Le coin du livre fait flèche de tout bois et persiste. Voilà soixante-cinq ans que cette librairie située à Ottawa propose fièrement de la littérature francophone à la population qui, cela dit, le lui rend bien puisque plusieurs visiteurs l’ont adoptée, conférant au lieu le statut de service essentiel. Devenu une véritable institution, l’endroit n’est pas près de disparaître avec sa propriétaire Nathalie Savard et ses collègues dont l’élan pour le livre ne fait aucun doute.

La ville d’Ottawa comptant une majorité de citoyens anglophones, la librairie Le coin du livre demeure pourtant bien vivante avec son offre en français. Son secret réside en grande partie dans sa longue tradition d’un personnel attentif à sa clientèle et épris par tout ce qui a trait aux livres, en particulier ceux écrits par des auteurs franco-canadiens. « Je suis une passionnée de la littérature depuis ma tendre enfance et avoir vu mon papa dans ce milieu m’a toujours donné le goût d’y travailler pour partager cette passion », soutient Nathalie Savard, l’actuelle propriétaire qui, en octobre 2022, a repris le flambeau de son père, Normand Savard. Ce dernier l’avait lui-même acquis de Maurice Lozier, l’un des quatre fondateurs1 de la librairie, mais il y travaillait déjà depuis 1967, animé par une constante volonté, celle de faire connaître au plus grand nombre le livre francophone en Ontario. Enhardi par sa résolution, il déploie mille et un moyens pour parvenir à ses fins, tissant des liens avec les établissements scolaires et parcourant la province afin de gagner les différentes foires du livre, montant parfois jusqu’à Wawa à près de onze heures de route d’Ottawa.

Fièvre contagieuse
De son côté, Nathalie Savard prend part aux activités de la librairie peu après qu’elle a été vendue à son père. « Je venais de finir le secondaire, précise-t-elle. J’ai fait des études collégiales en marketing seulement pour avoir un diplôme. » Ses connaissances dans le domaine lui seront cependant utiles, assurant à la librairie une visibilité toujours plus grande et agissant selon les valeurs qu’elle a toujours portées, soient de communiquer son profond attachement pour les mots des littératures franco-canadiennes. C’est pourquoi Savard fille n’hésite jamais à prendre parole à la radio ou à la télévision pour conseiller les lecteurs, et rien ne la satisfait davantage que de voir certains d’entre eux passer le paillasson de la librairie pour se procurer les livres suggérés. « Donner le goût de la lecture est le plus beau cadeau », insiste la propriétaire qui, de cette façon, ressent l’impression du devoir accompli. Et ce ne sont pas les idées qui manquent pour faire en sorte de toujours étendre la palette des fidèles. Nathalie Savard exprime le souhait d’organiser un rendez-vous mensuel avec des auteurs, croyant en l’importance de la rencontre entre les écrivains et le public. Et parce qu’elle estime que les occasions de discussions autour du livre ne sont jamais trop nombreuses, elle aimerait parmi les prochains projets dans la mire instaurer un club de lecture auquel chacun serait bienvenu. Également, elle chérit l’intention d’agrandir la librairie de manière à pouvoir y aménager une aire de causerie où les gens auraient le loisir de prendre place et consulter les œuvres qui leur font envie.

D’ailleurs, qui sont-elles ces personnes prenant plaisir à déambuler entre les rayons de la librairie? Des clients indéfectibles, des membres des effectifs scolaires, des parents et des grands-parents d’enfants en immersion ou qui désirent perpétuer la langue française. « Depuis plus de soixante-cinq ans, la mission première a toujours été de génération en génération de promouvoir la littérature francophone dans un milieu minoritaire », rappelle la propriétaire des lieux. Le livre jeunesse est le genre le plus vendu au Coin du livre, suivi des romans canadiens pour adultes. Signalons du reste que les livres canadiens constituent 75% de l’inventaire du magasin, éloignant toute ambiguïté quant au choix de ses priorités. « Nous avons une très grande sélection de livres d’autrices et d’auteurs locaux, c’est très important pour nous de pouvoir en faire la promotion et de donner une bonne sélection à notre clientèle », continue Nathalie Savard. Ce qui incarne à la fois un plaisir et un défi, car tenir debout en tant que commerce indépendant francophone en Ontario relève d’un petit miracle en soi. Surtout que la province ne bénéficie pas comme le Québec de la Loi 51 sur le livre qui engage les institutions à s’approvisionner dans une librairie agréée de leur région administrative, ce qui permet de bénéficier des profits engendrés grâce aux collectivités. Sans protection similaire, le bassin important de potentiels acheteurs que représentent les écoles, les bibliothèques, etc., est en droit de se ravitailler librement, même auprès de la maison d’édition, laissant pour compte les librairies qui représentent pourtant une courroie de transmission importante pour le livre et dont il faut prendre soin.

Une fratrie accueillante
Pour pourvoir à la bonne marche d’une librairie telle que Le coin du livre, maints atouts s’avèrent nécessaires, à débuter par un sens de l’organisation bien aiguisé. S’ajoutent à cela la gestion des employés et une administration impeccable. « J’arrive dès 6h le matin pour lire mes courriels et faire les commandes des libraires, explique Nathalie Savard. Ensuite les portes ouvrent à 9h, et voilà que ma passion commence avec les suggestions à faire aux clients et les recommandations aux écoles. » Sans omettre la venue des représentants pour l’achat des livres. Mais le service demeure ce qui prime pour la libraire-propriétaire qui peut alors se laisser aller à parler avec les lecteurs et remplir sa première mission d’amener à la découverte de nouvelles œuvres. Pour l’accompagner dans l’aventure, une équipe de libraires dévoués et un collaborateur de tous les instants, Benoît Surprenant, qui veille à toute la logistique informatique. « Nous sommes une équipe qui s’entraide et nous formons une famille de travail », affirme Madame Savard. En cela, la librairie s’inscrit dans la continuité, reconduisant le legs de père en fille pour élargir les rangs, lesquels se gonflent encore si on y inclut tous ceux et celles qui fréquentent Le coin du livre.

Le coin du livre
1657, chemin Cyrville
Ottawa
[email protected]
lecoindulivre.leslibraires.ca
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1. La librairie Le coin du livre fut fondée en 1958 par René Cantin, Rodrigue LeMay, Maurice Lozier et Fernand Robertson

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