L’adolescence est une période intense, qui vient avec son lot d’émotions. La liberté qu’offre la poésie est une belle façon de mettre les états d’âme des adolescents en mots et de leur permettre de se reconnaître. Deux nouvelles collections consacrées à la poésie jeunesse voient le jour ce printemps aux Éditions du Boréal et à La Bagnole. Nous profitons de l’occasion pour vous faire découvrir ces nouveautés en plus d’effectuer un survol des autres collections dans le genre.

Chez Boréal, la collection, qui s’intitule « Brise-glace », s’adresse aux adolescents et aux jeunes adultes. Elle offre « une poésie authentique et directe, libérée de ses carcans. Elle prend le pari que la poésie est tout indiquée pour rendre compte de la période charnière qu’est l’adolescence, de son intensité, de ses contradictions et de ses extrêmes », peut-on découvrir dans la description de cette nouvelle vitrine pour des textes poétiques, en vers ou en prose. Kristina Gauthier-Landry et Lucile de Pesloüan en signent les deux premiers titres avec Kaléidoscope mon cœur et Tiens-toi droite.

À La Bagnole, la collection se nomme « fuwa fuwa », un mot japonais qui signifie aéré. Elle présente des « livres qu’on peut feuilleter ou apprécier en une bouchée », des livres « aérés, punchés, dessinés, acérés, habités ». Ce sont des textes courts, au style libre, qui peuvent prendre des chemins inattendus et différents. Pour amorcer cette nouvelle avenue éditoriale, on propose deux publications : Dessiner dans les marges et autres activités de fantôme de Carolanne Foucher et Besties d’Alexandra Campeau.

Se chercher
Dans Kaléidoscope mon cœur, Kristina Gauthier-Landry sonde le trouble anxieux avec sensibilité et finesse. En parlant de ce trouble, la poète souhaitait « qu’on se débarrasse enfin de la honte ». Elle nous explique : « Parce que parallèlement au fait qu’on parle de plus en plus de santé mentale, la société continue de nous demander de performer. Résultat : l’anxiété se propage, et la gêne demeure, ce que je trouve particulièrement dévastateur. Je souhaite intercepter cette honte et la transformer en fierté, ou du moins en bienveillance; faire sentir à l’ado que son ressenti est légitime, qu’il peut même s’en faire un allié. »

À travers des fragments poétiques se dévoile la fragilité d’une jeune, en train de se construire. Le kaléidoscope, évocateur de multiples couleurs et motifs, « illustre bien toute la mouvance de l’esprit adolescent, et de l’esprit anxieux en général », corrobore l’auteure. « J’ai eu envie de témoigner de ce paysage dense, foisonnant, multicolore dans lequel évoluent les hypersensibles : les mille doutes et les grandes joies, les désirs et les émois… Les rêves d’affranchissement. Bref, tout ce qui pulse fort et rend cette période si vive dans nos mémoires. »

L’adolescente se met de la pression pour être la meilleure, ce qui accentue son anxiété. Elle ne sait pas comment traverser cette période, dompter ce qu’elle ressent : « toujours plein de bleus//malhabile/je me heurte/à tous les cadres de porte/rentre dans le monde/telle une étoile/dans un carré ».

Le livre se termine sur deux notes, « un côté l’espoir, de l’autre le recommencement », ajoute Kristina Gauthier-Landry. « C’est aussi ça que je souhaitais dire. Si on ne se débarrasse jamais entièrement de l’anxiété, il est possible d’apprendre à vivre avec elle. »

La narratrice de Tiens-toi droite jongle aussi avec l’anxiété. Cachée derrière une carapace, elle tente de démêler ses sentiments. Pendant sa dernière année du secondaire, elle tombe amoureuse de Victor, avant que son cœur balance pour Eliza. Puis, elle s’imagine à quoi ressemblera son avenir, tout en se laissant inspirer par la parole des femmes, allant de Beyoncé à la poète Hélène Monette, en passant par sa grand-mère. Cela l’aide à se construire, à s’épanouir, à découvrir qui elle est. Elle compte se tenir droite, vivre comme elle l’entend. Et elle souhaite être prise au sérieux, être vue : « je suis presque grande en tout cas j’existe/je suis là/je dis à ma psy tout bas/je déteste les adultes de ne pas me voir ».

Être insaisissable
L’adolescente de Dessiner dans les marges et autres activités de fantôme a elle aussi parfois l’impression d’être invisible. À travers les aléas de sa vie (ses cours, sa famille, dont un frère et une sœur qu’elle croit plus visibles qu’elle, le garçon qui lui plaît, etc.), la jeune fille essaie de trouver sa place. Elle a le sentiment de ne pas être à la hauteur, d’être ordinaire, voire pas assez, comme le démontrent ses notes de B. La poète Carolanne Foucher recourt d’ailleurs à l’image du fantôme pour dépeindre ce sentiment de parfois se sentir transparente, inexistante : « des fantômes/qui échappent au présent//j’essaie de croiser leur regard/de communiquer par les yeux//attendez-moi/je suis des vôtres/moi aussi je suis entre deux mondes/je suis un auxiliaire/un temps composé/je marche dans le passé et le futur/mais dans le présent/dans les temps simples/je disparais ».

« Quand on parle de l’adolescence, on a affaire à des êtres humains complets et complexes, avec un monde intérieur tellement vaste, mais pas toujours bien extériorisé ou totalement compris. Je me replace à cette période de ma vie et je me souviens d’un sentiment récurrent que tout, tout, tout me traversait, tout me bouleversait, et je n’avais pas toujours les outils pour exprimer cette sensation. C’est une période vivifiante mais éprouvante et j’ai voulu nommer ça avec l’image du fantôme. Des fois, la transparence, c’est le fun, et d’autres fois, ce l’est moins », nous révèle Carolanne Foucher.

L’importance de l’amitié
Pour sa part, le recueil Besties raconte l’histoire d’une peine d’amitié, qui peut s’avérer parfois plus grande qu’une peine d’amour. En se remémorant des souvenirs de sa relation avec sa meilleure amie, la narratrice essaie de comprendre ce qui a bien pu se passer pour que celle-ci cesse d’être son amie et tente de faire le deuil de cette relation et de s’épanouir à nouveau : « j’aurais fait un mariage de besties/avec toi/on serait devenues des sœurs/au nom de la loi/  […] amies pour la vie/jusqu’à ce que la mort nous sépare/  […] guérir mes plaies/en t’immortalisant/faire le deuil/de nous deux qui se bercent/côte à côte à la résidence ».

Démystifier l’adolescence
Ces livres, autant du côté de La Bagnole que de Boréal, présentent des adolescentes en quête de repères et témoignent de cette étape cruciale et mouvementée où on se cherche, où on essaie de se construire, de se forger, où on a besoin d’exister dans le regard de l’autre, et où on souhaite appartenir au monde, faire partie d’un groupe. C’est l’époque des premiers émois et des premières fois, ce qui peut entraîner sa part de vertiges, de peurs, d’angoisses et de fulgurances. Pendant cette période tumultueuse, les émotions sont parfois difficiles à gérer et peuvent être contradictoires. L’avenir peut être synonyme d’espoir, mais aussi d’appréhension. Solitude, anxiété, confusion et émotions à fleur de peau se côtoient. C’est à la fois chaotique, foisonnant et haut en couleur donc. Pas étonnant que l’adolescence soit un terreau fertile pour les écrivains.

Nous avons justement demandé à la poète Kristina Gauthier-Landry, qui a auparavant publié pour un lectorat adulte le recueil de poésie Et arrivées au bout nous prendrons racine, ce qui l’inspirait dans l’adolescence : « Je suis touchée par la lucidité brutale dont font preuve les ados. Leur entièreté m’inspire, et j’ai eu envie de leur rendre la pareille en me livrant à mon tour. La recherche de la perfection étant un grand déclencheur d’anxiété, je trouvais intéressant de la déjouer, de me déjouer en osant regarder de l’autre côté du miroir; je trouve que c’est la meilleure façon de créer du lien. D’accepter de se montrer humain. »

Mettre en mots la complexité des émotions que peuvent vivre les jeunes, ça peut être libérateur pour eux. Carolanne Foucher, à qui l’on doit les recueils de poésie pour adultes Deux et demie et Submersible, abonde dans le même sens : « Je pense que la poésie peut sincèrement aider à comprendre et décoder les mouvements intérieurs qu’on vit à l’adolescence. »

Sans aucun doute les titres de ces deux collections dépeignent avec acuité, finesse et bienveillance ce qu’est l’adolescence, tout en initiant les jeunes à la poésie avec des textes accessibles, éloquents et empreints de beauté, qui leur permettront de se sentir moins seuls.

D’autres collections à découvrir
Les livres de la collection « Unik » chez Héritage jeunesse — qui a vu le jour en novembre 2020 — s’inspirent d’une tranche de vie de l’auteur et de son expérience. La graphie aérée, imagée et modulée selon le texte contribue à unifier le fond et la forme. Ces romans poétiques exposent une réalité que peuvent vivre les jeunes : un coming out dans Comme un ouragan de Jonathan Bécotte; une relation conflictuelle entre deux frères dans Combattre la nuit une étoile à la fois de Samuel Larochelle; le suicide d’un proche et le deuil dans Derrière l’éclat de ton sourire de Sophie Gagnon-Roberge et la séparation des parents dans Ma vie version éparpillée de Mélanie Perreault. Dans le dernier titre paru, La voix de la nature, Gabrielle Boulianne-Tremblay s’intéresse à la question de l’identité de genre et à la transsexualité, avec humanité, sensibilité et finesse, comme c’était le cas dans son premier roman La fille d’elle-même. Ces ouvrages abordent également la différence, la résilience, l’estime de soi et l’affirmation de soi, entre autres. C’est une collection émouvante et lumineuse.

Si vous aimez ce concept de la forme et le fond qui se rejoignent, vous devriez aussi aimer la nouvelle collection de récits poétiques en prose, en vers ou les deux, chez Z’ailées, « Parcelles », dont les premiers titres paraissent ce printemps : Un froid dans mon hiver d’Yvan DeMuy et Val-Brillant de Pierre Labrie. La mise en page ressemble à celle d’« Unik » avec une forme dynamique selon le texte, qui s’inspire d’un souvenir de l’auteur.

La collection « Poésie » de la courte échelle existe quant à elle depuis 2002 et comprend notamment Les garçons courent plus vite de Simon Boulerice, Perruche de Virginie Beauregard D., Colle-moi de Véronique Grenier et Peigner le feu de Jean-Christophe Réhel. C’est « une initiation à la poésie et à la liberté des mots et des images » qu’elle offre. « Chaque œuvre invite les jeunes lecteurs et lectrices à vivre de grandes émotions à travers un langage coloré et inventif », lit-on dans sa description.

Après ses recueils de poésie Delete et Bluetiful et son remarqué essai Maquillée, Daphné B. propose La pluie des autres, un premier recueil de poésie pour les jeunes dans lequel elle explore l’amitié. La narratrice aimerait illuminer la vie de son amie souffrant d’un trouble alimentaire, « qui l’efface peu à peu du monde ». Tout en espérant la sauver, elle essaie de départager amitié et amour, et la fine ligne qui se trouve parfois entre les deux. C’est triste et beau à la fois.

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