À chaque édition de la revue Les libraires, nous vous proposons une sélection de livres qui se glissent facilement dans votre poche. Petit prix et petit format, certes, mais de grandes découvertes et de belles plumes!

La doublure
Mélissa Da Costa, Le Livre de Poche, 700 p., 14,95$
Ce thriller psychologique de l’autrice reconnue pour ses feel-good books prend ici le chemin du romantisme noir. En nous immergeant dans les dessous du monde de l’art, Da Costa nous entraîne aux côtés d’Evie, jeune fille de 23 ans aussi sensible que naïve, à la recherche d’un emploi. Elle rencontrera un riche homme d’affaires et acceptera de devenir la doublure d’une artiste peintre, pour qui elle devra faire des apparitions publiques, donner des entrevues. Elle se verra alors plongée dans un monde mystérieux et de plus en plus ténébreux, mais nimbé d’une atmosphère artistique oscillant entre le glamour et l’érotisme. Relations toxiques, mensonges, faux-semblants, dépendance : Evie s’enfoncera dans les méandres de cette superposition des identités et d’une aventure aux lèvres de laquelle le lecteur sera suspendu.

La banalité d’un tir
Mali Navia, Nomades, 232 p., 15,95$
Après des années passées au Canada, mais sans jamais s’y être vraiment senti chez lui, comme ballotté dans un entre-deux, Ale retourne dans son pays natal, la Colombie, et disparaît, sans doute victime d’une « disparition forcée », ce qui signifie qu’il a probablement été tué. En se remémorant son enfance et sa vie familiale, sa fille, Ana, essaie de faire la paix avec son passé, de panser ses blessures et de comprendre ce qui est arrivé à son père. S’inspirant de son histoire, Mali Navia signe un premier roman sensible, beau et émouvant sur la quête identitaire ainsi que sur la solitude, le deuil, les origines et les douleurs de l’absence et de l’exil, dont le tiraillement entre deux cultures, deux mondes.

La dépendance
Rachel Cusk (trad. Blandine Longre), Folio, 208 p., 17,25$
Lire Rachel Cusk, c’est vivre une expérience de lecture intense, qui nous pousse dans nos retranchements. L’impact est ainsi grand sur le lecteur en raison de la profondeur avec laquelle cette autrice sonde la psychologie de ses personnages, avec nuances, sans mettre de côté la noirceur qui assombrit parfois les pensées ou la sauvagerie des désirs qui se pointent. Dans La dépendance, elle explore les questions existentielles qui relient l’individu à l’art, elle tente de cerner comment se constitue l’identité, où se situe l’individualité et ce qu’est la possession. Tout, dans ce roman, s’articule autour de la complexe interaction que la protagoniste entretient avec un artiste reconnu, maintenant sans le sou, qu’elle a invité à loger dans une dépendance voisine de sa demeure. Mais voilà, l’homme qu’elle admire tant arrive, et à ses côtés une jeune femme qui déstabilise l’hôtesse. Tensions, et réflexions. En librairie le 25 février

Le mage du Kremlin
Giuliano da Empoli, Folio, 288 p., 17,25$
Récompensé en 2022 du Grand Prix du roman de l’Académie française ainsi que du prix Balzac, ce premier roman nous plonge dans les coulisses du pouvoir russe contemporain. Plusieurs légendes et rumeurs courent sur Vadim Baranov, surnommé le « mage du Kremlin », ex-conseiller politique du Tsar, qui a œuvré dans l’ombre du pouvoir avant de démissionner. Comment démêler le faux du vrai de la vie de cet énigmatique personnage? Le narrateur trouvera peut-être des réponses quand il fera la rencontre de Baranov, qui lui racontera son parcours atypique, dont son ascension politique dans les hautes sphères du Kremlin. Même s’il s’agit d’une fiction, le politologue Giuliano da Empoli s’est inspiré de l’histoire de Vladislav Sourkov, qui a joué un rôle dans l’arrivée au pouvoir de Poutine. C’est fascinant, éclairant et brûlant d’actualité. En librairie le 21 février

Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme
Kristen Ghodsee (trad. Charlotte Nordmann et Laura Raim), Lux, 256 p., 16,95$
Le postulat de cette chercheuse américaine repose sur le fait que le socialisme, lorsque mis en œuvre adéquatement, favorisait l’indépendance économique des femmes, leur offrant de meilleures conditions de travail et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et familiale que le système capitaliste. Ce dernier « transforme notre sexualité en marchandise et utilise nos craintes et notre manque de confiance pour nous vendre des produits et services dont nous n’avons pas besoin »; le libre marché n’a pas à s’appliquer aux corps des femmes. Incidemment, un mode de vie socialiste — emploi assuré à tous citoyens, protection sociale et services publics de qualité — assure une vie sexuelle plus épanouie pour les femmes. Destiné aux néophytes et curieux du sujet, cet essai qui résulte de vingt ans de recherche aborde la théorie socialiste féministe européenne et les expériences du socialisme d’État au XXe siècle. Que peut-on apprendre du passé pour améliorer notre présent ? Le point de vue, étayé de faits et de statistiques, est fascinant. En librairie le 7 mars

Les racistes n’ont jamais vu la mer
Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, Mémoire d’encrier, 344 p., 19,95$
Comment mieux comprendre ce que signifie « prendre pays » qu’avec le partage d’expérience, en toute sensibilité, d’individus qui l’ont vécu? Dans cet ouvrage, on assiste à un dialogue entre deux personnes qui ont vécu le déracinement et qui nous livrent leurs réflexions, doutes, peurs et joies. Sans jamais pointer du doigt quiconque, et seulement en expliquant leur vécu — le tout dans une poésie à faire frémir —, Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban ouvrent une fenêtre sur tout le courage, la capacité d’émerveillement et la résilience que nécessite l’installation dans un nouveau chez-soi. Pour en finir avec le racisme et pour découvrir l’autre, dans son unicité et au-delà de toutes étiquettes, cet ouvrage est essentiel.

Vivre vite
Brigitte Giraud, J’ai lu, 188 p., 14,50$
Dans ce livre couronné du prix Goncourt en 2022, l’écrivaine Brigitte Giraud essaie de comprendre, vingt ans plus tard, ce qui a mené à la mort de son mari Claude, décédé dans un accident de moto. En élaborant un inventaire de tous les détails de ce qui a précédé cet événement tragique, à coups de « si », elle replonge dans ses souvenirs en tentant de voir comment le drame aurait pu être évité, comment le destin aurait pu être déjoué. Elle choisit ce moment-là pour ce retour dans le passé parce qu’elle vient de vendre la maison qu’elle avait jadis achetée avec Claude, mais qu’il n’a jamais habitée. « Parce que la maison est au cœur de ce qui a provoqué l’accident. » Même si cette quête ne changera évidemment pas l’inéluctable, cet exercice lui permet de morceler l’incompréhensible.

Chasseur au harpon
Markoosie Patsauq (trad. Marc-Antoine Mahieu et Valerie Henitiuk), Boréal, 128 p., 14,95$
Ce classique de la littérature inuite a été écrit il y a un peu plus de cinquante ans. Considérée comme le premier roman en inuktitut jamais publié, cette histoire qui se déroule au cœur de la toundra et qui présente quatre points de vue nous plonge au sein d’une communauté inuite. Si on y découvre, sous une écriture cinématographique, une nature impitoyable, on rencontre également des hommes et des femmes qui cohabitent, une histoire de transmission, et même… un ours, qui devient le symbole du labeur et du combat perpétuel des hommes dans cet environnement arctique.

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