilement et naturellement les passages osés à son récit, Leduc livre un second tome à la construction impeccablement dense. Pour public averti.

Récit intimiste
À la suite de Bouées, un récit intimiste sur les relations amoureuses et la quête identitaire à la période de l’adolescence, Catherine Lepage récidive pour notre plus grand bonheur avec Voler au-dessus des trous (La Pastèque), un témoignage sur la résilience à l’âge adulte. Ici, elle raconte son désir de vivre de son dessin et de son entêtement pour y parvenir, des obstacles qu’elle tente non pas de contourner, mais littéralement de survoler tant elle fonce à vive allure. Empreinte d’humour et de bienveillance, cette réflexion sur la performance à tout prix, de rouler à fond pour se fuir soi-même et d’accueillir sa dépression pour mieux briser le cycle familial une fois parent émeut tout en nous conviant à la réflexion. L’artiste livre un autre magnifique album, cette fois appuyé par un dessin vif et expressif exempt de décors et de cases où les personnages s’approprient tout l’espace.

Quête identitaire
Julie Delporte nous revient plus magistrale et pertinente que jamais avec Corps vivante (Pow Pow), l’aboutissement d’une quête identitaire amorcée il y a quelques années dans Moi aussi je voulais l’emporter (Pow Pow) et Décroissance sexuelle (L’Oie de Cravan). À la sortie de sa lecture de La pensée straight de Monique Wittig à 35 ans, Julie embrasse enfin sa véritable orientation sexuelle. C’est à travers une histoire parsemée de violences trop souvent banalisées, voire normalisées, que l’artiste raconte sa difficile traversée identitaire pour en arriver à cette sortie du placard, qui tient davantage du cachot. Cette réflexion sur la normalité exacerbée par les diktats de l’univers médiatique machiste, la culture de la performance à tout prix et sur l’acceptation de soi et de l’ouverture à l’autre s’avère nécessaire, tout comme la lecture de cet album de la rentrée, sinon de l’année.

Imaginaire
Ah, Cathon! Elle n’a pas son pareil pour créer des univers mignons et fantaisistes (Les enquêtes de Sgoubidou, Les ananas de la colère). C’est encore plus vrai dans le cadre de sa production jeunesse, surtout avec sa supercoquentieuse série Mimose & Sam (Comme des géants). Très attendu, le quatrième volet des aventures de la jeune fille et son ami panda vivant paisiblement à l’intérieur de la citrouille au milieu d’un jardin nous accueille au cœur de l’hiver, alors que Sam est extirpé de son hibernation par son bedon qui crie famine. Voulant manger de la confiture d’églantine, il s’aventure dans la tempête en quête des ingrédients manquants. S’adressant aux 4 ans — et même aux plus grands —, cette sublime série illustrée toute en rondeur et en douceur nous rappelle l’importance de l’entraide et du vivre-ensemble. Cette série trône au sommet de la production locale, foisonnante et riche.

Éducation
Comment aborder le délicat sujet du deuil avec les jeunes enfants, voilà le défi que relève avec brio Sophie Bédard dans son excellent album Félixe et la maison qui marchait la nuit (La ville brûle). Avec délicatesse et doigté, elle raconte l’histoire de Félixe, une jeune fille solitaire habitant une jolie maison qui marche la nuit. Au gré de ses déplacements, elle y accueille une petite ménagerie, dont un oiseau, un lapin vert, un chat roux, en plus d’un bébé. Son dessin tout en rondeur et sa palette chromatique douce distillent une tendresse enveloppante et bienveillante.

Photo : © Maeve St-Pierre

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