Les gens de L’Alphabet, librairie située à Rimouski dans la région du Bas-Saint-Laurent et dont l’aventure s’est amorcée il y a de cela quarante-huit ans, honorent à merveille le slogan qu’ils ont adopté : La culture en plein cœur. D’autant plus qu’ils viennent d’annexer au commerce un autre joyau indépendant, Audition Musik, spécialisé pour sa part dans la vente de disques et de supports audio, et au service de la population rimouskoise depuis trente et un ans. L’expertise réunie rue Saint-Germain en matière artistique profite à tous ceux et celles qui traversent le portail. Aussitôt franchi le seuil, d’autres mondes, tapis au creux des livres ou des mélodies, engagent la promesse d’heures sublimes et d’émerveillement à foison.

En s’entretenant avec Louis Poulain et Mathieu Raby-Labelle, codirecteurs de la Librairie L’Alphabet, on constate tout de suite l’enthousiasme qu’ils portent à leur métier et la frénésie qui les gagne lorsqu’il s’agit de discuter des livres avec quiconque se montre intéressé. Le premier se fait public, il est le référent auprès du personnel, de la clientèle, des médias et des institutions. En ce qui concerne le second, il s’affaire davantage du côté de l’administratif et est en contact avec les intervenants du milieu du livre, en s’occupant entre autres d’une grande partie des achats. Ces deux jeunes hommes n’avaient pourtant pas l’intention première de se retrouver à la gestion d’une librairie, surtout pas dans le Bas-du-Fleuve. Mathieu étant originaire des Hautes-Laurentides et ayant fait des études universitaires en sociologie, Louis nous venant directement de Paris après avoir fait un baccalauréat en médiation culturelle, puis un autre à l’UQAR en psychosociologie, les comparses n’avaient pas projeté de se retrouver là où ils sont. Mais comme on le sait, le hasard fait souvent bien les choses, et cette fois-là, ce fut le cas.

Photo : © Laurie Cardinal

Tissés serrés
L’Alphabet fut d’abord fondée par Louisianne Ouellet et Jean-Louis Pelletier en 1975 pour ensuite être vendue à un OBNL. En 2006, la Société nationale de l’Est du Québec (SNEQ) en devient donc propriétaire et la librairie est désormais gérée par un conseil d’administration. Une histoire qui se poursuit avec l’acquisition par la SNEQ d’Audition Musik, créé en 1992 et mené jusqu’à ce jour par Bernard Therriault qui continue d’œuvrer à l’enseigne maintenant que la boutique du disquaire jouxte celle du libraire, ce dernier tenant de surcroît une zone de jeux, jouets et papeterie. Et étant donné qu’ici l’activité ne s’arrête jamais, un noyau stable, efficace et paré à toutes éventualités est primordial. « Chaque libraire qui travaille à L’Alphabet a la culture chevillée au corps, exprime Louis. On a une équipe très éclectique où chacun ajoute sa pierre à l’édifice avec les affects qui le font vibrer. » Le duo de joyeux lurons ne pourrait assurer à lui seul la bonne marche des lieux qui accueillent bon nombre de visiteurs et visiteuses, des habitués aux fureteurs occasionnels, en passant par les étudiants et étudiantes et les travailleurs et travailleuses du coin. Il peut s’appuyer pour cela sur une équipe solide et investie de vingt-neuf employé.es, des allié.es hors pair sans qui rien ne pourrait tenir debout.

Car il faut quand même avoir les reins solides pour tenir le fort de la plus grande librairie de l’Est du Québec, laquelle doit satisfaire à une variété de requêtes provenant de plusieurs horizons. « La Librairie L’Alphabet en est une avec beaucoup de va-et-vient, souligne Mathieu. En moyenne, on compte de cent quarante à deux cents transactions par jour. Même si on possède un bon inventaire diversifié — nous avons plus de 36 000 titres différents, et un total de 50 000 livres en magasin —, nous devons faire quand même beaucoup de commandes spécialisées. C’est une de nos images de marque d’y répondre assez rapidement. » Il effectue des demandes tous les jours, que ce soit chez les gros fournisseurs, les plus petits distributeurs, mais aussi en direction du marché anglophone et en Europe. Plusieurs collectivités font également appel à la librairie pour s’approvisionner. « C’est de pouvoir à la fois répondre au grand public, on est une librairie très généraliste, on a tous les grands vendeurs, mais on est hyper nichés dans certaines catégories », ajoute Louis qui a été le maître d’œuvre dans l’affinage du système de classement durant les deux dernières années, réussissant à donner plus de visibilité aux titres, par ailleurs munis de bibliothèques neuves. En plus d’ajouter des sections incontournables, notamment pour tout ce qui concerne les études féministes, les questions relatives aux communautés LGBTQ+ et celles des peuples autochtones.

Bref, que vous vouliez mettre la main sur le plus récent roman historique québécois ou encore sur la série jeunesse de l’heure, à moins que vous ne soyez intéressé par des rayons très bien garnis côté sciences humaines ou bandes dessinées, vous ne serez pas déçus de fréquenter la Librairie L’Alphabet, qui a bénéficié récemment d’un nouvel aménagement, plus apte entre autres à héberger des rencontres et des lancements. Avoir pignon sur rue en plein centre-ville, tout juste en face de la traverse piétonne, favorise l’achalandage, certes, mais sans le professionnalisme manifeste de l’équipe, on filerait rapidement son chemin. « Il y a même des clients qui passent tous les jours! », raconte Mathieu.

Un heureux labeur
Une telle fidélité s’acquiert avec une saine gestion qui réclame des qualités d’organisation, d’écoute et de priorisation des dossiers. « Il faut savoir toucher à beaucoup de choses, que ce soit en compétences relationnelles ou prévisionnelles, et rester informés de ce qui se passe en société, explique Louis. On est comme des couteaux suisses, il faut savoir tout faire, trouver des solutions pour tout. » Travail de bureau, de plancher, d’entrepôt, de représentation, de livraison ou de coordination événementielle, les tâches sont multiples et ils doivent pallier l’une ou l’autre de ces fonctions en faisant preuve d’une grande polyvalence. Quant au rôle du ou de la libraire, ce qu’il requiert par-dessus tout selon les deux aficionados c’est la passion. Avoir l’envie constante de parler lecture et être pourvu d’un esprit curieux. « La littérature est moteur de changement et la librairie est un lieu de passation, renchérit Mathieu. Ça se voit avec la clientèle qu’on reçoit et la façon dont on rend la librairie vivante. » Ça se vérifie aussi par la fierté qu’arborent les directeurs. Parti de France, Louis a trouvé chez L’Alphabet un endroit d’appartenance, et avec Mathieu, avec qui il tient les rênes depuis quatre ans, ils ont puisé à même leur ardeur pour la littérature afin de faire de la librairie l’espace qu’il est devenu et qu’il continue de devenir, c’est-à-dire un antre dédié à la culture et à tous ceux et celles qui l’aiment.

 

Les incontournables de Mathieu Raby-Labelle

Querelle de Roberval
Kevin Lambert (Héliotrope)

N’essuie jamais de larmes sans gants
Jonas Gardell (Alto)

Les ragazzi
Pier Paolo Pasolini (Points)

 

 

Les incontournables de Louis Poulain

Le combat ordinaire (4 tomes)
Manu Larcenet (Dargaud)

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
Harper Lee (Le Livre de Poche)

Les désorientés
Amin Maalouf (Le Livre de Poche)

 

 

Librairie L’Alphabet
120, rue Saint-Germain Ouest
Rimouski
librairielalphabet.com

Photos : © Courtoisie

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