De toute l’Amérique, la Librairie Michel Fortin est la seule librairie spécialisée en apprentissage des langues ayant pignon sur rue. New York, Boston, Toronto, Vancouver : toutes peuvent aller se rhabiller, car c’est à Montréal qu’on retrouve ce commerce unique où plus de 14 000 titres, se rapportant à une centaine de langues, se côtoient sur les tablettes. Petite visite dans ce lieu cosmopolite où les leçons de grammaire s’habillent d’exotisme.

Accéder à une autre culture, parler la langue d’un pays d’accueil, voyager et vouloir discuter avec les populations locales, diversifier ses compétences professionnelles, faire travailler ses neurones : les raisons de vouloir apprendre une langue sont aussi diverses qu’il y a d’apprenants. Mais une raison peut-être méconnue serait celle de la santé. « Les zones du cerveau qui sont sollicitées dans l’apprentissage de la langue seraient les mêmes que les zones affectées par l’Alzheimer. En les activant, on met plus de chances de notre côté de garder plus actives les communications neuronales dans cette zone du cerveau », explique Ronald Thibault, propriétaire de la Librairie Michel Fortin dont les dires sont corroborés par plusieurs études démontrant que le bilinguisme retarde effectivement l’apparition des symptômes de la maladie dégénérative. Alors, s’il vous fallait une raison de plus pour faire un détour à la Librairie Michel Fortin, en voilà une!

Le commerce vient de déménager, délaissant la rue Saint-Denis (et l’augmentation de loyer de 50% qui lui était imposée bien qu’il y soit situé depuis quarante ans) pour l’avenue du Parc. Mais cela n’inquiète pas Ronald Thibault : « Nous sommes un commerce de destination », explique-t-il. Les gens qui ont besoin d’un guide de conversation, d’un dictionnaire, d’une méthode ou d’un roman en langue étrangère savent où le trouver. Cette librairie, créée en 1982, possède comme principale clientèle des écoles de langues, à Montréal, mais aussi partout à travers le Canada, et même à l’international. Et bien que l’anglais, l’italien, l’espagnol et l’allemand soient fort populaires, ce sont les méthodes pour le français langue seconde ou langue étrangère qui composent la majeure partie de ses ventes. Plusieurs écoles de langues privées, écoles publiques et bibliothèques s’approvisionnent chez ce libraire afin de mettre la main sur la méthode qui conviendra pour accompagner les nouveaux arrivants ou les nouveaux apprenants dans leur apprentissage du français. « Car les gens ont besoin du contact avec les livres pour apprendre », souligne monsieur Thibault.

La gymnastique du cerveau
Un contact avec les livres, donc, mais également une méthode qui fonctionne selon chaque type de clients et qui permet de pratiquer à voix haute. « Pour savoir quel ouvrage conseiller à tel ou tel client, on pose des questions. On explique les différentes façons d’apprendre, on explique la façon la plus naturelle d’apprendre et, en fonction de ça, on trouve le produit qui colle à la fois à la conception de l’apprentissage d’une langue du client et à son besoin. Ce qui nous importe, c’est que lorsque le client achète un produit, il sache ce qu’il achète. »

« Ça fait plusieurs décennies qu’on est les meilleurs vendeurs de méthodes et guides Assimil au Canada. D’ailleurs, Assimil, au fil des presque 100 ans d’existence qu’ils ont, ont acquis plusieurs clients réguliers qui ne jurent que par eux. On a un “assimiliste” local qui a appris le hongrois avec la méthode Assimil à partir du français. Une fois le tout appris, il a demandé le même livre, toujours sur le hongrois, mais à partir de l’anglais. Ensuite, il nous a demandé s’il était possible d’apprendre l’espagnol, mais pour quelqu’un qui parle hongrois. Lui, c’est vraiment ce qu’on appelle un “assimiliste” », explique Ronald Thibault, qui voit passer dans sa librairie quelques clients passionnés de ce genre. Des clients qui comprennent la structure pédagogique d’Assimil, qui y adhèrent et qui reviennent, encore et encore. « C’est la méthode la plus intuitive pour apprendre une langue, mais il faut accepter certaines choses », parmi lesquelles, ajoute-t-il, celles de parler, de répéter et de s’écouter, notamment. « Car apprendre une langue, c’est s’entendre la parler. »

Une cliente est déjà entrée en librairie en expliquant qu’elle n’avait jamais été capable d’apprendre l’anglais, malgré les nombreux cours suivis. Le libraire lui a mis le bon outil entre les mains. Plusieurs mois plus tard, sur le trottoir, ils se croisent ; elle l’arrête pour le remercier et lui dire qu’elle parle dorénavant enfin l’anglais! « C’est quelque chose de naturel, de facile, d’apprendre une langue. Même les bébés font ça tout seul! », dit Ronald, à peine à la blague.

Suivre les vagues
Bien que ce soit plus de 400 langues distinctes qui figurent dans la base de données de la Librairie Michel Fortin, certaines se démarquent de façon notoire. Actuellement, Ronald Thibault voit la vague de popularité du coréen s’engouffrer sur ses tablettes. En raison de l’engouement depuis quelques années pour les mangas, le coréen devient une langue seconde de prédilection pour les aficionados du genre. Le japonais est également très à la mode, de même que l’italien. « Je soupçonne la clientèle qui apprenait l’espagnol il y a trente ans d’être celle qui apprend aujourd’hui l’italien. » Il souligne l’attrait toujours présent pour les pays où il fait chaud, l’Italie passant maintenant devant l’Amérique du Sud pour les voyageurs en raison, peut-être, de son côté plus sécuritaire et pour sa culture également très intéressante. Lors de notre visite dans sa librairie, des guides d’ukrainien, de chinois et de russe étaient également mis de l’avant sur les cubes.

D’ailleurs, l’enthousiasme pour l’apprentissage des langues semble s’être accru avec l’arrivée des applications de type Duolingo ou Babbel. « Mais le problème des plateformes comme Duolingo, c’est que tu apprends un paquet de mots hors contexte, explique le libraire. J’ai une belle analogie pour ça : quand tu veux apprendre une langue, l’application remplit tes tiroirs de vocabulaire, mais personne ne t’apprend à faire le meuble. Il faut apprendre à faire le meuble, puis apprendre où on met nos tiroirs et, après, naturellement, les tiroirs vont se remplir. » Et c’est justement là qu’une méthode, qui conjugue grammaire, vocabulaire et pratique orale, vient en renfort, peu importe la langue en cours d’apprentissage.

Cours de langue, cours d’histoire
Pour comprendre pourquoi cette librairie des langues porte le nom de Michel Fortin, il faut revenir en arrière. « Pour faire un cours d’histoire, parce que c’est un peu ça, il faut comprendre que la librairie a déjà appartenu à un éditeur. Elle appartenait au Centre éducatif et culturel (CEC), un éditeur de manuels scolaires. Faut s’entendre que dans les années 1960 et avant, c’est le chaos dans l’industrie du livre au Québec. Chacun fait ce qu’il veut, comme il peut, les remises sont consenties de façon arbitraire, il y a peu de librairies, les éditeurs, comme le CEC, sont aussi importateurs de livres d’Europe, continent qui fait ses règles. Bref, c’est du grand n’importe quoi, mais tout le monde s’en accommode. »

Le CEC avait alors trois librairies, dont celle de Montréal, et s’était fait racheter en partie par l’Agence de distribution populaire, aujourd’hui connue sous le nom d’ADP, distributeur majeur au Québec, et par Hachette, qui souhaitait développer son marché sur le territoire québécois. Mais au début des années 1980, avec l’arrivée de la loi 51 qui dicte que seules les librairies de propriété québécoise (lire canadienne) peuvent être agréées (et qui peuvent donc, notamment, vendre aux institutions et aux écoles publiques), le CEC décide de se départir de la librairie, entrevoyant certaines difficultés sans l’agrément. « Le CEC voulait quand même garder pignon sur rue. Alors qu’est-ce qu’ils ont fait? Ils ont demandé à Michel Fortin, qui était le gérant de l’époque, s’il voulait reprendre la librairie. On aidera Michel à racheter la librairie qui était sur la rue Mansfield et qui déménagera en 1982 sur la rue Saint-Denis. La librairie portera ainsi le nom Librairie CEC Michel Fortin pendant dix ans, comme prévu par contrat afin que le CEC préserve une présence de sa nomination sur rue. C’est en 1992 que la librairie devient la Librairie Michel Fortin, du nom de son fondateur. »

Ronald Thibault, lui, arrive d’abord comme client alors qu’il est étudiant à l’université, en espagnol. De fil en aiguille, il y fait son nid, d’abord comme employé à temps partiel dès septembre 1982 puis comme gérant. Actionnaire quelques années plus tard, il devient finalement propriétaire en mai 2020. En continuant de soigner ses relations avec les éditeurs de différents pays avec lesquels il fait affaire, en allant tous les deux ans à la Foire du livre de Francfort, en multipliant les contacts lors de congrès d’enseignants et en restant efficace informatiquement, Ronald Thibault assure une longue et heureuse vie à cette librairie des langues, petit joyau bien unique au cœur de la grande Amérique.

Ce qu’on retrouve en librairie :
des dictionnaires unilingues et bilingues
des guides de conversation
des méthodes pour autodidactes
des manuels et des cahiers d’exercices
des ouvrages didactiques
des romans en langues étrangères
des lectures graduées
des lectures bilingues
des jeux de société

Librairie Michel Fortin
La librairie des langues
5122, avenue du Parc, Montréal
librairiedeslangues.com

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