Une tradition anglo-saxonne, issue de l’ère victorienne, voulait qu’à Noël, (au solstice d’hiver, en fait) au-delà des présents, soient échangées des histoires de fantômes. Dans un murmure plutôt que dans un bas sur le foyer de la cheminée, autour d’une table où les chandelles vêtissent leurs flammes qui réchauffent moins qu’elles ne donnent la chair de poule, se partageaient donc des récits hantés par des spectres. En honneur à cette tradition parfaitement incarnée par Charles Dickens avec Un chant de Noël, nous vous proposons quelques frissons grâce au texte inédit de Vincent Brault, récolteur d’histoires de fantômes (et de deuils) que vous pouvez lire dans Les ombres familières (Héliotrope) ainsi que d’autres suggestions d’ouvrages pour laisser les spectres danser avec vous sous le gui!

M
Un récit de J
Saint-Damien,
recueilli le 29 mars 2021

En 1985, ma grand-mère — la mère de mon père — est venue vivre au Québec après s’être fait sacrer là par son mari en Pologne. Un peu avant Noël, elle a appelé chez nous pour dire: je m’en viens, faut que vous me preniez, c’est de même. Puis elle est arrivée à Montréal le 24 décembre parce que les billets d’avion sont moins chers ce jour-là.

Mes parents ont huit ans de différence d’âge. C’est pas tant que ça, mais à l’époque ça paraissait beaucoup. Ma mère avait dans la vingtaine et mon père plus que trente. Il est arrivé au Canada avec une formation d’ingénieur, ma mère avec l’équivalent d’un DEP en boucherie ou je sais pas trop, elle a jamais travaillé là-dedans.

Tout ça pour dire que quand babcia est arrivée chez nous, ma mère s’est retrouvée full time avec moi — j’avais 3 ans — et sa belle-mère de 70 ans dans un mini appartement sur Beaudry, en bas d’Ontario. C’était pas facile. Babcia était méchante avec ma mère — en passant, babcia ça veut dire « grand-mère » en polonais.

Mon père était pratiquement jamais à la maison. Il travaillait chez Pratt & Whitney et babcia le méprisait parce que là-bas il était juste technicien et pas ingénieur, mais elle méprisait encore plus ma mère qui, elle, travaillait de temps en temps dans une manufacture de couture — à l’époque où y’en avait sur Chabanel. Babcia et ma mère se chicanaient énormément. C’était pas gérable.

Un réveillon de Noël — je devais avoir 8 ou 9 ans — babcia a pas voulu qu’on ouvre les cadeaux. C’était de la pure méchanceté. On était tous les quatre autour du sapin. Grosse engueulade. Babcia est partie s’enfermer dans sa chambre. Ma mère lui a crié : qu’est-ce qui te prend?! Ç’a pas de bon sens! Tu gâches le réveillon!

Méga chicane pendant des semaines.

Après, ma mère a fait une dépression sévère.

On a vécu à quatre dans l’appartement pendant quinze ans. Pis à un moment donné, un logement s’est libéré juste en face de chez nous. Babcia voulait pas déménager. Ma mère l’a obligée. Et babcia est morte deux mois plus tard d’un cancer du cerveau. Elle avait 85 ans. J’étais au cégep dans ce temps-là. Ça fait à peu près vingt ans. Et depuis, ma mère arrête pas de se plaindre que le fantôme de babcia la harcèle. Il se manifeste surtout dans le temps des fêtes. Des verres brisent sans raison. Des boules de Noël tombent du sapin. Les portes d’armoires claquent toutes seules. Et puis, le 24 décembre, ma mère sent quelque chose lui écraser la poitrine. Des mains. Ma mère est certaine que c’est le fantôme de babcia qui lui serre le cœur, littéralement.

Ma mère a pas beaucoup réfléchi aux raisons qui l’ont menée à faire une dépression. Je veux pas la juger… elle l’a pas eu facile et sa vie est encore rough. Elle est dépendante financièrement de mon père et lui y’est pas fin avec elle. C’est lourd. Elle voit un psychiatre depuis des années. Mettons qu’elle a de la difficulté à se prendre en main… Par exemple, elle aimerait faire des voyages — tsé juste aller à Québec —, mais elle se trouve toujours des excuses pour pas y aller. Elle ramène toutes ses souffrances à babcia. Quand il lui arrive des bad luck, c’est jamais de la faute de ma mère. C’est pas pour dire que le fantôme existe pas… En fait, je pense qu’il existe. Il rend même service à ma mère. Il lui permet de se déresponsabiliser: ses misères sont toutes causées par le fantôme de babcia.

Ma mère est pas si vieille. Si elle se séparait de mon père, elle pourrait se faire une belle vie. Je comprends pas pourquoi elle le quitte pas. Elle pourrait venir habiter chez nous à Saint-Damien. Elle a passé tout le temps des fêtes ici, l’an dernier, sans mon père. Je pense que ça lui a fait du bien, même si en général elle restait toute seule dans le sous-sol. Avec la COVID, on était prudent. On portait nos masques. On lui apportait de la bouffe en bas. On jasait pas énormément. C’était un peu bizarre.

Le 24 décembre, on a fait un petit BBQ dehors, sur le terrain, et ma mère s’est encore plainte que des mains invisibles lui serraient le cœur.

 

Vincent Brault a constaté que chaque histoire de fantôme ou de surnaturel en attire une autre. C’est ainsi qu’il a récolté de nombreux témoignages qu’il a triés sur le volet pour en faire un collage fascinant et envoûtant dans Les ombres familières. Ces récits sont parfois réconfortants, parfois effrayants, mais tous traduisent notre rapport à la mort et au deuil, en laissant transparaître beaucoup de notre société. Les textes sont entrecoupés de réflexions de l’auteur et de certaines de ses propres anecdotes, faisant de cet objet littéraire un tout, qu’on dévore comme un roman à l’intrigue bien ficelée.
— Julie Cyr, de la Librairie Lulu (Mascouche)

 

Encore plus de suggestions

Pour ceux qui ont l’âme littéraire
La collection « Ectoplasme » chez Alto propose deux courtes histoires, en quarante pages à peine, qui s’inscrivent directement dans la tradition victorienne : Le revenant de Rigaud, de Martine Desjardins, ainsi que Tu redeviendras poussière, de Heather O’Neill. Dans le premier récit, signé par l’auteure de Maleficium, on plonge dans les profondeurs de la folie et des buffets qui ne font pas saliver du tout alors que dans celui de l’auteure derrière Hôtel Lonely Hearts, on plonge plutôt dans un récit hanté par du réalisme magique où une femme rentrée au petit matin, du sang entre les jambes, semble totalement invisible aux yeux de ses sœurs… Vous pourrez vous procurer ces livres en version numérique au faible coût de 2,99$ chacun sur leslibraires.ca. De plus, sachez que l’an prochain, deux nouveaux auteurs s’ajoutent à cette collection : Dominique Fortier et Matthieu Simard. Leur ouvrage seront quant à eux disponibles en papier et en numérique.

 

 

Pour ceux qui lisent l’anglais
Chez l’éditeur Biblioasis, vous trouverez une collection d’histoires de fantômes illustrée avec soin, dans un design irréprochable, par le renommé Seth. Une collection créée justement en hommage à cette tradition qui mélange habilement festivités de Noël et spectres éternels. Cette saison, les trois nouveaux titres sont The Captain of the Polestar d’Arthur Conan Doyle; The House by the Poppy Field de Marjorie Bowen; et A Room in a Rectory d’Andrew Caldecott, tous disponibles sur leslibraires.ca.

 

 

Pour les enfants
Dans Un affreux Noël de Louis Laforce (Héritage jeunesse, collection « Frissons »), Charlotte et son frère doivent passer une semaine, durant les fêtes, chez leur grand-père qu’ils connaissent peu. Ce dernier ne parle pas beaucoup, est taciturne et leur interdit d’aller au grenier. Mais, bien entendu, dès le premier soir, les enfants y montent… Dès lors, ils entendront d’étranges pas dans la maison, croiront apercevoir un rôdeur autour de la demeure, trouveront une pièce secrète emplie de lutins… maléfiques?! Cette histoire d’horreur pour les 8 ans et plus — elle donne juste assez de frissons pour rester agréable et est sans soucis côté cauchemars — saura ravir les lecteurs curieux qui, comme Charlotte et son frère, auront aussi gravi les marches… Dans L’étrange Noël fantôme (La Bagnole, dès 12 ans), l’autrice Karine Glorieux est accompagnée des illustrations de la jeune (17 ans!) Camila Linky. La veille de Noël, les parents de Mirka, débordés, l’envoient à l’école à sa grande surprise. Mais là ne s’arrête pas l’étonnement, car voilà que le professeur qui l’accueille est âgé de plus de 200 ans et hante depuis sa mort les corridors… Avec une école pleine d’élèves fantômes issus d’un autre temps qui choisissent également d’arpenter l’établissement, Mirka sera confrontée au sens que ces derniers donnaient à Noël : une fête loin de tout consumérisme, une fête de partage et de rassemblement.

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